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Tirs croisés contre le soutien suisse au barrage d’Ilisu

La ville de Hasankeyf et 199 sites historiques seront inondés par le barrage. facetoface.de

Le gouvernement suisse se trouve confronté à des demandes pressantes pour qu'il retire son aide financière aux sociétés suisses impliquées dans le projet de construction du barrage controversé d'Ilisu, au sud-est de la Turquie.

Au centre de ces critiques figurent quatre sociétés: Alstom Suisse, Maggia, Stucki et Colenco. Elles fournissent biens et services pour 225 millions de francs (202 millions $) dans le cadre du projet – aux côtés d’autres compagnies provenant de pays européens – et bénéficient d’une couverture d’assurance étatique.

Des voix s’élèvent dans les rangs des organisations d’aide au développement et parmi les parlementaires accusant la Turquie d’entorses aux normes sociales et environnementales. Et cela malgré ses promesses réitérées depuis 2006.

Question de crédibilité

Selon elles, si le gouvernement refuse de revenir sur son soutien, la crédibilité de la Suisse risque d’en pâtir.

Doris Leuthard, ministre de l’Economie, a déclaré au Parlement la semaine dernière que le gouvernement était tout à fait conscient de ce qui manquait à la Turquie pour adhérer aux accords internationaux.

Elle a mis l’accent sur la procédure qui pourrait déboucher sur le retrait du soutien de la Suisse au projet, sans spécifier quand la clause appropriée pouvait être invoquée.

«Si les conditions ne sont pas réunies, les trois compagnies d’assurance contre les risques à l’exportation pourraient engager une action à l’encontre des preneurs d’assurance selon les termes du contrat. En dernier ressort, les rapports contractuels entre les assureurs et les fournisseurs pourraient se voir annulés», a-t-elle déclaré au Parlement.

Elle a affirmé que c’était aux assurances de donner le signal et de lancer le processus, – en vertu de la clause de non-respect de l’environnement (Environmental Failure Notice) – ce qui gèlerait automatiquement la construction. La mesure n’a pas été appliquée auparavant.

Sous pression

Marlies Bänziger, représentante des Verts au parlement, estime que cette déclaration donne quelque raison d’espérer. Elle insiste toutefois pour que les autorités suisses agissent immédiatement.

«La réputation de la Suisse pourrait se trouver sérieusement ternie, si les Suisses ne se retirent pas. Je ferai pression pour que les assurances contre les risques à l’exportation soient privatisées, si le gouvernement ne parvient pas à prendre des mesures.»

Et d’ajouter que le système de fonds gouvernementaux pour les assurances contre les risques à l’exportation n’a de sens que si des exigences sociales et écologiques peuvent être imposées.

Sur la même lancée, la députée socialiste Silvia Schenker a interpellé le gouvernement pour qu’il notifie le retrait de la Suisse à la Turquie.

Par ailleurs, Silvia Schenker a souligné qu’il était crucial de couper les fonds avant que les travaux de construction du barrage d’Ilisu sur le fleuve Tigre ne commencent comme prévu dans l’agenda.

Les deux parlementaires constatent que les autorités turques ont eu plus de deux ans pour remplir quelque 150 critères pour bénéficier d’investissements étrangers de la valeur de 531 millions de francs.

Relations bilatérales

Bien entendu, un retrait suisse aurait des conséquences politiques et économiques plus larges et pourrait détériorer les relations avec Ankara.

Pascal Couchepin, président de la Confédération, et Doris Leuthard, ministre de l’Economie, vont se rendre en Turquie en novembre pour relancer les relations bilatérales.

Le mois dernier, le ministre turc des Affaires étrangères a rendu visite à la Suisse, qui fait apparemment office de médiateur lors de pourparlers secrets entre la Turquie et l’Arménie.

L’atmosphère a été tendue au moment de la discussion sur la reconnaissance du génocide de plus d’un million d’Arméniens au début du 20e siècle.

Absence étonnante de progrès

L’Assurance suisse contre les risques à l’exportation (ASRE) confirme que des experts indépendants ont constaté une absence étonnante de progrès de la part de la Turquie dans la mise en œuvre de standards internationaux. Mais elle met en garde contre des réactions hâtives.

«Nous croyons que la Turquie a encore du temps pour redresser les choses», déclare la porte-parole de l’ASRE, Sonja Kohler.

Elle affirme que les négociations sont en cours entre les parties en présence et que cela pourrait prendre plusieurs mois avant que la Suisse puisse se retirer.

Alstom Suisse, l’une des compagnies en relation d’affaires pour le barrage d’Ilisu, a déclaré avoir pris note de l’avertissement de Doris Leuthard, sans y apporter de commentaires.

Manifestations

L’ONG la Déclaration de Berne (DB) attend impatiemment des actes. «Durant des semaines, les autorités suisses ont promis de prendre les mesures nécessaires pour, finalement, ne lancer qu’un troisième et dernier avertissement», constate Christine Eberlein, porte-parole de la DB.

Néanmoins, Christine Eberlein félicite le gouvernement suisse «d’avoir au moins essayé de convaincre la Turquie de respecter les standards internationaux».

Elle juge «dévastatrices» les conclusions des experts indépendants et souligne que la Turquie n’a pas encore mis sur pied un comité spécial, chargé des questions sociales, culturelles et environnementales relatives au projet de barrage dans la région kurde.

Des manifestations sont prévues dans la région de Batman ces prochains jours, selon Christine Eberlein.

Environ 60’000 personnes doivent quitter leur maison pour être relogées. Certains monuments de valeur culturelle disparaîtront et l’eau du Tigre sera polluée à cause du barrage.

Des préoccupations subsistent concernant l’environnement social, particulièrement la répression de la population kurde en Turquie, mais aussi des tensions politiques potentielles avec les pays voisins tels que l’Irak et la Syrie.

swissinfo, Urs Geiser
(Traduction de l’anglais: Sima Dakkus)

Le barrage d’Ilisu fait partie d’un projet plus vaste de central hydraulique élaboré par les autorités turques en 1991. Vingt-deux barrages et 19 centrales hydrauliques sont en projet sur le Tigre et l’Euphrate dans le sud-est du pays.

Le barrage d’Ilisu aura une hauteur de 135 mètres et une largeur de 1820 mètres, avec un réservoir de 10,4 milliards de m2 d’eau.

Les autorités turques ont promis de remplir plus de 150 standards imposés par la Banque Mondiale et autres institutions internationales pour rallier d’autres investisseurs au projet.

Les ONG estiment que 60’000 personnes, en majorité des Kurdes de Turquie, devront être déplacées.

Quatre entreprises suisses – Alstom, Colenco, Maggia et Stucky – font partie d’un consortium international.

Ils bénéficient d’une garantie pour les risques à l’exportation de la part du gouvernement suisse de l’ordre de 310 millions de francs, à côté de crédits provenant de l’Autriche et de l’Allemagne.

Un précédent consortium avait échoué en 2002, lorsque plusieurs partenaires s’étaient retirés en raison de critiques énergiques venant de groupes écologiques et d’autres groupes de pression.

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