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Accord institutionnel: d’un «non» clair à un «oui, mais…» hésitant

Personnes assises à une table en train de parler à un public.
Experte en droit européen, Christa Tobler a expliqué la situation juridique des relations entre la Suisse et l'UE aux membres de la Commission des affaires étrangères. Keystone

L’accord institutionnel entre la Suisse et l’Union européenne oblige les partis à prendre position. Mais ceux qui le font maintenant risquent de perdre des voix aux élections fédérales de l’automne. C’est pourquoi le mot d’ordre du moment est: rester équivoque, gagner du temps et envoyer des signaux dans toutes les directions. Et à ce jeu, c’est le Parti socialiste qui s’est montré le meilleur. Prise de température.

Il y a quelques jours encore, à la question de savoir s’ils acceptaient l’accord institutionnelLien externe négocié entre la Suisse et l’Union européenne (UE), les principaux partis politiques suisses répondaient: «pas ainsi». Mais désormais, le ton a changé. Mis à part l’Union démocratique du centre (UDC / droite conservatrice), tout le monde dit «oui» ou, pour le moins, «oui, mais…»

C’est un peu comme avec le secret bancaire suisse. En 2008, l’ancien conseiller fédéral Hans-Rudolf Merz déclarait à l’adresse du monde: «Vous allez vous casser les dents sur ce secret bancaire». Quelques mois plus tard, le secret était levé.

L’évolution est très similaire en ce qui concerne la résistance des partis gouvernementaux au projet d’accord institutionnel – hormis l’UDC qui l’a dès le début catégoriquement refusé. Les autres partis refusaient également jusqu’il y a peu ce projet d’accord institutionnel que la Suisse a négocié pendant cinq ans avec l’UE et qui avait été présenté officiellement le 7 décembre 2018.

La cause de cette hésitation est à rechercher du côté des prochaines élections fédérales, qui auront lieu à l’automne. Contrairement à l’UDC – dont les partisans soutiennent le refus ferme de leur parti – le Parti démocrate-chrétien (PDC / centre-droit), le Parti libéral-radical (PLR / droite) et le Parti socialiste (PS / gauche) doivent craindre la perte d’une partie de leur électorat s’ils prennent une décision ferme – et ce quelque que puisse être cette décision.

Volte-face socialiste

Ce constat vaut surtout pour le PS. En décembre encore, les représentants de l’aile syndicale expliquaient qu’ils n’accepteraient jamais un accord institutionnel qui affaiblirait, ne serait-ce que d’un cheveu, la protection des salariés suisses. Avec cette position catégorique, le PS se faisait le fossoyeur de l’accord – main dans la main avec une UDC traditionnellement europhobe.

Contenu externe

Le PS a ainsi fait fuir non seulement son aile europhile au Parlement – la conseillère nationale Chantal Galladé a même changé de parti et rejoint les rangs des Verts libéraux – mais également des pans importants de son électorat. Le dernier baromètre électoral de la SSR prévoit une perte de 1,4 point pour le PS à l’automne. L’analyse du sondage y a vu une réaction au refus de l’accord institutionnel par le parti.

Mais depuis son assemblée des délégués de dimanche, le PS défend désormais la position «Oui à l’accord institutionnel, Oui à la protection des salaires». Qu’est-ce que cela signifie concrètement? Le PS a-t-il changé d’opinion ou les mesures d’accompagnement visant à la protection des salaires restent-elles pour lui intangibles?

Lorsque la télévision alémanique SRF lui a posé cette question, le chef du groupe parlementaire socialiste Roger Nordmann a eu une réponse qui ne dit rien: «Nous voulons un accord institutionnel avec l’UE avec une protection salariale intacte». En revanche, la question que le PS a adressée au gouvernement est un peu plus parlante: «Comment la protection salariale actuelle peut-elle être maintenue». Le PS indique ainsi pour la première fois être prêt à la discussion sur ce thème.

PDC: pas à n’importe quel prix

La position du PDC prête moins à la discussion, bien que ce parti ait aussi glissé cette semaine seulement d’un «non» à un «oui, mais pas à n’importe quel prix». Comme les socialistes, les démocrates-chrétiens passent la balle au gouvernement. Le PDC réclame une loi d’application, au motif que le parlement et le peuple pourraient ainsi avoir leur mot à dire à un stade assez précoce dans le cadre d’une évolution dynamique du droit avec l’UE.

Un oui clair du PLR

Le PLR a dit «oui – par raison» à la fin février. Pour les libéraux-radicaux, des conditions économiques stables sont plus importantes que la souveraineté. A cela s’ajoute que pour le PLR, un assouplissement de la protection salariale ne signifierait pas perdre la face.

Mesures de protection salariale

L’UE et la Suisse sont en désaccord sur un certain nombre de dispositions de la Loi sur les travailleurs détachésLien externe

Celle-ci fait partie des mesures d’accompagnement de l’Accord sur la libre circulation des personnes (ALCP), en particulier pour assurer le niveau élevé des salaires et autres conditions de travail en Suisse. 

Parmi ces dispositions figure la règle dite des huit jours, selon laquelle les sociétés étrangères qui souhaitent opérer en Suisse doivent s’enregistrer en Suisse au moins huit jours à l’avance. Cela doit donner aux autorités suisses suffisamment de temps pour vérifier si les mesures de protection salariale sont respectées. L’UE souhaite réduire ce délai à 4 jours. 

L’UE n’est pas non plus d’accord avec la caution que les sociétés étrangères doivent déposer, avec la densité des contrôles et avec les sanctions en cas d’abus ou de contournement.

Mais est-ce vraiment l’objectif de l’UE de diminuer la protection salariale en Suisse?

L’UE reconnaît elle-même les mesures de protection salariale selon le principe «le même salaire pour le même travail au même endroit». Un problème toutefois: «Certaines mesures prises par la Suisse contreviennent, selon l’UE, à l’accord sur la libre circulation des personnes», explique Christa ToblerLien externe, professeur de droit européen à l’Institut européen de l’Université de Bâle.

Néanmoins, dans le projet d’accord institutionnel, l’UE est allée dans le sens de la Suisse en tolérant certaines mesures prises par la Suisse. «Il s’agirait d’une règle qui serait permise pour la Suisse, mais qui ne vaudrait pas pour les autres Etats membres de l’UE. Cela montre que l’UE reconnaît la situation particulière de la Suisse. C’est déjà une concession», estime Christa Tobler. Mais elle doute que l’UE soit encore une fois prête à accorder une réglementation spéciale.

Christa Tobler estime aussi que les socialistes jouent un rôle crucial. «S’ils continuent d’approuver l’accord institutionnel uniquement à condition qu’aucune ligne rouge ne soit franchie en matière de protection salariale, il n’y a pas beaucoup de chances pour que l’UE fasse d’autres concessions. Mais si leur position devient plus souple et qu’ils discutent de la nature des mesures tant que le niveau des mesures de protection salariale est garanti, les chances sont meilleures», analyse la spécialiste. Or les derniers signaux du PS vont dans ce sens.

Gage ou boomerang?

Le 18 mars, le Conseil national se prononcera sur ce que l’on appelle le milliard de cohésion, la deuxième contribution de la Suisse aux Etats européens économiquement plus faibles. D’ici cette date au plus tard, les positions devraient avoir été adoptées. Hormis l’UDC, qui rejette unanimement cette contribution de solidarité, les représentants du PLR et du PDC ont également indiqué qu’ils ne voulaient pas accorder d’argent sans condition. En 2018, le Conseil des Etats avait déjà décidé de n’octroyer le milliard qu’à condition que les relations avec l’UE s’améliorent.

On peut donc s’attendre à des signaux de fumée depuis la salle du Conseil national à Berne en direction de Bruxelles. La position de la Suisse à l’égard de l’UE deviendra plus claire. Il y aura aussi une clarification sur la scène intérieure, car on verra alors qui dit «oui» ou «non» – et qui ne reste pas sur un «mais», un «si» ou un «plutôt pas».

(Traduction de l’allemand: Olivier Pauchard)

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