«Trois fois non et un vainqueur: la Suisse»
La presse dans son ensemble salue la sévérité du triple «non» de dimanche. Si les commentateurs estiment que le rejet de l’initiative Ecopop est un soulagement pour le gouvernement fédéral et le bilatéralisme, plusieurs mettent en garde contre toute surinterprétation en matière d’immigration.
«Ecopop a fait pschitt», «Un gros flop pour Ecopop», «Triple non cinglant!» «Plébiscite pour l’équilibre» «Les Suisses se donnent bonne conscience» «C’est la victoire du peuple suisse», la presse se surpasse dans la titraille pour commenter la votation de dimanche.
Pour «24heures», la défaite d’Ecopop est «un retour de flamme cinglant au grand coup de barre, sinon de gueule, de février», quand la population avait indiqué vouloir reprendre un contrôle de l’immigration économique. Le texte a été expédié «à sa seule destination possible: la poubelle».
«La Liberté» choisit de parler de l’«apaisement de novembre»: «L’année politique avait commencé par une bombe sortie des urnes: l’acceptation de l’initiative ‘contre l’immigration de masse’. Elle s’achève dans l’apaisement avec le rejet, dans un élan à l’ampleur inattendue, mais n’éteint pas le 9 février.».
«Molo, les ténors!»
En effet, le quotidien fribourgeois met en garde les «optimistes en nombre» qui veulent lire que le peuple aurait ainsi plébiscité la voie des relations bilatérales avec l’Union européenne. Molo les ténors! Le retour à un système de contingents pour la main d’œuvre étrangère et le principe de la préférence nationale restent inscrit dans la Constitution.»
La «Neue Zürcher Zeitung» se réjouit de ce que «le peuple pense manifestement que la Suisse ne va pas tout à fait dans le mur avec le bilatéralisme» et qu’un verdict contraire «aurait été fatal car il aurait privé le Conseil fédéral de toute marge de manœuvre dans sa recherche de compromis avec l’UE». Mais le quotidien zurichois tempère: la portée du vote «reste encore ouverte puisque les discussions avec l’UE n’ont pas encore commencé».
La presse étrangère
«Les Suisses ne sont pas si stupides», titre «Die Zeit» pour commenter le rejet d’Ecopop. Soulignant la «grande nervosité» d’avant le scrutin, le quotidien allemand souligne que «la relation entre la Suisse et l’UE de reste perturbée et l’avenir des contrats bilatéraux complètement incertain». Et de rappeler que les conservateurs ont annoncé une nouvelle initiative pour la suprématie du droit suisse sur le droit international: «Le peuple suisse aura bientôt une nouvelle occasion de mettre son intelligence à l’épreuve».
«La démocratie directe offre toujours des surprises», lance de son côté la «Süddeutsche Zeitung», qui conclut que la réponse claire des citoyens suisses montre qu’il ne faut pas les sous-estimer».
En Italie, «La RepubblicaLien externe» parle de «raclée» infligée aux initiants d’Ecopop .
En France, «La CroixLien externe» constate que «les Suisses tiennent aux paisibles pâturages qui font à juste titre la renommée de leur pays, mais pas au point de les entourer de barbelés.»
«Le ParisienLien externe» rappelle essentiellement ces mots opportunistes de Marine Le Pen au quotidien suisse «Le Temps» samedi: «Nous soutenons le peuple suisse dans ses votations contre l’immigration de masse intra-européenne.»
Evoquant le rejet des forfaits fiscaux, «Libération» retient de dimanche que «le refuge fiscal reste ouvert», car «les Suisses aiment les riches». Et de remarquer que «sur les 300 plus fortunés du pays figurent 49 ressortissants de l’Hexagone, détenant un patrimoine total de 55 milliards de francs.»
Le «Financial Times» choisit de commenter le rejet de l’initiative sur l’or de la Banque Nationale en précisant que cette dernière «peut souffler». Sur l’immigration, le quotidien estime que «le débat helvétique fait écho aux questions qu’on se pose un peu partout: ‘Combien d’immigrants mon pays peut-il digérer?’ Mais surtout: ‘De quel type d’immigrants a-t-il besoin pour assurer sa compétitivité?’ La Suisse a en tout cas choisi de cultiver les compétences locales tout en attirant les meilleures du monde».
«Ce n’est pas le stress, mais le scepticisme à l’égard de l’étranger qui a influencé les citoyens» lance le «Tages Anzeiger». Le quotidien zurichois estime qu’«il faut s’attendre désormais à ce que le Conseil fédéral précise la manière dont il compte appliquer l’initiative contre l’immigration de masse».
Et le «Tagi» évoque les «deux voies» qui s’offrent à la Suisse. La première,«pragmatique» mais «branlante», consiste à «sonder au maximum la marge de manœuvre du texte de l’initiative et de l’application de la libre circulation des personnes dans les pourparlers avec l’UE». La deuxième, «incertaine», consiste à «revoir complètement la relation avec une UE revêtant une géométrie variable à deux cercles. Un premier cercle constituerait une véritable union politique et le deuxième réunirait des Etats appliquant une intégration à la carte. Dans ce dernier, il y aurait aussi de la place pour une Suisse partiellement intégrée dans divers domaines, mais sans libre circulation sur le marché du travail».
«Pas de surinterprétation!»
«La Tribune de Genève» explique l’ampleur du «non» à Ecopop par le fait que les mêmes citoyens ayant accepté l’initiative de l’Union démocratique du centre (UDC, droite conservatrice) en février ont déposé cette fois dans l’urne «un vote vrai et non pas tactique», de protestation. Le quotidien conclut à une volonté de «corriger les erreurs de la campagne du 9 février». Mais il appelle toutefois à ne pas surinterpréter le résultat: «le peuple ne tolérerait pas une remise en question des nouveaux plafonds de l’immigration».
«Le Temps» estime lui aussi qu’il serait grave de penser qu’il s’agit «d’un retour en arrière des électeurs, d’un vote de correction». Certes, le peuple «a un peu recollé les pots cassés» en février, mais «la sévérité du score ne devrait rien changer à la stratégie» du gouvernement. «Si le peuple a refusé le texte d’Ecopop , c’est parce que le gouvernement a pu le convaincre de sa détermination d’agir dans le sens de la volonté populaire». Et le quotidien lémanique de parler d’une confiance «fragile».
«Un signal de maturité»
Soupir de soulagement dans la presse italophone de ce lundi, car, selon le «Giornale del Popolo», les sondages avaient pronostiqué un «oui» du Tessin, canton frontière à forte immigration, qui s’impatiente des tergiversations du gouvernement dans l’application du 9 février. «Eh bien non, cette fois la grande majorité des Tessinois a lancé un beau signal de maturité.» Et de saluer la valeur de la démocratie semi-directe de la Suisse.
Pragmatique, le «Corriere del Ticino» écrit: «Le peuple n’a pas voulu jouer avec le feu. Il a compris qu’en approuvant Ecopop, il aurait mis l’économie en grave difficulté, risquant de compromettre les services publics de base, à commencer par la santé qui repose sur un gros apport de personnel étranger.» Mais le quotidien tessinois lui aussi lance cet avertissement: «Cela ne signifie pas que le peuple ait changé d’idée sur les relations avec Bruxelles et veuille revenir sur ses pas.»
Les forfaits sont l’affaire des cantons
Quant au rejet de l’abolition des forfaits fiscaux, un système dont plusieurs cantons latins tirent largement profit, les journaux saluent un sage respect du fédéralisme, même de la part des cantons les moins concernés.
Pour «24heures», le refus massif d’abolir le système d’imposition à la dépense pour les résidents étrangers fortunés «s’inscrit dans un souci d’équilibre». «Pour la Suisse, l’enjeu majeur reste la réforme de la fiscalité des entreprises. Le peuple a saisi qu’il aurait été contre-productif d’y ajouter la suppression des forfaits fiscaux.»
«Aujourd’hui, le Valais doit dire merci au fédéralisme», comme les autres cantons qui tirent parti du régime des forfaits fiscaux, souligne «Le Nouvelliste». Pour le quotidien valaisan, «tous les ingrédients étaient pourtant réunis pour se faire du souci»: très peu de cantons concernés, un enjeu vital dans ces cantons pour quelques communes seulement ainsi qu’une «image du riche écornée».
Mais «L’Express/L’Impartial» appelle à «un durcissement des conditions d’octroi de ces forfaits» si les cantons qui en profitent «tiennent à conserver ces poules aux œufs d’or», relevant qu’une campagne «très agressive» des opposants à l’initiative a réussi à séduire les votants.
Pour la «Neue Zürcher Zeitung», les citoyens ont choisi de laisser le champ libre aux cantons en renonçant à faire appliquer une justice fiscale de façade. Le plus important dans ce vote n’est pourtant pas le maintien des forfaits fiscaux, mais bien qu’une mise sous tutelle des cantons ait été évitée.
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