Sur la Toile, certains politiciens se croient au bistrot
Alors que la Suisse s’apprête à soumettre son bilan en matière de droits humains devant le Conseil des droits de l’homme, les propos racistes et discriminatoires de politiciens fleurissent sur la Toile. Tour d’horizon des affaires en cours.
Ils ont défrayé la chronique locale au cours des derniers mois. Un certain nombre de personnalités politiques ou de militants – principalement de l’UDC (droite nationaliste) – ont tenu des propos jugés discriminatoires envers les étrangers et les musulmans.
Il s’agit notamment d’une affaire de discrimination raciale saisie le mois dernier par le bureau du procureur du canton de Zurich contre Alfred Heer. Le député UDC au Parlement fédéral a déclaré à la télévision locale «Tele Züri» que les demandeurs d’asile tunisiens venaient en Suisse pour «devenir des criminels». Son cas est sur la table du Conseil national où Alfred Heer fait valoir son immunité parlementaire.
Le même bureau du procureur étudie aussi le cas d’un membre de la section zurichoise de l’UDC. Alexander Müller a en effet tweeté en juin dernier: «Peut-être avons-nous besoin d’une nouvelle Nuit de Cristal … cette fois contre les mosquées.» Alexandre Müller a entre-temps été renvoyé de son travail, a présenté des excuses publiques et a démissionné de son parti.
A Berne, le procureur du canton enquête sur une figure importante de l’UDC, l’ancien parlementaire Ulrich Schlüer, pour des propos considérés comme discriminatoires tenus en juillet sur un blog.
Et le mois dernier au Tessin, l’association Belticino – avec le soutien de personnalités politiques comme l’ancien procureur Dick Marty – a écrit une lettre au président de la Chambre du peuple du parlement fédéral pour protester contre un photomontage antimusulman sur la page Facebook de Lorenzo Quadri, un député populiste de la Ligue des tessinois laissant entendre que tous les musulmans sont des terroristes.
Renforcer la législation
Selon la Commission fédérale contre le racisme, il est temps pour la Suisse d’être plus sévère avec les politiciens qui font des remarques discriminatoires en public.
Dans son rapport pour le 2ème Examen périodique universel de la Suisse du 29 octobre à Genève, ce comité a déclaré que les migrants, les touristes étrangers et les demandeurs d’asile «n’ont pas reçu de protection adéquate contre la xénophobie et le racisme.»
Le rapport estime que les politiciens suisses peuvent faire des déclarations xénophobes «sans crainte de sanctions pénales dans une large mesure», ce qui fait passer la Suisse pour un pays qui tolère des opinions racistes.
La commission préconise l’introduction d’une législation anti-discrimination complète, ce que le gouvernement et le parlement rejettent. Elle propose aussi une application plus large, plus stricte de l’article 261bis (norme antiraciste) du Code pénal pour les cas de discrimination impliquant des acteurs politiques.
«L’article du code pénal est bien formulé, mais mal appliqué. Le racisme comme instrument de propagande politique n’est pas traité de manière adéquate par les tribunaux», souligne la directrice de la commission Doris Angst.
Un avis que partage Michele Galizia, responsable du Service de lutte contre le racisme au département fédéral (ministère) de l’Intérieur, soulignant que cette situation découle de la démocratie directe de la Suisse et son système politique fédéraliste.
«C’est vrai qu’il y a un risque de dérapage verbal, mais il est préférable de discuter ouvertement des questions, même délicates, plutôt que de les laisser sous le tapis», commente Michele Galizia.
Des propos très visibles
Il est clair que l’utilisation plus large des médias sociaux par des personnalités politiques n’a fait qu’amplifier les opinions exprimées et les problèmes. Ce qui a poussé l’UDC à se munir d’une réglementation plus stricte.
«Avec les médias sociaux, les gens ont parfois l’impression d’être au bistrot du coin où ils peuvent parler très ouvertement, sans trop réfléchir sur les implications de leurs propos», rappelle Michele Galizia.
Hans Stutz, journaliste lucernois qui couvre les questions de racisme et de discrimination, estime que l’UDC, le plus grand parti politique en Suisse, a un problème de contrôle de son aile droite. Ce qui est devenu plus visible avec les médias sociaux.
«Les mots et expressions utilisés n’ont pas changé, mais maintenant ils sont davantage publics. Personne ne s’opposant à ces propos racistes, ils deviennent de plus en plus extrêmes», remarque Hans Stutz.
Des cas individuels
En juin dernier, l’UDC a publié sur son site web et largement diffusé un éditorial condamnant» les attitudes racistes, qualifiées d’«intolérables», tout en avertissant des risques sur les médias sociaux.
Oskar Freysinger, l’une des figures de proue du parti nationaliste, est allé plus loin dans la version en ligne du journal gratuit 20 Minutes: «Les membres de l’UDC devraient arrêter d’utiliser Facebook. C’est bien trop dangereux.»
De son côté, Martine Brunschwig-Graf, présidente de la Commission fédérale contre le racisme, prend la défense de l’UDC, en disant que les cas mentionnés plus haut ne sont «clairement pas la position officielle de leur parti».
Et d’ajouter: «L’UDC n’est pas le seul parti qui a dans ses rangs des gens qui tiennent des propos discriminatoires ou racistes.»
Martine Brunschwig-Graf précise qu’elle a pris contact avec ce parti pour tenir une réunion en décembre afin de discuter des mesures de prévention contre le racisme. Des rencontres avec d’autres formations politiques suivront en 2013.
En Suisse, l’article 261bis du code pénal punit l’incitation à la haine ou à la discrimination en raison de l’appartenance raciale, ethnique ou religieuse.
Le Service de lutte contre le racisme (SLR) réalise et coordonne les activités visant à prévenir le racisme, l’antisémitisme et la xénophobie et apporte une aide financière à de nombreux projets dans ces domaines, ainsi que dans ceux de la lutte contre la discrimination, de l’intégration et de la migration, de l’école et de l’éducation aux droits de l’homme.
La Commission fédérale contre le racisme (CFR) a pour mandat d’analyser, d’étudier et d’observer le phénomène du racisme en Suisse et de conseiller les autorités dans la lutte à son encontre.
Soutenus par le SLR, la CFR et une dizaine de services de conseils de l’administration et de la société civile se sont constitués en réseau, afin de proposer des conseils professionnels et de rassembler des données sur les cas de racisme et de discrimination dans le pays.
En Suisse, les aspirants policiers doivent passer un examen dans le domaine des droits de l’homme et de l’éthique avant d’obtenir un brevet fédéral permettant d’exercer leur profession. Plusieurs polices cantonales et communales ont mis en place un module de formation sur les compétences interculturelles et la diversité, en sus des formations policières des cadres et spécialistes déjà proposées par l’Institut Suisse de Police.
Tiré du rapport de la Suisse pour son Examen périodique universel
(Traduction de l’anglais: Frédéric Burnand)
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