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Réinstaller ceux qui ne peuvent pas rentrer

Une famille de réfugiés irakiens à la réception du HCR à Beyrout. UNHCR/Benjamin Loyseau

Pour les plus vulnérables parmi les 1,4 million de réfugiés du conflit syrien, trouver un nouvel asile en Occident, c’est comme gagner à la loterie. Pour sa part, la Suisse n’en a pris qu’une poignée.

«Nous avons fui l’Irak à cause de la guerre. Et maintenant, nous avons dû fuir la Syrie à cause d’une autre guerre. Nous ne savons pas ce qui va nous arriver à l’avenir ni ce que nous allons faire». Assise dans le bureau du Haut-commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) à Beyrout, Leïla* s’arrête de parler, luttant pour retenir ses larmes. Ses yeux brillants reflètent l’indicible horreur.

Cette mère de trois enfants de 48 ans, membre de la minorité chrétienne d’Irak, n’a échappé aux bombes et aux menaces en 2007 que pour affronter, comme des milliers d’autres réfugiés, des dangers similaires à Alep, en Syrie.

Leïla et sa famille font partie des plus de 7000 Irakiens enregistrés auprès du HCR ayant réussi à passer la frontière libanaise à la fin de 2012. Et on estime que 65’000 réfugiés irakiens enregistrés en Syrie se trouvent encore piégés par le conflit.

Pour les personnes comme Leïla, terrifiées à l’idée de rentrer chez elles en Irak ou de retourner en Syrie où elles devront faire face aux persécutions et au danger quotidien, la réinstallation dans un pays tiers pourrait offrir une planche de salut.

Sans emploi, luttant pour maintenir sa famille à flot dans la capitale libanaise où tout est cher, elle s’accroche désespérément à l’idée qu’elle et les siens puissent un jour aller vivre aux Etats-Unis.

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Rêves américains

Entre 2007 et 2013, 119’843 Irakiens ont présenté des demandes d’admission au HCR. Les États-Unis, qui sont le premier pays au monde pour la réinstallation des réfugiés, acceptent traditionnellement 80% des candidats irakiens.

La famille de Leïla a entamé le long processus administratif en 2007, quand elle vivait en Syrie. Mais le chaos et les bouleversements engendrés par la guerre les ont obligés à repartir à zéro l’année dernière. Maintenant, ils attendent avec anxiété un rendez-vous à l’ambassade américaine.

Si les chances des Irakiens d’être acceptés sont peut-être meilleures que celles des autres, le jeu reste tout de même une loterie. La réinstallation n’est pas un droit et les Etats n’ont aucune obligation d’accepter des réfugiés à ce titre.

Quand l’intégration sur place n’est pas une option et que le retour volontaire n’est pas possible dans un proche avenir, la réinstallation peut être la seule solution durable, surtout dans les situations où les gens sont contraints à un exil prolongé. Mais pour être reconnu comme réfugié vulnérable par le HCR, il faut remplir des critères stricts et globalement, le nombre de places n’est que de 80’000 par année.

En vertu d’un accord de partenariat, le HCR négocie chaque année des quotas avec les Etats. Les Etats-Unis, le Canada, l’Australie et les pays nordiques fournissent ensemble près de 90% des places, mais il y a peu de flexibilité et de marge de manœuvre au niveau politique pour en augmenter le nombre. Et les pays ne sont pas nombreux à accepter les cas d’urgence.

La réinstallation sous les auspices du HCR implique la sélection et le transfert de réfugiés du pays dont ils ont demandé la protection vers un pays tiers qui accepte de les admettre – en tant que réfugiés – avec un statut de résidents permanents.

Sur les 10,5 millions de réfugiés dont s’occupe le HCR dans le monde, seul 1% environ est proposé par l’agence onusienne pour réinstallation dans un pays tiers.

Les critères de sélection sont stricts: besoin de protection légale et/ou physique, survivants de la torture et/ou de la violence, besoins médicaux, femmes et filles menacées, regroupement familial, enfants menacés, manque de solutions alternatives durables.

Pour 2013, le HCR estime que quelque 181’000 réfugiés auront besoin d’une réinstallation. Mais le nombre prévisible de places mises à disposition par les pays d’accueil n’est que de 81’000.

Par nationalité, les principaux bénéficiaires des programmes de réinstallation facilitée du HCR en 2011 ont été des réfugiés du Myanmar (21’300), d’Irak (20’000), de Somalie (15’700) et du Bhoutan (13’000).

Seuls 26 pays prennent régulièrement part aux programmes de réinstallation du HCR. Les Etats-Unis sont le pays du monde qui accepte les plus de réfugiés réinstallés. L’Australie, le Canada et les pays nordiques offrent également un nombre conséquent de places. Depuis quelques années, on assiste à une hausse du nombre des pays impliqués dans les réinstallations en Europe et en Amérique latine.

Un refuge en Suisse

La Suisse participe aux programmes de réinstallation du HCR depuis les années 50, mais elle a abandonné sa politique de quotas en 1998. Depuis 2005, elle n’a admis que de petits groupes de réfugiés vulnérables, à la demande de l’agence onusienne. La ministre de la Justice Simonetta Sommaruga peut accepter seule 100 arrivées d’un coup, mais au-delà, c’est au gouvernement suisse de décider.

En mars dernier, le pays a admis sept familles pour réinstallation, six originaires d’Irak et une de Palestine, avec dix femmes et 14 enfants qui avaient fui la violence armée en Irak pour chercher refuge en Syrie. En septembre 2012, un groupe de familles syriennes de même taille avait été accueilli en Suisse.

Depuis le début de 2011, 2401 Syriens ont également demandé individuellement l’asile à la Suisse, qui en a accepté formellement 342. Les autres sont autorisés à rester temporairement, vu qu’il est impossible de les renvoyer.

L’Organisation suisse d’aide aux réfugiés (OSAR) a qualifié ces admissions de «dérisoires», ajoutant qu’elles ne collent pas avec le discours «humanitaire» de la Suisse. «C’est presque rien, déplore le secrétaire général de l’OSAR Beat Meiner. Dans les années 90, pendant les guerres dans les Balkans, la Suisse a offert une protection temporaire à près de 100’000 Bosniaques et Kosovars. Je ne demande pas qu’on accueille 100’000 Syriens, mais on pourrait faire bien plus que ce qu’on fait actuellement».

Les mains liées?

L’OSAR a régulièrement appelé le gouvernement à revenir à sa politique d’accueil de plus grands contingents de réfugiés, mais sans succès. L’organisation demande également une simplification de la procédure d’obtention de visa pour les réfugiés syriens vulnérables qui ont de la famille vivant en Suisse.

Beat Meiner admet cependant que Simonetta Sommaruga, ministre socialiste, a eu de la peine à convaincre ses collègues du gouvernement et les parlementaires d’accueillir plus de monde, étant donné le climat tendu qui règne en ce moment en Suisse autour des questions d’asile. «Elle doit faire face à de nombreux problèmes de logement de requérants et elle doit défendre sa réforme en profondeur du droit d’asile, donc elle ne veut pas ouvrir un autre front avec trop de nouvelles arrivées», ajoute le patron de l’OSAR.

Johannes Van Der Klaauw, coordinateur pour les réinstallations au HCR, défend la position helvétique. «Jusqu’ici, la Suisse fonctionne sur une base ad hoc, mais elle a fait preuve de flexibilité et de soutien aux demandes du HCR pour accepter des groupes de réfugiés à réinstaller, principalement du Proche-Orient. Madame Sommaruga a exprimé le souhait d’adopter un programme régulier de réinstallation, qui a le soutien total du HCR, car il permettrait d’accroître la prévisibilité et la durabilité.»

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Ce ne pourra être que pire

Pendant ce temps, la situation en Syrie et dans les pays qui se partagent le fardeau des réfugiés ne semble pouvoir qu’empirer. Le HCR prévoit que d’ici la fin de l’année, le nombre de réfugiés fuyant la Syrie pourrait monter à 3,5 millions. Et l’agence onusienne est débordée et manque de moyens.

Tandis qu’il se débat avec une crise humanitaire urgente et cherche à réinstaller de petits groupes de non-Syriens – principalement des Irakiens, des Palestiniens, des Somaliens, des Afghans et des Soudanais -, le HCR considère que la réinstallation à large échelle de réfugiés syriens n’est «pas une priorité».

«Les Syriens ne parlent pas de réinstallation pour le moment. Ils veulent rentrer chez eux, explique un responsable de l’aide. Les Jordaniens et les Libanais se sentent concernés et veulent partager le fardeau. Ces pays sont très accueillants, mais ils ont toujours à l’esprit la question des réfugiés palestiniens. Ils ont peur de créer un pôle d’attraction, c’est pourquoi nous devons aborder cette question des réinstallations de manière stratégique».

Mais l’expérience des crises passées, comme celles d’Irak ou d’Ethiopie, le nombre de personnes touchées, les mouvements de population, les problèmes ethniques et religieux, tout indique que si rien ne change, un programme de réinstallation à grande échelle deviendra nécessaire, estime le HCR.

Pour l’instant, on ne peut que spéculer sur les délais, les chiffres et les futurs pays hôtes. Mais au vu de l’ampleur de la tragédie en Syrie, les principaux pays d’accueil devraient bien répondre à l’appel, explique William Lipsit, chef de la plateforme de réinstallation du HCR qui couvre le Proche-Orient et l’Afrique du Nord.

«J’ai confiance en le fait que si le HCR lance un appel, des Etats du monde entier vont monter dans ce train et accepter de partager la responsabilité avec les pays d’accueil actuels comme la Jordanie, le Liban et la Turquie», ajoute le fonctionnaire onusien.

*[prénom fictif, identité connue de la rédaction]

A la question «pourquoi la Suisse n’en fait-elle pas plus pour accueillir des réfugiés de la crise syrienne?», l’Office fédéral des migrations nous a répondu par écrit ce qui suit:

Depuis le début de la crise syrienne, la Suisse a reçu deux requêtes du HCR pour admettre des groupes de réfugiés syriens. Elle a répondu favorablement dans les deux cas et depuis l’automne dernier, elle a accueilli 73 personnes, dont 39 enfants.

Dans ses objectifs pour 2013, le gouvernement a approuvé une stratégie globale de réinstallation des réfugiés. Elle consiste en une politique renforcée, sur plusieurs années, d’accueil de groupes de réfugiés en Suisse de manière ciblée et structurée qui garantisse, en collaboration avec les cantons et les communes, leur intégration rapide. Une coopération étroite avec le HCR est essentielle pour choisir les réfugiés à accueillir.

 

Le soutien de la Suisse dans la région du conflit est également une priorité. La Suisse donne chaque année 34 millions de francs au HCR et a entrepris de fournir 30 millions d’aide humanitaire.

 

Les requérants d’asile ont la possibilité de recevoir un visa humanitaire de trois mois. Une personne dont la vie ou l’intégrité physique est menacée a toujours la possibilité de venir en Suisse pour déposer une demande d’asile. Pour cela, il faut que les autorités suisses soient convaincues que le requérant court directement un sérieux danger. Seuls ceux qui sont en danger imminent peuvent obtenir un visa humanitaire, qui est délivré par les missions suisses à l’étranger. Ainsi, les regroupements familiaux de réfugiés syriens en Suisse sont aussi possibles pour les époux et épouses et pour les enfants.

(Traduction de l’anglais: Marc-André Miserez)

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