Pourquoi les fonds du clan Ben Ali restent bloqués en Suisse
Plus de 43 millions de francs suisses issus du système de corruption établi par le clan de l’ancien dictateur tunisien Ben Ali restent bloqués en Suisse près de cinq ans après la Révolution.
En avril 2014, la Tunisie nouvelle croyait bien pouvoir récupérer 35 millions de francs suissesdétournés par Belhassen Trabelsi, beau-frère du dictateur, et mis à l’abri dans la filiale suisse de HSBC, après que le ministère public ait décidé de transférer l’argent aux nouvelles autorités. Le reste, soit 8 millions de francs suisses appartenant à d’autres membres du clan mafieux Trabelsi-Ben Ali n’a pas fait, bizarrement, l’objet de procédures ou de demandes tunisiennes de restitution.
C’était sans compter sur une décision du tribunal fédéral suisse en 2014 qui a donné raison au beau-frère en considérant que son droit à être entendu sur l’origine légale de ses fonds n’avait pas été respecté, ce qui avait abouti à l’annulationLien externe de la décision de transfert de fonds. Pour l’heure, ces fond sont bloqués jusqu’en janvier 2017. Depuis la Tunisie et la Suisse se renvoient la balle quant à la responsabilité de ce blocage.
La Suisse de son côté a conclu en juin 2015 un accord avec HSBC accusée dans l’affaire SwissleaksLien externe d’avoir organisé pour ses clients dont le clan Trabelsi-Ben AliLien externe un système élaboré de fraude fiscale. Alors que le Ministère public avait initialement porté plainteLien externe contre HSBC pour blanchiment aggravé, la voie de la transaction est finalement retenue. HSBC verse une amende de 40 millions de francs à l’Etat suisse pour les actes de blanchiment portant sur l’ensemble de ses clients. La banque échappe au procès. La clôture de la procédure pénale contre HSBC prive la Tunisie d’éventuels dommages et intérêts. Difficile de comprendre quelle est la stratégie du Ministère public qui a refusé de faire des déclarations à JusticeInfo.net sur les dédales de la procédure et cet arrangement avec HSBC.
Echec de l’entraide judiciaire
De fait, ni le mécanisme de l’entraide judiciaire entre la Suisse et la Tunisie, qui permet théoriquement une collaboration large afin de rassembler des preuves à l’encontre du clan Ben Ali, ni une nouvelle loi sur les biens mal acquis adoptés après les printemps arabes, n’ont permis d’avancer sur ce dossier. Cette LoiLien externe de 2015 sur les valeurs patrimoniales d’origine illicite (LVP) destinée à s’appliquer à des situations ou à des personnalités dirigeantes qui se sont enrichies indûment ne concerne pas la Tunisie, selon Berne.
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La restitution des fonds Ben Ali ne sera pas automatique
L’OfficeLien externe fédéral de la Justice (OFJ) assure ainsi que «comme l’entraide judiciaire fonctionne entre les deux Etats, la LVP ne saurait trouver application en Tunisie. Depuis le printemps arabe, la Suisse entretient des contacts étroits avec la Tunisie en matière d’entraide judiciaire. De nombreuses commissions rogatoires ont été adressées de part et d’autre et des fonds ont été bloqués en Suisse. Leur remise à la Tunisie se fera en principe sur la base de jugements tunisiens ordonnant leur confiscation.»
Par ailleurs, Pierre-Alain Eltschinger, le porte-parole du département fédéralLien externe des affaires étrangères suisse (DFAE) estime que la voie rapide à explorer serait «une décision rendue par les autorités de poursuite pénale du pays d’origine, soit la Tunisie. Le renouvellement éventuel du gel des avoirs à compter du 18 janvier 2017 dépendra notamment de l’avancement des procédures. Les autorités suisses compétentes ont transmis aux autorités tunisiennes des documents et informations à des fins probatoires.»
Lenteurs des Tunisiens
En d’autres termes, selon la Confédération, la balle est dans le camp tunisien. Une source anonyme proche des autorités suisses affirme que la justice tunisienne était excessivement lente dans ce dossier.
Du côté tunisien, interrogée sur ces questions lors de son passage à Genève au mois de septembre, Sihem Bensedrine, la présidente de l’Instance Vérité et Dignité (IVDLien externe) confirme l’urgence à ce que ces fonds soient rapatriés rapidement. «C’est une obligation que l’Etat tunisien doit assumer. Le fond pour la dignité qui permet d’indemniser les victimes n’est pas encore alimenté, et il doit l’être grâce aux fonds rapatriés. L’IVD va mettre en place une stratégie de rapatriement en s’adressant aux partenaires de la Tunisie, telle que la Suisse notamment, pour leur faire savoir que ces fonds ont été mal acquis, au prix de torture, meurtres, disparitions forcées, et viols. Il est donc normal et légitime que les fonds soient restitués.»
Depuis juin, l’IVD est censée jouer un rôle important quant à l’établissement de la vérité sur la provenance de ces fonds, notamment grâce aux procédures d’arbitrage qui permettent à des personnes de confesser volontairement les actes de corruption qu’elles ont commis en vue d’une conciliation. Ces confessions recueillies pourraient donc à terme relancer aussi la procédure dès lors qu’elles pourraient être reliées à des fonds présents en Suisse. On peut craindre que l’IVD – dont le mandatLien externe très large prendra fin dans deux ans – ne disposera pas d’assez de temps pour mener à bien cette nouvelle mission. En tout cas, à en croire la présidente de l’IVD, sur ces questions, la Tunisie demeure déterminée. Dès lors, on comprend mal ce qui freine la procédure. En tout état de cause, si le gel n’est pas prolongé le 17 janvier, rien n’empêchera Trabelsi de récupérer ces fonds volés à la Tunisie.
Cet article est paru une première fois sur JusticeInfo.netLien externe
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