Présidente, Doris Leuthard fait vœu de respect
Responsabilité et respect, telles sont les valeurs que Doris Leuthard compte mettre en exergue au cours de son année présidentielle. Pour résoudre les problèmes économiques de la Suisse, elle table notamment sur de bonnes relations avec l’étranger. L’interview de swissinfo.ch.
Elue présidente de la Confédération pour 2010 par l’Assemblée fédérale le 2 décembre dernier, la ministre de l’Economie n’est que la troisième femme à occuper cette fonction. La démocrate-chrétienne (PDC, centre droit) argovienne prendra la succession d’Hans-Rudolf Merz le 1er janvier.
swissinfo.ch: Madame la présidente, vous héritez de différents chantiers et de nombreux problèmes irrésolus. A l’heure d’entamer votre année présidentielle, est-ce la joie ou l’inquiétude qui domine?
Doris Leuthard: C’est en premier lieu le sentiment de responsabilité. Une année présidentielle réserve bien sûr beaucoup de belles expériences et de rencontres passionnantes. Mais le président de la Confédération a surtout la responsabilité de résoudre les problèmes et d’œuvrer à la fois pour relever les défis auxquels le pays est confronté et pour diriger le collège gouvernemental. Il s’agit donc avant tout d’une affaire de responsabilité – et de respect.
swissinfo.ch: Quels sont à vos yeux les défis les plus importants: ceux que la Suisse doit affronter à l’interne ou à l’étranger?
D.L.: Ils sont indissociables. La Suisse gagne un franc sur deux à l’étranger. Nous sommes donc contraints d’entretenir de bonnes relations, d’obtenir un bon accès au marché pour nos entreprises et de maintenir notre réputation.
Sans cela, on ne pourra pas venir à bout des autres problèmes, qui vont certainement atteindre un nouveau pic cette année avec l’augmentation du chômage. La création de nouveaux emplois et de nouvelles perspectives, la façon dont le marché du travail peut être remis à flot, tout cela est étroitement lié.
swissinfo.ch: Vous avez annoncé que l’une de vos priorités sera le soin que vous comptez apporter aux relations avec les Etats voisins. Concrètement, qu’est-ce que cela signifie?
D.L.: On oublie souvent que c’est, aujourd’hui comme hier, avec les pays voisins que nos relations en matière de culture, d’économie, de transport et de formation sont les plus intenses. La Suisse leur est étroitement liée.
Cela implique que l’on cherche le dialogue non seulement avec l’Union européenne, à Bruxelles, mais aussi avec nos voisins directs, afin de pouvoir résoudre les problèmes transfrontaliers.
swissinfo.ch: Des problèmes qui, à l’instar du secret bancaire et de la fiscalité, sont pour le moins d’actualité, aussi bien avec l’Allemagne qu’avec l’Italie ou la France…
D.L.: En cas de crise économique, les intérêts divergent toujours. Les ministres des Finances doivent remplir les caisses de l’Etat et c’est sur la Suisse que se braquent par conséquent tous les regards. Avec l’Allemagne, le Conseil fédéral veut régler la question de l’accord de double imposition et celle du trafic aérien (ndlr. conflit à propos des nuisances occasionnées par l’aéroport de Zurich-Kloten).
La situation est comparable en ce qui concerne l’Italie et la France, où il y a aussi des points à éclaircir quant à l’imposition. Je vais donc accorder une attention particulière aux relations avec ces trois pays.
swissinfo.ch: Certains prétendent que la Suisse est isolée, qu’elle n’a plus d’alliés. Quelle sera votre action à ce niveau?
D.L.: Nous ne sommes pas isolés, même si, en pleine crise, cette impression se trouve renforcée. Nous avons un bon réseau de relations. Mais il faut justement en prendre soin, en particulier quand on n’est pas membre de groupes comme l’UE, l’OTAN ou le G-20.
swissinfo.ch: Sur votre liste pour cette année figure également le renforcement des relations économiques avec la Chine.
D.L.: La Chine est un pays prioritaire pour le Conseil fédéral. En vue de l’accord de libre-échange que nous espérons pouvoir conclure avec ce pays, j’y effectuerai au minimum une visite. A l’inverse, nous aurons probablement aussi une visite d’une délégation chinoise de haut rang en Suisse.
swissinfo.ch: Mais si la Suisse devait, comme cela a été évoqué, accueillir deux Ouïghours en provenance de Guantanamo, les relations avec la Chine pourraient s’en trouver affectées…
D.L.: Le Conseil fédéral a pris la décision d’aider les Etats-Unis à résoudre le problème Guantanamo pour des raisons humanitaires. A partir de là, nous – ou plus exactement le canton de Genève – avons décidé d’accueillir une personne, en l’occurrence un ex-détenu originaire d’Ouzbékistan. Aucune autre décision n’a été prise. Dans ce contexte, la question ne se pose pas.
swissinfo.ch: Revenons-en aux difficultés internes à la Suisse. Alors que le taux de chômage va continuer à grimper, vous voulez réformer l’assurance-chômage. On peut voir là une contradiction…
D.L. : Le déficit structurel de l’assurance-chômage doit être assaini. Même lorsque l’économie se portait bien, les déficits se sont creusés. Les dettes explosent, ce que nous n’avons pas pu résoudre en période de haute conjoncture seulement.
Mais la révision de la loi qui est actuellement en cours ne fait pas l’impasse sur les personnes qui sont aujourd’hui au chômage. Ce n’est que plus tard, quand la crise sera passée, que le seuil d’entrée à l’assurance sera rehaussé et que des périodes de cotisation plus longues seront exigées. Cette baisse des prestations est acceptable car le niveau et la durée de perception des indemnités journalières seront maintenus. Le coeur de l’assurance-chômage ne sera pas touché par cette révision.
Quant aux jeunes en recherche d’emploi, exiger d’eux à l’avenir plus de flexibilité me semble justifié. On peut toujours attiser les peurs. Pour ma part, j’estime que ces changements sont supportables. Les jeunes sont de fait plus flexibles. La plupart du temps, ils n’ont pas d’obligations familiales et ils sont plus mobiles. Lorsqu’il s’agit d’évaluer où faire des coupes, il est donc défendable de les traiter de manière plus dure que par exemple une mère de famille de 55 ans qui élèverait seule ses enfants et qui aurait perdu son travail.
swissinfo.ch: Il est aussi question de réformes tant dans la manière de travailler que dans la structure même du gouvernement. Comment voyez-vous ce chantier?
D.L.: Mon objectif n’est pas seulement de discuter une nouvelle fois de cette réforme, mais aussi de l’adopter. Il faut consacrer toujours plus de temps au travail avec le Parlement et aux problèmes à l’étranger. Aujourd’hui, je crois une optimisation possible. La volonté politique est là.
Andreas Keiser et Eva Herrmann, swissinfo.ch
(Traduction de l’allemand: Carole Wälti)
Présidence tournante. En Suisse chacun des sept membres du Conseil fédéral (gouvernement) assume pour un an la charge de Président/e de la Confédération.
Fonction. Le président ou la présidente de la Confédération est un «primus inter pares» (le premier entre ses égaux). Il dirige les séances du Conseil fédéral et se charge de certaines tâches de représentation.
Pouvoir. La fonction ne confère aucun pouvoir supplémentaire à celui ou celle qui l’occupe.
Née en 1963, Doris Leuthard est avocate de formation.
Doris Leuthard est membre du . parti démocrate-chrétien (PDC, centre droit), qu’elle a présidé avant d’être élue au Conseil fédéral le 14 juin 2006.
Depuis, elle dirige le Département fédéral de l’économie (DFE).
Doris Leuthard se réjouit du fait qu’autant de compatriotes expatriés prennent part à la vie politique suisse et votent.
Au cours de son année présidentielle, elle ne compte cependant pas mettre d’accent particulier sur la 5e Suisse.
«Tous les Suisses ont la même importance à mes yeux. Je me préoccupe de la Suisse et de tous ceux qui ont un lien avec ce pays. Les Suisses de l’étranger y compris.»
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