S’engager contre la pauvreté au Tchad
Une délégation suisse s’est rendue au Tchad pour plaider en faveur d’une redistribution équitable des revenus du pétrole. Ils ont tiré le bilan de leur voyage la semaine passée à Berne. Quelques notes d’espoir sont apparues.
La délégation se composait, entre autres, du socialiste genevois Carlo Sommaruga et de la libérale-radicale zurichoise Doris Fiala. Ils ont fait le voyage au Tchad en compagnie de représentants de l’organisation non gouvernementale Swissaid.
Lors d’une conférence de presse tenue la semaine passée à Berne, à leur retour, le groupe en a appelé à plus de transparence dans la redistribution des revenus de la manne pétrolière. Car, malgré l’or noir, le Tchad connaît un taux de pauvreté extrêmement fort.
Les conditions de vie et de travail ont même empiré depuis le début des forages pétrolifères, en 2003. Selon les estimations, quelque 80% de la population du Tchad vit en-dessous du seuil de pauvreté. La majorité des habitants dépendent des productions agricoles et du bétail. Dans l’index de développement humain des Nations Unies, le Tchad arrive 170e sur 177 pays.
La mortalité infantile est élevée: 8% meurent durant leur première année et 20% décèdent avant leur 5e anniversaire, selon l’ONU. La directrice de Swissaid Caroline Morel évoque une détérioration «choquante» des conditions de vie pour la population locale, depuis son premier voyage en 2004.
«Le pays est riche en ressources naturelles mais ces dernières ne sont pas utilisées pour réduire la pauvreté», explique Caroline Morel à swissinfo.ch. Elle souligne particulièrement la corruption touchant les autorités. «Il faut exiger la transparence gouvernementale et une bonne gouvernance, affirme-t-elle. Il faut que ces revenus soient utilisés pour aider les gens pauvres.»
Sous l’égide de la Banque mondiale
L’exploitation du pétrole a commencé en 2003 au Tchad, avec un accord, conclu sous l’égide de la Banque mondiale, qui prévoyait que le gouvernement perçoive 14% du total des revenus du pétrole.
Près de 16’000 barils de pétrole sont produits chaque jour au Tchad. Esso, une des premières compagnies à s’être implantée au Tchad, estime que le pétrole a rapporté au total 4,3 milliards de dollars au pays en 2008.
Une loi stipule que 5% des revenus du pétrole doivent être alloués à des programmes de développement dans la région sud de Doba, région d’extraction pétrolifère. 20 autres pourcents doivent être consacrés au développement de différentes régions du pays et 10% sont prévus pour les «générations futures».
Mais tout cela reste sur le papier. En réalité, dénonce le coordinateur du projet Swissaid sur place, Olivier Ngardouel, la corruption touchant les instances gouvernementales a fait que la population n’a pratiquement rien vu de la manne du pétrole. Les revenus ont été consacrés à augmenter les dépenses militaires ou d’autres dépenses dont on ne voit pas le résultat.
«L’aire du pétrole était censée apporter la croissance économique et permettre de lutter contre la pauvreté, résume Olivier Ngardouel. Mais cela n’a pas marché, par manque de bonne gouvernance.»
Il y a pire encore: la production de pétrole a poussé les coûts de la vie quotidienne vers le haut, tout en amenant de nouveaux problèmes environnementaux et en faisant disparaître la production traditionnelle. La majorité des habitants n’a pas d’accès à l’eau potable, les conditions sanitaires sont insuffisantes et le système éducatif reste pauvre.
De plus, les compagnies pétrolières n’engagent pas d’ouvriers locaux mais importent leurs propres ouvriers, selon Carlo Sommaruga. Il n’y a pas de programme de formation pour la population locale. Les paysans qui ont perdu leur ferme, remplacée par une raffinerie, n’ont pas de possibilité de se recycler.
Mobiliser les forces locales
Les signes de ras-le-bol se multiplient. La population commence à se mobiliser pour faire valoir ses droits vis-à-vis du gouvernement et des compagnies pétrolières, ajoute Caroline Morel. «Les demandes de compensation pour le terrain perdu ou les arbres à mangues disparus se multiplient auprès des compagnies et certains ont obtenu gain de cause.»
Selon Olivier Ngardouel, des progrès ont également été faits sur le plan politique. Le gouvernement tchadien a signé l’année dernière une «Initiative pour accroître la transparence des paiements et revenus dans le secteur des industries extractives», qui pose des standards globaux pour améliorer la transparence dans l’industrie du pétrole, du gaz et des minerais.
«C’est une étape particulièrement importante, car l’extraction d’or, d’uranium et de calcium, découverts depuis le début des forages, pourrait commencer bientôt», ajoute le coordinateur.
Aide suisse au développement
Doris Fiala ne cache pas que ce voyage au Tchad avait été «dur» et «déprimant». Elle affirme vouloir s’engager, lors de la prochaine session de la Chambre du Peuplepour que le budget de l’aide au développement passe de 0,47% à 0,5% du produit national brut.
«Je suis absolument convaincue qu’aider les pays d’origine des réfugiés est le meilleur moyen d’endiguer le flot des migrants aux portes de l’Espace Schengen». En décembre dernier, le Parlement avait été à deux doigts de couper l’aide de 20%, pour finalement la maintenir à 640 millions de francs suisses.
«J’ai l’impression que beaucoup de mes collègues sont mal informés», note encore Doris Fiala. «Trop de gens pensent que nous donnons de l’argent à des pays corrompus et que cet argent disparaît.» Enfin, Carlo Sommaruga rappelle que des pays comparables à la Suisse, tels le Danemark, la Suède ou les Pays-Bas, ont fait passer leur budget d’aide au développement à 0,7% du PNB. «C’est à cela que nous devons aspirer en Suisse également.»
Population (estimation 2009): 11,2 millions
Taux demortalité infantile: 124 morts/ 1000 naissances
Espérance de vie: 48 ans
Taux d’alphabétisation: 37,2%
PNB: 6,8 milliards de dollars US
(Source: Banque mondiale)
1948. Swissaid a été créée en 1948.
9 pays. L’organisation est active dans neuf pays en développement: le Tchad, l’Inde, la Birmanie, la Guinée-Bissau, le Nigéria, la Tanzanie, l’Equateur, la Colombie et le Nicaragua.
169 projets. En 2010, Swissaid a dépensé 11,07 millions de francs suisses dans 169 projets.
Domaines. Swissaid travaille avec des organisations et les communautés locale pour mettre en place des programmes d’aide durable dans les domaines de la santé, de l’éducation et de l’environnement.
Traduit de l’anglais par Ariane Gigon
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