Une école suisse pour les victimes du Sichuan
La Suisse va poser dans quelques jours la première pierre d'un jardin d'enfants dans une bourgade touchée par le tremblement de terre qui avait frappé le Sichuan, en Chine, il y a exactement un an. Un séisme qui avait fait au moins 87'000 morts, dont beaucoup d'écoliers. Reportage.
«Nous pouvons et nous devons rappeler [aux autorités chinoises] que dans notre conception, les pouvoirs publics ont un devoir d’information à l’égard des victimes et de leurs familles.»
C’est Blaise Godet – ambassadeur de Suisse en Chine – qui s’exprime, interrogé sur l’attitude des autorités locales à l’approche du premier anniversaire du séisme au Sichuan.
Presse censurée, journalistes expulsés, listes de victimes toujours pas publiées, causes de l’effondrement de milliers d’écoles passées sous silence, parents de victimes interdits de rassemblement, mal ou pas dédommagés, menacés et muselés… finies l’ouverture et la transparence affichées l’an dernier, le rideau de fer est retombé.
Faire oublier les événements du Tibet
Au lendemain du séisme, il s’agissait de faire oublier les événements du Tibet et de faire bonne figure à la veille des Jeux olympiques. Un an plus tard, plus besoin de charmer le monde. On cherche surtout à préserver les intérêts de quelques dirigeants locaux aux antécédents troubles.
La Suisse, dans cet environnement, veut faire entendre sa voix. «Nous sommes très attachés à la transparence et l’évoquons régulièrement, notamment dans le cadre du dialogue sur les droits de l’homme que nous menons depuis 1991 avec la Chine», rappelle Blaise Godet. Mais la Suisse, surtout, offre ses bons services pour venir en aide aux victimes de la catastrophe.
En ce matin du 13 avril, Stephan Titze et Felix Sutter débarquent à Long Xing, bourgade du district de ChongZhou, à 30 km au nord-ouest de Chengdu, capitale provinciale du Sichuan.
Au nom de la Chambre de commerce Suisse Chine de Shanghai (SwissCham), les deux Suisses co-président le projet de reconstruction d’une école maternelle qui pourra accueillir jusqu’à 400 élèves.. un peu plus d’un million de francs versés par la communauté suisse de Chine, entreprises, particuliers, avec aussi une contribution de l’aide au développement.
Le portrait des bambins
Initialement, la pose de la première pierre était prévue pour février. Elle avait été repoussée au 13 avril. Finalement, ce sera le 20 mai, l’école devrait pouvoir ouvrir avant la fin de l’année. C’est précisément pour régler les derniers détails que les deux responsables du projet ont fait le voyage, flanqués de deux journalistes et du photographe romand Petri de Pità.
Ce dernier vient dresser le portrait des bambins, futurs occupants de la nouvelle école. Il leur a demandé de lui dessiner leurs visions de l’avenir. Il fera de même ensuite dans une classe en Suisse et regroupera les meilleures illustrations dans un calendrier.
Poignées de mains, courbettes, discours de bienvenue, les officiels accueillent les Suisses dans ce qui reste de l’ancienne école de Long Xing, effondrée lors du séisme, mais sans faire de victimes. Sages comme des images, intimidés par cette horde d’adultes, les enfants s’entassent dans des pavillons de fortune.
Difficile de savoir s’ils apprécient vraiment les casquettes rouges à croix blanche et les crayons qu’on leur offre. Les séances photo sont crispées, on surveille chaque geste des enfants, chaque mot, tout comme on leur a suggéré les motifs des dessins.
Le droit de poser des questions
«J’ai l’impression qu’on est plus en train de nous montrer les choses positives qui ont été faites que ce qui reste à faire», commente Petri de Pità, qui se dit surpris par l’extrême timidité des enfants.
Pas question en tous cas d’aborder le thème du tremblement de terre, les journalistes doivent lourdement insister pour obtenir le droit de poser quelques questions anodines aux bambins.
Plus tard, lors de la rencontre avec le maire adjoint de ChongZhou, le reporter qui demande pourquoi les autorités du Sichuan refusent obstinément de publier la liste des victimes jette un froid durable.
Et le lendemain, le long repas très arrosé offert aux journalistes et photographes suisses par les autorités locales ressemble davantage à un empêchement d’enquêter qu’à un véritable geste d’amitié.
A Pékin, l’architecte Ai Weiwei, célébrissime concepteur du nid d’oiseaux, dénonce les mensonges des gouvernements locaux. Il recrute des centaines de volontaires qui sillonnent le Sichuan pour dresser la liste des enfants morts, et la publier sur son blog. L’artiste reconnaît qu’à ainsi défier le pouvoir, il a peur.
«Mais je crois que c’est un devoir que de rechercher la vérité. Regardez ces milliers d’écoliers, ils étaient innocents, et maintenant ils sont morts. C’est la preuve que de ne pas poser de questions n’est pas gage de sécurité. Je crois que la nation tout entière est en danger si l’on ne pose pas les bonnes questions.»
Alain Arnaud, Pékin, swissinfo.ch
Lundi 12 mai 2008, à 14h28 heure locale, un séisme s’est produit à environ 80 km à l’ouest de Chengdu, capitale de la province du Sichuan en Chine. La magnitude de moment est estimée à 7,9.
L’événement a été largement ressenti en Chine et jusqu’en Thaïlande et Taïwan.
Les autorités suisses ont contribué à hauteur d’environ 1,5 millions de francs à soutenir les populations frappées par le séisme au Sichuan, au titre d’aide humanitaire et d’aide d’urgence.
La Direction du Développement et de la Coopération (DDC) participe également au projet de reconstruction de l’école maternelle, à hauteur de 50’000 francs.
A noter que la DDC a lancé en 2002 un programme en Chine, qui a permis de former 20 instructeurs dans le domaine de la recherche et du sauvetage.
Enfin l’Entraide Protestante a promis un montant de 350’000 francs pour le Sichuan.
Nid d’oiseau. La célébrité de cet artiste chinois de 52 ans, concepteur du Nid d’oiseaux avec les architectes suisses Herzog et De Meuron, lui donnent la liberté de défier ouvertement le gouvernement.
Les morts. Sur son blog, l’architecte et designer change de casquette pour se faire statisticien: avec les centaines de bénévoles qu’il a recrutés, il répertorie les noms des écoliers morts lors du séisme.
Résistance. Presque toujours censuré par le régime, Ai Weiwei ne lâche pas prise. Il est bien décidé à faire toute la lumière sur la tragédie, et sa détermination a peut-être poussé le gouvernement du Sichuan à publier pour la première fois le 7 mai dernier le nombre d’élèves tués: 5335. «Un chiffre qui n’a rien à voir avec la réalité», commente Ai Weiwei.
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