La promotion des femmes plutôt que des quotas
L’Allemagne a introduit des quotas féminins de 30% pour les conseils d’administration de certaines grandes entreprises. Cette décision relance le débat sur les quotas et la promotion des femmes. Mais les quotas ne visent pas assez loin et servent tout au plus à «ouvrir la porte».
L’exemple de la Norvège montre que les quotas de 40% ont certes été atteints dans les conseils d’administration, mais qu’au sein des comités de direction, la situation n’a pas changé; la conséquence attendue de «l’effet de ruissellement» n’a pas eu lieu. La proportion de femmes cadres moyens est pratiquement inchangée, et la différence de salaires entre les femmes et les hommes en-dessous du premier niveau de direction reste de 15%.
C’est pourquoi il est extrêmement important de promouvoir les femmes à tous les niveaux. Il est aujourd’hui indiscutable que les équipes mixtes produisent de meilleurs résultats; nous en faisons l’expérience au sein de nos propres groupes de projets.
La promotion des femmes s’impose également du point de vue de l’économie nationale, et non pas seulement au niveau de l’économie d’entreprise. La Suisse perd une bonne partie de ses investissements dans la formation et de ses ressources en raison de l’intégration insuffisante des femmes. Cela est inacceptable. Un exemple: en 1989, 34% des jeunes diplômés d’universités étaient des femmes. Il est décevant de constater, 25 ans plus tard, que seules 6% de femmes se retrouvent dans des directions d’entreprises et 13% dans des conseils d’administration.
En termes économiques, la promotion des femmes constitue également un élément central dans la lutte contre le manque de personnel qualifié et pourrait en outre contribuer à atténuer le débat sur l’immigration. Le potentiel existe: la Suisse dispose d’un des taux les plus élevés de femmes actives professionnellement (elle occupe la troisième place du classement de l’OCDE après l’Islande et la Suède). Toutefois, plus de 60% de ces femmes travaillent seulement à temps partiel, plus de la moitié d’entre elles pour des raisons familiales.
De nombreuses femmes seraient pourtant prêtes à augmenter leur temps de travail, mais en général, les conditions institutionnelles en matière de garde des enfants ne le permettent pas. La Suisse passe ainsi à côté d’une grande opportunité. Une meilleure répartition des hommes et des femmes entre les professions et les niveaux hiérarchiques est en effet déterminante afin de permettre à tous les groupes d’électeurs d’un pays de démocratie directe d’avoir connaissance des thèmes économiques et de les comprendre.
La mauvaise approche
Les résultats de la Norvège et d’autres études montrent que nous ne nous heurtons pas simplement à la cloison vitrée des cadres de la haute direction, mais que nous nous trouvons bien plus face à un pipeline dont tous les joints ont des fuites (voir graphique). De nombreuses entreprises «perdent» les femmes à tous les échelons de la carrière. S’ajoute le fait que pour un homme, la probabilité de gravir ces échelons est deux à cinq fois plus élevée selon le niveau.
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Gonfler artificiellement le nombre de femmes au sommet de la hiérarchie grâce à des quotas n’apporte pas de solution à long terme. De même, les initiatives d’entreprises qui ne sont pas totalement intégrées dans les processus d’affaires finissent par manquer leur but. Une étude comparative de McKinsey portant sur plus de 200 entreprises européennes montre que deux tiers de celles-ci ont certes introduit une multitude de mesures de promotion des femmes, mais sans grand effet.
Mais où commencer?
Premièrement, les mesures de promotion doivent être pleinement intégrées dans la marche de l’entreprise, et non pas rester des programmes parallèles. La direction doit faire de la promotion de la femme une priorité. Une évolution doit avoir lieu, semblable à celle qui s’est déroulée dans le domaine de la conformité (compliance en anglais), où il y a 10 ans les structures n’existaient que sur le papier. Aujourd’hui pourtant, la conformité est profondément ancrée dans chaque entreprise.
Deuxièmement, les systèmes d’évaluation ne doivent pas être établis au détriment des femmes. Un sondage de McKinsey effectué auprès de plus de 1400 cadres de direction du monde entier montre que c’est toujours le cas aujourd’hui, et que les évaluations sont orientées sur des carrières très masculines (ainsi, les modèles de travail flexibles sont considérés comme étant non compatibles avec des positions de cadres de direction).
Troisièmement, une adaptation du style de gestion est absolument nécessaire. Plus de 40% des femmes interrogées indiquent que le style de gestion et de communication des femmes n’est pas compatible avec celui en vigueur dans les entreprises. Alors qu’une femme est vite jugée «autoritaire», un homme sera qualifié dans la même situation de «leader fort». Dans son livre «Lean in», l’ancienne conseillère de McKinsey Sheryl Sandberg appelle cela un «parti pris inconscient». Le même comportement est interprété de manière différente – par les deux sexes – s’il vient d’un homme ou d’une femme.
Un homme comme mentor
Quatrièmement, la promotion des femmes ne peut fonctionner qu’avec l’engagement et le soutien des hommes. Des programmes purement féminins ou des réseaux de femmes poussent à l’isolation plutôt que de favoriser l’intégration des femmes dans le monde des affaires. C’est là qu’intervient le projet Advance – Women in Swiss Business. De nombreuses grandes sociétés suisses ont rejoint ce réseau afin de favoriser la promotion de leurs collaboratrices.
Point de vue
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Elles échangent les programmes de leurs départements des ressources humaines, organisent des séminaires de formation spécifiques et mettent sur pied un système commun de mentors – des mentors hommes. La proportion de femmes dans les fonctions dirigeantes ne pourra être accrue à moyen terme et la diversité des sexes renforcée en Suisse seulement quand les entreprises et leurs managers soutiendront cet objectif de façon active.
Cinquièmement, de nombreuses femmes ont besoin d’une bonne injection de confiance en soi. L’actuelle COO (directrice des opérations) de Facebook Sheryl Sandberg a écrit à ce propos: «Nous nous freinons nous-mêmes dans les petites comme dans les grandes choses, parce que nous manquons de confiance en nous, parce que nous ne levons pas la main, et parce que nous nous mettons en sourdine alors que nous devrions nous mettre en avant et nous engager.»
Il est clair que les entreprises doivent assumer leurs responsabilités. Mais les milieux politiques et la société sont également appelés à agir. La façon de penser helvétique est, dans ce domaine, passablement plus conservatrice que dans de nombreuses autres régions d’Europe, et la Suisse est en retard pour ce qui est des conditions-cadres. La proportion des femmes dans les conseils d’administration, les comités de direction ou comme CEO dans des pays comme la Suède ou la Belgique est aujourd’hui trois fois plus élevée qu’en Suisse, sans quotas, mais parce que c’est une évidence faisant partie de la culture du pays, et grâce à une offre suffisante de garde des enfants. Cela devrait stimuler la Suisse à mieux utiliser le grand potentiel des femmes, sans la pression des quotas.
Le point de vue exprimé dans cet article est celui de son auteur et ne correspond pas forcément à celui de swissinfo.ch.
(Traduction de l’allemand: Barbara Knopf)
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