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Suisse-UE: Bruxelles se cabre

Le nouveau secrétaire d’Etat aux Affaires étrangères Yves Rossier se retrouve en première ligne. Reuters

La Commission européenne a proposé aux Etats membres de l’Union européenne (UE) d’adopter une «ligne de conduite» ferme vis-à-vis de la Suisse, dans le domaine institutionnel. Mais la porte aux négociations n’est pas fermée.

Les membres de l’exécutif communautaire ont approuvé le 26 septembre une «fiche» analysant les propositions helvétiques «sur les relations interinstitutionnelles entre l’Union et la Suisse» que la présidente de la Confédération, Eveline Widmer-Schlumpf, a transmises le 15 juin au président de la Commission, José Manuel Durão Barroso.

Le quotidien Le Temps a pris connaissance d’une version (sans doute pas définitive) de ce document, qui a été transmis aux Vingt-Sept, en vue d’alimenter leurs propres réflexions – il ne s’agit donc que du début d’un processus, ainsi que l’a fait remarquer le Bureau de l’intégration à Berne: «Il n’existe pas à ce stade de position de l’UE (…). Il n’est pas conséquent pas approprié que nous nous exprimions à ce sujet.»

Modernisation du bilatéralisme

Les ministres des Affaires étrangères de l’UE adopteront en effet le 10 décembre de nouvelles conclusions sur les relations entre l’Union et les pays de l’Association européenne de libre-échange (AELE), dont la Suisse fait partie. En décembre 2010, ils avaient réclamé une modernisation du bilatéralisme, le système actuel des accords sectoriels ayant selon eux «manifestement atteint ses limites».

D’ici-là, le secrétaire général du Service d’action extérieure de l’UE, David O’Sullivan, se rendra (avant la fin d’octobre, en principe) à Berne afin d’exposer son point de vue au secrétaire d’Etat suisse aux Affaires étrangères, Yves Rossier.

L’avis de la Commission est très négatif, du moins très critique, car la Suisse ne répond ni aux attentes de la Commission, ni à celles de certains députés européens: le 12 septembre, six démocrates-chrétiens (deux allemands, un autrichien, un français, un italien et un polonais) se sont plaints auprès de la Commission des «lacunes considérables» des propositions suisses, qui laissent des «questions clés ouvertes».

Un accord «modèle»

L’offre suisse se focalise sur «l’objectif cardinal d’assurer l’homogénéité (de l’application et de l’interprétation) des règles communes créées par les accords entre la Suisse et l’UE» et s’articule autour de quatre axes: l’adaptation des accords aux développements de la réglementation et de la jurisprudence de l’UE, la surveillance et l’interprétation des accords, le règlement des différends.

Tout le monde, à Bruxelles, se réjouit de cet objectif d’homogénéité affiché par Berne, ainsi que de sa volonté d’adapter de façon dynamique les accords aux évolutions du droit communautaire. Mais pas (du tout) des moyens qu’elle envisage afin de l’atteindre, dans un cadre de surcroît réduit, ce qui est inacceptable pour la Commission.

La Suisse suggère, pour commencer, de trouver une solution dans le cadre de l’accord sur l’électricité en cours de négociation, qui pourrait ensuite servir de «modèle» pour de futurs accords liés à l’accès au marché européen; l’UE, elle, réclame une «solution horizontale», transposable à tous les accords en vigueur et à venir.

«La Suisse veut se surveiller elle-même»

Le bât blesse à plusieurs autres niveaux. Selon Le Temps, la Commission déplore notamment «que la Suisse ne clarifie pas les circonstances dans lesquelles elle se trouverait dans l’impossibilité de reprendre l’acquis» de l’UE.

Les propositions suisses relatives à la surveillance de l’application (correcte) des accords laissent également à désirer, selon la Commission. La Suisse veut confier cette mission, sur son territoire, à une «autorité nationale indépendante» dont les compétences «seraient comparables à celles de la Commission» dans l’UE.

Bruxelles, de son côté, exige que la Suisse se soumette à l’autorité d’un organe de contrôle supranational – elle a déjà accepté de le faire dans le cadre de l’accord sur le transport aérien conclu en 1999, en reconnaissant les compétences de la Commission et de la Cour de justice de l’UE en la matière. Pour la Commission, en effet, il n’est pas acceptable que la Suisse puisse se surveiller elle-même.

Comment régler les différends?

Le mécanisme de règlement des différends dont la Suisse propose l’instauration pose lui aussi problème, du côté de Bruxelles.

  

Selon Berne, les divergences de vues devraient être discutées et résolues au niveau politique, au sein des comités mixtes chargés de gérer les accords. Au cas où cela s’avérerait impossible, la partie lésée pourrait prendre des «mesures de compensation appropriées et proportionnées» (des sanctions, en clair) dont une «instance arbitrale» serait chargée d’examiner la justesse.

La Commission est défavorable à l’établissement de cette procédure arbitrale, qui pourrait empiéter sur les compétences de la Cour de justice de l’UE. Aussi a-t-elle déjà évoqué la possibilité de créer une chambre spéciale au sein de la Cour de justice de l’AELE (créée dans le contexte de l’Espace économique européen), ce qui, en matière de règlement des différends, est inimaginable pour Berne.

Décembre 2010: les ministres des Affaires étrangères des Vingt-Sept décrètent que la voie des accords bilatéraux sectoriels «a manifestement atteint ses limites».

Le président de la Commission, José Manuel Barroso, le répète à l’envi aux différentes présidentes de la Confédération dont les visites se succèdent à Bruxelles: Doris Leuthard en 2010, Micheline Calmy-Rey en 2011, Eveline Widmer-Schlumpf en 2012.

José Barroso prévoit une visite en Suisse au début de 2013, quand l’UE aura consolidé sa position. Les ministres des Affaires étrangères des Vingt-Sept adopteront en effet le 10 décembre des conclusions sur les relations entre l’UE et la Suisse.

En attendant, personne ne restera les bras croisés. Les experts des Vingt-Sept poursuivront le 11 octobre l’examen des propositions suisses, qu’ils ont entamé le 1er octobre. David O’Sullivan, secrétaire général du Service d’action extérieure de l’UE, rencontrera avant la fin d’octobre à Berne le secrétaire d’Etat aux Affaires étrangères, Yves Rossier. De son côté, le secrétaire d’Etat suisse aux Questions financières internationales (y compris les affaires fiscales), Michael Ambühl, se rendra à Bruxelles à la mi-octobre.

Les questions institutionnelles et fiscales sont liées: plus l’Union se montrera ferme sur les premières, moins la Suisse sera encline à lui faire des concessions sur les secondes (fiscalité des entreprises et de l’épargne).

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