Quatre bonnes idées suisses pour les plus pauvres de la planète
Des laboratoires high-tech de la Suisse vers les régions les plus nécessiteuses de la planète: une initiative fait coïncider les technologies innovantes de l’École polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL) avec les besoins des pays du tiers-monde. Présentation des quatre premiers projets.
Alors que la recherche académique dans les hautes écoles dure souvent plusieurs années, les organisations humanitaires doivent trouver rapidement de bonnes solutions pas trop ambitieuses. C’est pourquoi il existe désormais un projet qui met en relation la recherche suisse avec l’aide au développement ou, plus concrètement, qui lie les chercheurs de l’EPFL et leurs start-ups innovantes à des organisations sociales dans les pays du Sud. Ce programme s’appelle Tech4DevLien externe. Il s’agit d’une collaboration entre l’EPFL et la Direction suisse du développement et de la coopération (DDC).
«On développe à l’EPFL les technologies les plus modernes — et il y a des pays qui pourraient énormément profiter de ce savoir», indique la responsable du programme, Hilda Liswani. Les quatre premiers projets ont maintenant été choisis. Ils recevront pendant quatre ans un soutien financier de 300’000 francs et un tiers de la somme devra être dépensée dans les pays où le projet sera réalisé.
Voici les projets retenus:
«Le problème n’est pas qu’il n’y a pas assez de couveuses pour nouveau-nés au Kenya, mais elles ne sont pas adaptées aux conditions locales; elles sont trop chères, trop complexes, trop fragiles», explique Christine Gaulis, responsable du projet. Par ailleurs, de tels incubateurs qui stabilisent la température des nouveau-nés en leur fournissant de l’air chaud et humide nécessitent énormément de place. «Au Kenya, on installe souvent plusieurs bébés dans une même couveuse pour gagner de l’espace, ce qui augmente sensiblement le risque d’infection», déclare Christine Gaulis. En fait, la mortalité infantile, bien plus élevée dans les pays du Sud qu’en Occident, provient essentiellement d’infections à la suite d’une naissance prématurée.
À l’EPFL, le Centre EssentialTechLien externe cogite depuis un certain temps sur un incubateur robuste et bon marché. «Nous veillons à ce que les couveuses soient beaucoup plus petites, pour gagner de la place et pour ne pas pouvoir y mettre plus d’un bébé», explique Christine Gaulis, qui a longtemps travaillé pour les organisations humanitaires.
Par ailleurs, il y a souvent au Kenya des coupures d’électricité qui peuvent durer jusqu’à quatre heures. Pour que les incubateurs puissent continuer à fonctionner, les chercheurs y installent une batterie thermique qui peut pallier cette défaillance et qui nécessite moins d’entretien que les batteries traditionnelles. «Le but est que les couveuses puissent être réparées sur place, avec des pièces de rechange qui ne doivent pas être commandées en Europe ou en Chine», précise la responsable.
Un autre projet nécessite quatre bouteilles en PET, un bouchon en plastique et une bouteille de shampoing vide. «Nous voulons utiliser du plastique recyclé pour fabriquer des prothèses et autres équipements auxiliaires pour des handicapés physiques», dévoile Véronique Michaud, professeure de science des matériaux et responsable du laboratoire de traitement des matériaux composites avancés.
Son groupe de recherche utilise des imprimantes 3D. «Cela permet de personnaliser les prothèses et de les fabriquer sur mesure. Et l’impression en 3D n’est plus aussi coûteuse», indique-t-elle. Pour ce projet, c’est la Colombie qui a été choisie, un pays où vit un ancien élève et participant au projet, un pays aussi qui compte beaucoup de personnes amputées en raison des conflits passés contre la guérilla et les narcotrafiquants.
L’objectif est de rendre la production aussi facile que possible — d’où l’idée d’utiliser du plastique usagé qu’on trouve partout. «L’ajout de matériaux plus élaborés pourrait prolonger la durée de vie des équipements auxiliaires, mais cela nécessiterait aussi plus de connaissances techniques et de ressources», explique Véronique Michaud. Le projet, mis en œuvre avec des partenaires locaux, vise également à sensibiliser la société colombienne au tri des déchets.
Au Cameroun, on cuisine généralement au bois. Mais la déforestation peut entraîner de l’érosion et la fumée nuire à la santé. Sophia Haussener, professeure et responsable du Laboratoire de science et technologie des énergies renouvelables de l’EPFL, et le Camerounais Fredy Nandjou, ancien postdoc du laboratoire et créateur d’une start-up au Cameroun, sont donc à la recherche d’une façon de cuisiner plus durable.
Il existe déjà des appareils de cuisine qui fonctionnent uniquement à l’énergie solaire. «Mais ils sont trop éloignés de la réalité, parce que les gens ne veulent pas cuisiner uniquement lorsque le soleil brille, déclare Sophia Haussener. De plus, cela demande beaucoup plus de temps». L’objectif est donc de produire un combustible simple pour que l’on puisse cuisiner comme avant.
«Nous voulons utiliser l’énergie solaire pour produire de l’hydrogène à partir d’eau, qui peut être stocké dans une bouteille de gaz et utilisé dans une cuisinière. Autre avantage, l’hydrogène ne produit comme déchet, si tant est qu’on puisse l’appeler ainsi, que de l’eau. Bien que ce soit en petite quantité, c’est pratique pour les bébés ou les petits enfants», explique Sophie Haussener.
Cette méthode est encore en phase de développement en laboratoire. Mais le système sera testé au Cameroun d’ici quelques mois. Pour que le résultat soit utilisable sur place, l’innovation ne doit pas devenir trop complexe. Le système repose sur l’électrolyse. «Il ne s’agit pas d’une technologie extrêmement difficile à transmettre. Et deux ans de développement, c’est relativement court dans le domaine de la recherche», précise Sophie Haussener.
D’autres scientifiques de l’EPFL veulent produire du plastique à partir de plantes. En effet, le bois, les feuilles ou les coquilles de noix ont une structure chimique similaire à celle du pétrole. L’équipe autour du professeur Jeremy Luterbacher, du Laboratoire des procédés durables et catalytiques de l’EPFL, travaille sur une alternative au pétrole dans la production de plastique. «Il est aujourd’hui déjà possible de produire du plastique à partir de plantes, par exemple des bouteilles en PET, mais en plusieurs étapes. Nous aimerions faire cela en une seule étape», explique le professeur.
Ce plastique sera ensuite utilisé pour fabriquer des bâches pour les camps de réfugiés. Les chercheurs collaborent avec Medair, une ONG humanitaire au Bangladesh. «C’est un pays leader dans la production de textiles. Cela signifie que le plastique végétal pourrait être transformé localement et tissé en bâches», affirme Jeremy Luterbacher.
Cependant, leur plastique n’est pas complètement durable. «Nous nous concentrons sur une partie de la chaîne moléculaire que nous produisons à partir de plantes. Celle-ci doit ensuite être polymérisée avec une autre molécule que nous continuons d’obtenir à partir du pétrole, explique le professeur Luterbacher. Nous ne voulons pas réinventer la roue, l’innovation se situe dans la première partie de la chaîne moléculaire.»
Il serait ainsi possible de fabriquer environ 400 grammes de bâche plastique à partir d’un kilo de bois. Le reste de la matière extraite du bois pourrait être utilisé pour fabriquer d’autres produits, tels que du papier ou des parfums. Les chercheurs travaillent avec la start-up lausannoise Bloom Biorenewables, qui recherche également des alternatives durables aux produits pétroliers.
Le programme Tech4Dev incite les chercheurs à prêter attention à l’utilisation de leurs projets innovants. En règle générale, les chercheurs ne se soucient pas de savoir si leur plastique naturel est utilisé pour fabriquer une bâche pour un camp de réfugiés ou autre chose — ils s’intéressent avant tout au caractère innovant de la recherche. «Ce qui est nouveau pour nous, c’est qu’avec ce projet, nous nous concentrons sur le consommateur final. Dans la recherche, on s’occupe rarement de l’utilisation concrète», reconnaît Sophia Haussener.
C’est précisément ici que Tech4Dev est intéressant, car sans le financement, la majorité de ces projets n’auraient probablement pas été poursuivis. Les chercheurs sont également encouragés à rechercher des synergies avec des partenaires externes tels que des ONG ou des start-ups locales. Cela nécessite une approche différente. «La recherche essaie d’améliorer les recettes, par exemple pour obtenir le matériau le plus rigide. Ici, nous essayons maintenant de rendre les recettes aussi simples que possible, afin de les mettre en œuvre efficacement et durablement sur le terrain», explique Véronique Michaud.
Christine Gaulis, qui a elle-même travaillé dans l’humanitaire, y voit un grand avantage pour le travail de développement. «L’aide humanitaire est une aide d’urgence qui rend les gens dépendants. Le développement est une aide à long terme qui doit les rendre indépendants», dit-elle.
(Traduction de l’allemand: Olivier Pauchard)
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