Restitution des avoirs volés: la Suisse donne le «la»
La Suisse organise les 8 et 9 juin à Paris avec la Banque mondiale un Forum global sur le recouvrement des avoirs volés. Notre pays, riche d’une longue pratique dans ce domaine, peut-il faire école?
Un léger parfum de revanche flottera, ce mardi, dans les bureaux parisiens de la Banque mondiale. La Suisse, pas vraiment à la fête ces derniers temps sur le plan de ses institutions financières, va enfin pouvoir montrer l’exemple.
Avenue d’Iéna, Micheline Calmy-Rey pourra recenser non sans fierté les nombreux succès helvétiques en matière de restitution des avoirs volés: Philippines, Pérou, Mexique, Nigéria…
Sous les yeux envieux de la ministre française Christine Lagarde, hier si tranchante en matière de coopération fiscale, mais dont le bilan est assez maigre pour ce qui touche à la lutte contre la corruption.
Une première
Ce sera une première. Un Forum global sur le recouvrement des avoirs volés, organisé conjointement par la Suisse et la Banque mondiale. On y entendra Mmes Calmy-Rey et Lagarde, mais aussi la directrice générale de la Banque mondiale Ngozi Okonjo-Iweala, ainsi que des ministres norvégiens, sud-africains et autres. Il s’agira de partager les expériences nationales et aussi de faire un premier bilan de l’initiative StAR (Stolen Asset Recovery), lancée en 2007 par la Banque mondiale.
Ce Forum tombe à pic. La Suisse peut d’abord se targuer d’un bilan inégalé en la matière. Comme le rappelait récemment Valentin Zellweger, chef de la division Droit international public au Département fédéral des Affaires étrangères, au cours des 15 dernières années, la Suisse a restitué aux Etats concernés plus de 1,7 milliard de francs planqués par des potentats.
Chiffre qu’il faut rapporter au total de 5 milliards restitués par des places financières aux pays victimes. 5 milliards, autant dire une goutte d’eau, quand on sait qu’entre 20 et 40 milliards d’avoirs mal acquis quittent chaque année les pays en développement.
Montée en puissance
«Il ne s’agit pas de dire qu’on est les meilleurs. On a reçu de nombreux fonds criminels. On a essayé d’en restituer une partie, résume Daniel Thelesklaf, directeur exécutif du Basel Institute on Governance. D’autres places financières tentent de faire de même – le Luxembourg, le Liechtenstein, le Royaume-Uni et les Etats-Unis. Avec un succès relatif. »
«Une sorte de coalition monte en puissance, qui tente de trouver des solutions juridiques adaptées, note un responsable de la Banque mondiale. Coalition formée par la Suisse, les Etats-Unis, le Royaume-Uni, mais aussi l’Afrique du Sud et certaines places financières type Iles Caïmans.»
Le modèle suisse fait-il école? «L’exemple helvétique montre d’abord aux pays en développement, qui pourraient être découragés devant tous les obstacles juridiques, qu’il est possible de récupérer des fonds détournés, note ce responsable de la BM. Les nombreuses expériences suisses fournissent en outre un arsenal juridique dans lequel ces Etats vont pouvoir puiser.»
«On a en Suisse une certaine avance sur les autres. La législation antimafia nous a aidés dans ce combat, ajoute Daniel Thelesklaf. Mais arrêtons de pavoiser. On parle de la Suisse mais il s’agit en grande partie d’un bilan genevois, issu du travail de l’ancien procureur général Bernard Bertossa.»
La France concernée de près
La France, qui accueille ce Forum, a tout à apprendre dans ce domaine. Lundi dernier à Nice, Nicolas Sarkozy recevait, entre autres chefs d’État africains invités au sommet Afrique-France, le Congolais Denis Sassou Nguesso, le président de la Guinée équatoriale Teodoro Obiang et et le Gabonais Ali Bongo.
Au même moment, les deux premiers et la famille Bongo étaient visés par une plainte en justice. Plainte déposée par l’ONG Transparence International, visant les conditions d’acquisition des avoirs en France de ces «dynasties» africaines: maisons, appartements, voitures de luxe.
Un patrimoine considérable, qui représenterait 160 millions d’euros. «Quels que soient les mérites et compétences de ces dirigeants, personne ne peut croire sérieusement que ces biens ont pu être acquis par le seul fruit de leur travail», ironisait récemment l’avocat William Bourdon, dans le journal Libération. D’abord jugée recevable, la plainte a été ensuite rejetée par la Cour d’appel de Paris. On attend maintenant la décision de la Cour de Cassation.
Des années de retard
«En l’occurrence, c’est le procureur de la République qui aurait dû agir. C’est parce que dans cette affaire le parquet est défaillant que nous avons saisi la justice», remarque Daniel Lebègue, président de la section française de Transparancy International.
La France a peut-être des années de retard sur la Suisse dans ce domaine, il n’empêche que les associations helvétiques suivent ce cas avec beaucoup d’intérêt. «Chez nous, la nouvelle loi, qui sera bientôt discutée au Parlement, exclut que l’initiative vienne de la société civile, regrette l’avocate genevoise Sandrine Giroud, spécialiste de ces questions. La loi privilégiera les relations d’Etat à Etat. Or, sans l’intervention des victimes des régimes corrompus et de ceux qui les défendent, on n’ira pas très loin.»
Cette nouvelle loi, grande première mondiale, constitue une avancée majeure, reconnaît Me Giroud. L’idée est notamment d’éviter que les affaires Mobutu et Duvalier ne se reproduisent. Dans ces deux cas, faute de réponse appropriée de la part des gouvernements congolais et haïtien, la Suisse n’avait pu restituer l’argent bloqué.
Autre question: à qui rendre les fonds détournés? «C’est un gros problème. Les pouvoirs actuels des pays concernés sont parfois aussi corrompus que les dictateurs déchus», note un observateur suisse.
Une solution consiste à restituer l’argent sous forme d’aide au développement, ce que la Suisse pratique, notamment au Kazakhstan.
Mathieu van Berchem, Paris, swissinfo.ch
Marcos, Philippines (1986 – 2003): 684 millions de dollars restitués au pays.
Abacha, Nigéria (1999-2005): 700 millions de dollars restitués au pays.
Montesinos, Pérou (2002-2006): 92 millions de dollars restitués au pays.
Angolagate, Angola (2000-2005): 21 millions de dollars restitués au pays
Kazakhstan (1999-2007): 84 millions de dollars (60 millions sont toujours gelés)
Salinas, Mexique (1996-2008): 74 millions de dollars restitués au pays.
Mobutu, Congo (1997-2009): 6.7 millions de dollars restitués aux héritiers de Mobutu.
Duvalier, Haiti (1986-2010): 5,7 millions de dollars toujours gelés.
1. Prévention. La lutte contre la corruption dans les Etats avec lesquels la Suisse coopère occupe une place importante dans la politique extérieure et la politique de développement de la Suisse. Des mesures concrètes sont mises en place, par exemple dans le cadre de programmes de bonne gouvernance.
2. Identification. Les règles strictes de la législation contre le blanchiment d’argent obligent les banques suisses et tous les autres prestataires de services financiers non seulement à identifier les parties au contrat, mais aussi à déterminer qui sont les ayants droit économiques (…) Les banques suisses sont considérées comme étant à l’avant-garde de la lutte contre les fonds illicites et elles se sont imposé, dès 1977, des obligations de diligence très strictes.
3. Communication et blocage. Les banques et les autres intermédiaires financiers sont tenus de signaler toute transaction suspecte au Bureau de communication en matière de blanchiment (MROS) et de geler immédiatement les comptes sur lesquels pèsent des soupçons fondés. Le secret bancaire suisse ne protège pas contre la poursuite des infractions.
4. L’entraide judiciaire. Lorsqu’un Etat fait une demande d’entraide judiciaire, la Suisse lui fournit des informations sur les comptes suspects pour servir de moyens de preuve dans les procédures judiciaires.
5. Restitution. La Suisse recherche, avec les Etats concernés, les moyens de restituer les valeurs patrimoniales à leurs propriétaires légitimes. Le but est que ces fonds ne repartent pas dans le circuit des flux financiers criminels après leur restitution. Si l’origine illégitime des fonds est manifeste, la Suisse a même la possibilité de les restituer sans décision de confiscation entrée en force et exécutable de la part de l’Etat concerné (cas Abacha).
(Document DFAE)
En conformité avec les normes du JTI
Plus: SWI swissinfo.ch certifiée par la Journalism Trust Initiative
Vous pouvez trouver un aperçu des conversations en cours avec nos journalistes ici. Rejoignez-nous !
Si vous souhaitez entamer une conversation sur un sujet abordé dans cet article ou si vous voulez signaler des erreurs factuelles, envoyez-nous un courriel à french@swissinfo.ch.