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Pourquoi la population étrangère vote peu

Affiche d un bureau de vote
La population étrangère prend proportionnellement moins le chemin du bureau de vote que la population suisse. Keystone / Jean-christophe Bott

Les personnes de nationalité portugaise ou espagnole vivant à Genève et à Neuchâtel participent rarement aux élections locales, bien qu’elles bénéficient du droit de vote depuis des années. Une nouvelle étude en donne les raisons.

Les personnes étrangères représentent environ un quart de la population suisse, l’un des taux les plus élevés parmi les pays occidentaux. Dans la plupart des cantons francophones, les personnes étrangères qui y résident peuvent voter au niveau communal et même, dans certains cas, au niveau cantonal. Cependant, bien que ce droit existe depuis plusieurs années déjà, la participation politique des personnes étrangères reste très faible.

En 2020, environ 40% des personnes de nationalité suisse ont participé aux élections genevoises, contre 23% pour les non-Suisses. Parmi les personnes de nationalité espagnole et portugaise, le taux de participation était encore plus bas: 17% et 13%, respectivement.

À Neuchâtel, le taux de participation des Suisses a été en moyenne de 42% pour la période 2003-2020, contre 18% pour les non-Suisses. Il n’y a pas de statistiques pour les communautés étrangères individuelles à Neuchâtel, mais l’évaluation globale est similaire à celle de Genève.

Contenu externe

Une étudeLien externe intitulée «Que des locataires», publiée par l’Université de Neuchâtel, a examiné de près les raisons pour lesquelles les résident-e-s espagnols et portugais de Genève et de Neuchâtel – deux communautés non suisses ayant le taux de participation le plus bas – n’utilisent pas leur droit de vote. L’étude se fonde sur des dizaines d’entretiens individuels et de groupes de discussion avec une centaine de personnes vivant en Suisse depuis au moins huit ans et n’ayant pas la nationalité suisse.

«Ils ont un faible sentiment d’attachement à la Suisse», conclut Philippe Wanner, professeur à l’Institut de démographie et de socioéconomie de l’Université de Genève. «Les communautés ibériques expliquent ne pas se sentir bien acceptées par la population native.»

Sa collègue Rosita Fibbi, chercheuse à l’Université de Neuchâtel, abonde dans le même sens. «Les personnes interrogées estiment qu’elles ne sont pas chez elles en Suisse, car elles trouvent leur situation instable. Leurs contrats de bail et de travail peuvent être résiliés à tout moment. Elles sont les cibles d’attitudes discriminatoires. Cette déception les conduit à envisager un retour en Espagne ou au Portugal à l’âge de la retraite», a-t-elle déclaréLien externe au journal Le Temps.

Ces sentiments sont aggravés par un fort attachement à leur pays d’origine, relève encore Rosita Fibbi.

Les attitudes varient dans le temps et dépendent de la situation socio-économique des personnes. Parmi la première génération venue d’Espagne ou du Portugal pour s’installer en Suisse, la participation électorale est plus élevée chez les personnes qui ont déjà une expérience de la politique, qui sont originaires de villes ou qui ont un bon niveau d’éducation, a constaté l’équipe de recherche. 

Parmi leurs descendants, la participation électorale est limitée. Les immigrés récents ont toutefois tendance à manifester un plus grand intérêt pour le vote. Ils ont également un niveau d’éducation moyen plus élevé que les personnes ayant immigré au cours du siècle dernier. La participation est moindre chez les personnes travaillant dans des organisations internationales ou des multinationales, qui ont relativement peu de contacts avec la population locale.

«Voter ne sert à rien»

Mais en général, les premières générations d’immigrés en Suisse sont arrivées avec l’idée que «voter ne sert à rien», remarque Rosita Fibbi.

La transition vers la démocratie au Portugal et en Espagne dans les années 1970 et 1980 n’a pas entraîné de changements fondamentaux dans leurs conditions de vie. «Ce sentiment d’impuissance persiste ici, explique la chercheuse. Si au niveau collectif rien n’évolue, le seul levier d’action est de travailler dur pour améliorer sa condition individuelle.»

Et ces attitudes ont tout simplement été transmises à la génération suivante. Les enfants votent aussi peu que leurs parents, note l’équipe de recherche. «En Espagne et au Portugal, on vote pour des personnalités politiques, ici on débat plutôt sur les dossiers», résume Rosita Fibbi dans les colonnes du journal Le Temps en précisant aussi au passage que la politique suisse est perçue comme étant compliquée.

L’étude propose des moyens d’accroître la participation des communautés à la société, et en particulier à la vie politique. Les recommandations portent notamment sur l’amélioration de la reconnaissance publique des communautés portugaises et espagnoles dans la société, la promotion d’expériences non conventionnelles de participation politique, notamment par le biais d’assemblées citoyennes, et la fourniture d’une meilleure information sur les questions relatives au vote. L’extension des droits électoraux des personnes étrangères est également un enjeu.

Grégory Jaquet, délégué aux étrangers du canton de Neuchâtel, admet que les résultats de l’étude sont sévères et constituent un «miroir cruel», mais il a déclaré que le discours sur la migration devait passer d’un discours sur «eux» à un discours sur «nous». Il a également demandé que les droits électoraux des étrangers soient étendus.

Le droit de vote des personnes étrangères

Au niveau national, seuls les citoyens et citoyennes suisses de 18 ans et plus peuvent voter et se présenter aux élections. Toutefois, dans certains cantons et communes, notamment en Suisse romande, les personnes étrangères disposent de certains droits politiques.

Deux cantons romands – Neuchâtel et Jura – autorisent les personnes étrangères à participer aux élections et votations cantonales, sous certaines conditions. À Neuchâtel, elles doivent être titulaires d’une autorisation d’établissement et résider dans le canton depuis cinq ans au moins. Dans le Jura, elles doivent résider en Suisse depuis dix ans au moins et dans le canton depuis un an au moins.

Au niveau communal, la Suisse romande est à nouveau plus ouverte: les personnes étrangères ont le droit de participer aux élections et votations communales dans les cantons de Neuchâtel, Jura, Vaud, Fribourg et Genève. Les conditions varient d’un canton à l’autre, mais dans la plupart des cas, une certaine durée de résidence ou un permis de séjour permanent sont exigés.

Dans la partie germanophone du pays, seuls les cantons de Bâle-Ville, des Grisons et d’Appenzell Rhodes-Extérieures autorisent leurs communes à permettre aux résident-e-s étrangers de participer aux votations et aux élections locales. Seules certaines des municipalités en question ont toutefois introduit cette possibilité. En mai 2023, le parlement zurichois a rejeté de justesse une proposition des autorités communales visant à accorder le droit de vote local aux non-Suisses dans le canton le plus peuplé du pays.

Traduit de l’anglais par Olivier Pauchard

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