Sur le réchauffement, tout le monde est d’accord
C'est l'enjeu du 21e siècle. Ne rien faire contre le réchauffement climatique serait à terme bien plus onéreux que d'agir. Au Forum de l'OCDE à Paris, les orateurs sont unanimes. Les ministres devraient l'être aussi lors de la réunion de ce mercredi.
«Nous savons ce que nous devons faire et pourquoi nous devons le faire. Tout ce que nous avons à discuter, c’est qui va payer pour quoi». Tribun flamboyant et passionné, le Secrétaire général de l’OCDE Angel Gurría n’a aucune peine à convaincre de sa volonté d’empoigner le problème du réchauffement.
Face à ce qu’il tient pour «le plus grand défi de tous les temps», le Mexicain voit des solutions politiques et économiques. Et salue le récent accord des ministres de l’environnement du G8, qui recommanderont à leurs gouvernements de fixer un objectif de réduction des gaz à effet de serre de moitié d’ici 2050.
«Bien sûr, cela ne dit rien de ce qui se passe entre temps, admet Angel Gurría. Mais ce n’est pas parce qu’on fixe une stratégie à long terme qu’il n’y en aura pas à moyen terme».
Plus qu’une question d’environnement
Yvo de Boer, Secrétaire exécutif de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques, en attend lui aussi plus des huit économies les plus puissantes du monde. «Parce que ce genre de but à long terme ne dit rien de ce que chaque pays doit faire».
Pour lui, comme pour Angel Gurría, ce sera aux gouvernements de donner les impulsions. «Je ne m’attends pas à voir le monde économique le faire tout seul, explique Yvo de Boer. Sa principale responsabilité, c’est de créer de la valeur pour ses actionnaires».
Et le Néerlandais a pu constater que la prise de conscience progressait dans la classe politique. En témoigne le nombre de plus en plus important de ministres des finances, de l’économie ou des transports qui s’intéressent au problème, «parce qu’ils comprennent que ce n’est pas simplement une question environnementale».
50 milliards par an
Bon, mais cela ne dit toujours pas qui paye quoi ? Pour l’économiste indien Jagdish Bhagwati, chantre mondial du libre-échange, il est normal que ce soit d’abord les pays riches
«Bien des pays du Sud pensent que le Nord s’est développé depuis le 19e siècle en émettant beaucoup de CO2, alors pourquoi ne pourraient-ils pas faire de même ?», demande le professeur de l’Université de Columbia.
«Il est vrai que ces pays ont créé le problème du réchauffement, poursuit Jagdish Bhagwati. Et Dieu merci, ils en sont désormais conscients».
La solution ? Créer un superfonds, alimenté par les pays riches – par exemple 50 milliards de dollars par année sur dix ans – pour financer la recherche, le développement et le transfert des nouvelles technologies propres. Une idée qui fait son chemin, puisqu’elle a été proposée au plus haut niveau par le Mexique, le Danemark et la Grande-Bretagne.
«Ce n’est qu’à cette condition que nous pourrons demander à la Chine, à l’Inde et aux autres de payer pour la pollution actuelle», conclut Jagdish Bhagwati.
Demande populaire
«Le programme de développement économique le plus significatif du 21e siècle viendra des solutions que nous apporterons au réchauffement global», affirme pour sa part David Foster, directeur exécutif de la Blue Green Alliance.
Et ce partenariat stratégique entre le plus grand syndicat ouvrier et la plus grande organisation de défense de l’environnement des Etats-Unis fera tout pour que ce développement soit «plus équitable pour tout le monde».
Car pour David Foster, «la globalisation ne peut pas continuer sur le modèle actuel, avec les standards les plus bas en matière d’écologie et de conditions de travail».
Pour ce combat, l’ancien leader du syndicat des métallos de Minneapolis entend bien mobiliser la société toute entière. «Il ne suffit pas de venir à des forums comme celui-ci et de discuter avec des politiciens. Nous devons être actifs dans la société, dans les usines, dans le voisinage et créer une demande populaire».
«Parce que sans cela, avertit David Foster, les politiciens continueront à faire ce qu’ils ont fait jusqu’ici. Et leur manière n’est pas la bonne».
L’eau, un autre défi
Une société qui se mobilise pour demander simplement de meilleures conditions de vie, c’est ce qu’Asit Biswas aimerait bien voir aussi.
Président de l’Institut du tiers-monde de gestion de l’eau, domaine dont il est un des spécialistes planétaires, le professeur indien rappelle que l’accès à la source de vie est un autre enjeu majeur du 21e siècle.
Pourquoi ne voit-on pas encore d’émeutes de l’eau, comme on a eu les émeutes de la faim ? Pour Asit Biswas, c’est que la hausse des prix alimentaires est arrivée brutalement, alors que l’eau trop rare ou impropre à la consommation, on en a hélas pris l’habitude depuis longtemps.
«Il y a beaucoup d’intérêts en jeu, beaucoup de corruption, beaucoup d’incompétence dans ce domaine. Car en fait, il n’y a pas de raisons que les gens n’aient pas d’eau».
Un exemple parmi tant d’autres: «dans des villes comme Delhi ou Sao Paolo, plus de la moitié de l’eau que vous pompez n’arrive jamais au robinet, à cause des fuites dans le réseau. Ça ne coûterait pourtant pas très cher de l’entretenir».
«Je ne comprends pas pourquoi les gens ne font pas pression sur leurs gouvernements: pas d’eau, pas de voix aux élections», poursuit Asit Biswas. Bien conscient malgré tout que dans certains pays, le pouvoir n’a pas besoin d’élections…
Mais c’est un autre débat.
swissinfo, Marc-André Miserez à Paris
Depuis 2000, l’Organisation de coopération et de développement économiques a pris l’habitude de faire précéder sa réunion ministérielle annuelle d’un Forum, destiné à la fois à prendre le pouls de la société civile et à donner une plus grande visibilité médiatique à ses travaux.
Pendant deux jours, intellectuels, leaders sociaux et syndicaux, hauts fonctionnaires onusiens et chefs d’entreprise y débattent des thèmes qui seront ceux abordés par les ministres, chargés de prendre des décisions et d’émettre des recommandations.
Cette année, le Forum se tient les 3 et 4 juin au siège de l’OCDE à Paris, sous le thème «Changement climatique, Croissance, Stabilité». Le 5 mars dernier, l’Organisation a publié ses «Perspectives de l’environnement à l’horizon 2030», assortis d’un appel vigoureux aux pouvoirs publics dont, «l’inaction» risque de coûter très cher à la planète.
La Suisse, qui fait partie des pays fondateurs de l’OCDE, est très présente à ce Forum. La ministre de l’économie Doris Leuthard et son secrétaire d’Etat Jean-Daniel Gerber y participent à plusieurs tables rondes, et c’est Doris Leuthard qui sera chargée de présenter la synthèse sur le volet «changement climatique» à ses collègues ministres des autres pays.
«Nous avons été contre la politique de Bush depuis le début, rappelle David Foster. Ça été un terrible désastre, avec une augmentation des inégalités comme les Etats-Unis n’en avaient plus connu depuis 75 ans et une politique de l’environnement qui a radicalement décliné».
Pour le leader syndicalo-écologiste, tout vaudra mieux que cette administration-là: «Les deux candidats démocrates sont sur la même longueur d’ondes que nous et le républicain admet au moins que le réchauffement est une réalité, que l’homme en est responsable et qu’il faut faire quelque chose».
Plus concis, Yvo de Boer n’a qu’un mot pour dire quel rôle le prochain gouvernement du premier pollueur et de la plus forte économie du monde devrait jouer en matière d’environnement: «leadership».
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