Régionales: «Sarkozy déconcerte l’opinion de droite»
Jacques-Nicolas de Weck, un Fribourgeois engagé dans la vie politique française depuis près de 40 ans, analyse les enjeux des élections régionales dont le 1er tour débute le 14 mars. Le score du Front national sera déterminant dans plusieurs régions. Interview.
L’un des meilleurs experts de la vie politique française est un… Suisse : Jacques-Nicolas de Weck. Rien d’étonnant à cela. Ce neveu de l’ancien patron d’UBS Philippe de Weck a fait toute sa carrière en France.
Depuis les cabinets ministériels sous Pompidou, jusqu’à ses fonctions récentes de maire-adjoint de Saint-Maur-des-Fossés, en passant par les coulisses de l’UDF, de Weck a tout vu, rencontré bien du monde, sans jamais perdre un gramme de sa modestie. Français d’adoption et de culture, il reste très attaché à son pays de Fribourg et à la tradition démocrate-chrétienne de la famille de Weck.
À Saint-Maur, de Weck s’occupe des handicapés et du logement social. Handicapé lui-même, il est l’un des initiateurs de la loi de 2005 sur l’intégration des handicapés. Les prochaines élections régionales des 14 et 21 mars ont peu de secrets pour lui. «En 1988, je scrutais déjà, pour l’équipe de campagne de Raymond Barre, les comportements électoraux des Français», se rappelle de Weck. Depuis quelques années, l’élu a pris un peu de recul sur ses activités municipales et travaille comme «conseil en décision».
swissinfo.ch: La première secrétaire du parti socialiste, Martine Aubry, espère un «grand chelem» lors de ces élections, c’est-à-dire remporter avec ses alliés toutes les régions de France métropolitaine. Possible ?
J.-N.W.: Je n’en suis pas certain. C’est vrai que l’on observe, sur le terrain, un anti-sarkozysme virulent. Pour autant, les Français font désormais la part entre la région et l’État. Or, ils ont souvent le sentiment de payer trop d’impôts dans les régions gérées par la gauche. Le résultat dépendra beaucoup du score du Front National. Si le parti de Jean-Marie Le Pen ne dépasse pas 10 %, certaines régions pourraient passer à droite. La Picardie, le Centre, la Basse-Normandie et la Franche-Comté sont loin d’être gagnées pour la gauche.
swissinfo.ch: Et l’Alsace ?
J.-N.W.: Tout dépendra, là encore, du score du Front National. La liste Verte, donnée favorite, pourrait faire peur dans une région assez conservatrice. Sur cette liste figurent des gens modérés, mais aussi des personnalités d’extrême gauche.
swissinfo.ch: Ségolène Royal va-t-elle faire de sa réélection en Poitou-Charentes un tremplin vers les présidentielles ?
J.-N.W.: Pour elle qui pensait l’emporter au premier tour, c’est plus difficile que prévu. Ségolène Royal voulait prouver que la région pouvait être un acteur majeur de la vie politique. Or aujourd’hui, on lui reproche de ne pas avoir fait ce qu’elle avait promis: sauver le constructeur automobile Heuliez. Les régions françaises ont bien la possibilité, comme les Länder allemands, de prendre des participations dans des entreprises. Mais peu le font.
swissinfo.ch: Où en est la décentralisation? Le Parisien Sarkozy n’est pas vraiment un adepte du «régionalisme»…
J.-N.W.: Il n’est sans doute pas «décentralisateur» comme l’était Jean-Pierre Raffarin ou, avant lui, Gaston Defferre. Mais il a le souci de l’efficacité et de la simplification administrative. Son idée était de supprimer une des strates du système français. C’est vrai qu’elles sont trop nombreuses. Lorsque je demande une subvention pour des foyers handicaps, je dois m’adresser à la ville, à la communauté d’agglomération, au département, à la région et enfin à l’État. C’est absurde!
swissinfo.ch: Mais quel échelon faut-il supprimer ?
J.-N.W.: Le candidat Sarkozy souhaitait supprimer les départements. Mais son projet heurtait trop frontalement à ceux qui tiennent encore à cet héritage de la Révolution. A défaut, le Président tente de vider le département de sa substance, en transférant ses pouvoirs soit vers la région soit vers la communauté d’agglomération. Il faudrait aussi réduire le nombre de communes (36 000) et le nombre de régions (26 en comptant l’outre-mer). Que représente de la région Centre au niveau historique ou géographique ? Pas grand-chose. Le monde politique est presque unanime pour dire qu’il faut supprimer par exemple la Picardie, mais celle-ci fait de la résistance. Seule la Basse et la Haute Normandie pourraient bientôt fusionner.
swissinfo.ch: En revenir aux anciennes provinces, un peu l’équivalent de nos cantons?
J.-N.W.: Pourquoi pas, mais au XXIe siècle, que signifient la Saintonge ou l’Aunis?
swissinfo.ch: Quel pourrait être l’impact national de ce scrutin régional ?
J.-N.W.: Quel que soit le résultat, le Président ne devrait pas changer de premier ministre. Il l’a dit. Sarkozy a d’ailleurs besoin de François Fillon pour consolider sa majorité. Nicolas Sarkozy déconcerte à droite, quand il pratique l’«ouverture» à gauche. Les récentes nominations de personnalités de gauche à des postes importants (à la présidence de la Cour des comptes et au Conseil constitutionnel, ndlr) ont été très mal vécues dans l’opinion publique de droite. Fillon, lui, rassure. D’ailleurs, le Président songe à ne pas se représenter en 2012, une information que je tiens d’un habitué de l’Elysée. Quoi qu’il arrive, et surtout si la gauche l’emporte lors de ces élections, l’Elysée ralentira le rythme des réformes.
Mathieu van Berchem, Paris, swissinfo.ch
Lors des élections de 2004, le parti socialiste et ses alliés avaient raflé toutes les régions de France métropolitaine, à l’exception de la Corse et de l’Alsace. La gauche a donc l’avantage de présenter de nombreux sortants. Elle peut aussi miser sur l’impopularité actuelle de Nicolas Sarkozy.
Corse et Alsace. Elle a de bonnes chances de prendre la Corse à la droite, ainsi que l’Alsace. En revanche, la gauche pourrait perdre une ou deux régions qu’elle détient.
Depuis une dizaine d’années, la gauche remporte systématiquement les élections locales et régionales. En revanche, elle n’a plus remporté l’échéance nationale depuis 1997.
En France, État centralisé, les régions, tout en ayant le statut de collectivités territoriales, n’ont pas d’autonomie législative.
Elles disposent d’un pouvoir réglementaire en vertu de la loi de 2003.
Avec la décentralisation, les transferts de compétences par l’État se sont accompagnés de la mise à disposition de moyens financiers.
Les principales prérogatives du Conseil régional concernent les transports, l’éducation (gestion des lycées), l’enseignement supérieur et la recherche, la formation professionnelle, le développement économique et les infrastructures.
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