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Un coup pour l’opposition, un coup pour toute la Russie

Les Moscovites ont été des milliers dimanche à rendre hommage à l'opposant disparu, sur le pont où il a été abattu. Reuters

Le meurtre de l’opposant Boris Nemtsov, en plein cœur de Moscou, a causé le choc, l’indignation et la tristesse en Russie, mais aussi à l’étranger. La presse suisse de lundi évoque avant tout le climat qui règne au pays de Vladimir Poutine: nationalisme exacerbé et guerre de propagande contre tout ce qui pense différemment du Kremlin.

Des dizaines de milliers de Russes ont défilé dimanche à Moscou, aux cris de «la Russie sans Poutine», brandissant des pancartes qui clamaient notamment «Je n’ai pas peur». La foule rendait hommage à Boris Nemtsov, adversaire virulent du président, abattu vendredi soir de quatre balles dans le dos en plein centre de la capitale.

Ministre réformateur devenu opposant radical

Boris Nemtsov incarnait la génération des jeunes réformateurs des années 1990 avant de devenir un virulent critique du président Vladimir Poutine. Physicien de formation, il avait commencé sa carrière peu avant l’effondrement de l’URSS, élu en 1990 au Soviet suprême, le parlement soviétique. Après avoir été gouverneur de la région de Nijni-Novgorod, il avait entamé une ascension fulgurante sous la présidence de Boris Eltsine.

De mars 1997 à août 1998, il avait obtenu le poste de vice-premier ministre chargé du secteur énergétique et des monopoles, secteur très convoité. Eltsine, dont il était très proche, avait envisagé un temps d’en faire son dauphin, avant de lui préférer Vladimir Poutine.

Limogé en août 1998, Boris Nemtsov bascule dans l’opposition lorsque son rival devient président. Aux législatives de 1999, il est élu à la Douma et rejoint le parti libéral SPS, dont il dirige une fraction qui se distingue par ses critiques virulentes envers Poutine.

En 2008, après avoir échoué à se présenter à l’élection présidentielle comme candidat unique d’une opposition affaiblie par sa disparité, il décide de créer le mouvement Solidarnost, sous l’égide de l’opposant et ex-champion d’échecs Gary Kasparov. Boris Nemtsov s’affichera comme figure de proue des manifestations qui ont secoué Moscou pendant l’hiver 2011-2012.

Après la réélection de Vladimir Poutine au Kremlin en mai 2012, il a continué à dénoncer les dépenses jugées excessives du président et la corruption, notamment lors des jeux Olympiques de Sotchi. L’influence de ce vétéran de l’opposition, très présent sur les réseaux sociaux, semblait cependant diminuer au profit d’une nouvelle génération d’opposants incarnée par Alexeï Navalny, de 17 ans son cadet.

Pour les quotidiens de l’arc jurassien «L’Express / L’Impartial» et «Journal du Jura», le nom du coupable, sinon direct, du moins indirect, ne fait aucun doute: «On peut considérer cette mort comme le signe de l’impunité et de la toute-puissance dont jouit un homme qui contrôle le pouvoir, les oligarques, les médias et l’opinion publique. Elle offre une diversion au front ukrainien, alors que l’offensive de déstabilisation militaire, politique et économique continue».

Et l’éditorialiste de noter que «malgré les sanctions économiques occidentales, de partout, Poutine pousse froidement ses pions en sachant pertinemment que le jeu d’échecs reste aussi une spécialité russe».

Affaire non-classée

Plus nuancée, la «Neue Luzerner Zeitung» ne voit «pas de logique» dans cette exécution. Pour le quotidien de Suisse centrale, «les deux camps vont continuer à s’affronter. Ceux qui ne confondent pas l’information avec les théories du complot que brasse quotidiennement ‘Russia Today’ [chaîne d’info en continu proche du Kremlin] vont considérer les premières versions comme un non-sens. Mais d’un autre côté, Poutine et ses collaborateurs n’ont-ils pas droit aussi à la présomption d’innocence, tant que leur culpabilité n’est pas établie?»

Car, estime encore la «Neue Luzerner Zeitung», «considéré d’un point de vue purement logique, le meurtre de Boris Nemtsov ne peut apporter que des ennuis au Kremlin. Mais en Russie, depuis le retour de Poutine à la présidence, la raison d’Etat se teinte de plus en plus d’irrationnel. Et Nemtsov ne serait pas le premier opposant dont la mort atterrirait dans le tiroir des affaires non résolues».

Course aux abysses

«A elle seule, la simple énumération des pistes que privilégie la police dans le meurtre de Boris Nemtsov pourrait suffire à dessiner la vision du monde qu’a le pouvoir russe», fait remarquer «Le Temps».

Quelles sont ces pistes? Une affaire personnelle, car bien entendu «les défenseurs du libéralisme et d’une démocratie à l’occidentale ne peuvent avoir de mœurs que dissolues». L’œuvre d’un esprit nationaliste, chauffé par la situation en Ukraine. Ou alors un djihadiste! «Manière de montrer que Russes et Occidentaux sont en réalité unis derrière un seul ennemi commun». Ou encore, «et c’est la thèse la plus insultante et la plus grossière: l’assassinat serait dû à une provocation, issue des rangs mêmes de l’opposition».

Au final, pour le quotidien romand, «l’assassinat de Boris Nemtsov peut se convertir en ultime cri d’alarme devant cette course aux abysses. Mais, dans sa brutalité, il peut aussi signifier la preuve qu’il est déjà trop tard».

Cinquième colonne

«Poutine n’a même pas eu besoin d’ordonner cette mort», jugent quant à eux l’«Aargauer Zeitung» et une demi-douzaine de quotidiens régionaux alémaniques. «En Russie règne en ce moment un climat de nervosité et de haine. La propagande d’Etat parle de ‘cinquième colonne’: manifester, c’est affaiblir le pays et renforcer le méchant Occident, dont les opposants sont évidemment des agents. Ce sont d’ailleurs les manifestants qui ont soutenu les ennemis de la Russie en Crimée et porté des ‘fascistes’ au pouvoir en Ukraine. Rien d’étonnant à ce qu’il se trouve des gens pour exaucer ces demandes muettes pour leur élimination».

Pour ces différents journaux, «ce meurtre à Moscou marque la fin d’un cycle. En Russie, l’ère de la démocratie avait commencé il y a 25 ans avec des meurtres de politiciens et de journalistes. Puis est venue une époque de ‘stabilisation’ et de relations une peu plus policées. Désormais, on semble revenu à un nouveau point de départ. Reste à souhaiter que le mot d’ordre n’en soit pas de ‘serrer les rangs autour de Poutine’».

La mort de l’espoir

Sur un ton nettement pessimiste, le «Tages-Anzeiger» de Zurich et le «Bund» de Berne notent que les manifestants de dimanche à Moscou «ne voulaient pas se laisser intimider par la terreur du régime Poutine, mais pour autant, ils n’ont pas scandé de solution, ni même de revendications. La marche exprimait avant tout la tristesse. Et pas seulement parce qu’il s’agissait d’une marche du souvenir pour Nemtsov, mais parce que de nombreux manifestants avaient fait le deuil de leurs espérances».

«Il y avait dans la foule de nombreuses personnes âgées, ces gens qui après la chute de l’Union soviétique avaient cru à un avenir de liberté et de démocratie pour leur pays. Pour eux, ce jeune politicien montant qu’était Boris Nemtsov représentait un espoir. Et maintenant, sa mort confirme ce qu’en fait ils savaient depuis longtemps: il n’y a pas d’alternative pour la Russie».

Contenu externe

La Suisse condamne un «meurtre brutal»

Le Département fédéral des Affaires étrangères (DFAE) a appris «avec consternation» la mort de l’opposant russe Boris Nemtsov, un «chef de file» du mouvement libéral en Russie. Il s’agit d’un «meurtre brutal», ont indiqué les services de Didier Burkhalter dans un communiqué diffusé samedi. Le DFAE souhaite que les autorités russes fassent tout leur possible pour que ce crime soit élucidé et que les coupables ne restent pas impunis. Une condamnation qui se joint à celle, à peu près unanime, de la communauté internationale.

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