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Une avocate au service des droits humains

Navi Pillay, haut commissaire pour les Droits de l'homme, prend la pose au Palais Wilson de Genève. Rodrigo Carrizo Couto

La Déclaration universelle des droits de l'homme a 60 ans. A cette occasion, Navi Pillay, haut-commissaire des Nations Unies pour les droits de l'homme, s'exprime sur la signification de sa charge et sur ses projets. Interview.

La juge sud-africaine est une personnalité chaleureuse qui montre des signes de bonne humeur, même lorsqu’elle analyse l’état des droits humains dans le monde complexe d’aujourd’hui. Interview.

swissinfo: Comment expliqueriez-vous le travail du haut-commissaire de l’ONU pour les droits de l’homme à quelqu’un qui ne connaît pas les mécanismes de cet organisme?

Navi Pillay: Mon poste a été créé par l’Assemblée générale des Nations Unies en 1993. Je représente les victimes du monde entier. Mon travail consiste à m’assurer que les droits humains ne sont pas violés et que les victimes reçoivent une protection adéquate. L’ONU voulait une personne qui représente sa voix au niveau international et qui la fasse écouter par les gouvernements.

swissinfo: Quelles sont les conditions nécessaires pour faire votre travail?

N. P. : Il faut de l’indépendance et ne pas se laisser intimider par le fait d’être confronté à ceux qui violent les droits humains, majoritairement des Etats. Je peux sans crainte dénoncer les violations des droits humains et faire des recommandations sur ce qui doit être entrepris. Mon indépendance signifie que je ne rends des comptes qu’à l’Assemblée générale de l’ONU et à son Secrétaire général.

swissinfo: Quels sont vos objectifs?

N. P. : Je crois que les défis sont nombreux. Le principal est que la communauté internationale prenne, enfin, les droits humains au sérieux. Je crois également qu’aider les ONG et la société civile à être plus fortes à l’heure de défier les gouvernements représente un défi.

swissinfo: Les Etats vous soutiennent-ils suffisamment au niveau financier?

N. P. : Nous opérons sur la base d’un budget régulier, mais nous dépendons beaucoup des donations des Etats membres. Il est vrai que certains Etats sont plus généreux que d’autres… ou qu’ils peuvent se permettre de donner davantage d’argent que d’autres.

Mais le plus important, c’est le principe: les Etats doivent montrer qu’ils souhaitent nous aider et soutenir notre lutte. Si nous n’avions pas de donations, nous ne pourrions pas faire le travail de terrain que nous effectuons.

swissinfo: Souvent, le public est surpris de voir au Conseil des droits de l’homme certains pays qui ne brillent pas vraiment dans le domaine de la défense de ces droits…

N. P. : Permettez-moi de vous rappeler que ce mercredi 10 décembre, nous célébrons le 60ème anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l’homme. Celle-ci contient «tous» les droits – civils, politiques, économiques, sociaux et culturels – auxquels un être humain devrait avoir accès. Chaque personne a le droit de vivre en paix, d’être traitée de manière digne, d’avoir de l’eau potable, de la nourriture en suffisance et les moyens nécessaires pour vivre.

Alors quel est le problème? C’est que, bien que les Etats aient accepté ces principes, ils n’assument pas les tâches nécessaires pour transformer ces principes en réalités. Mais nous comptons désormais sur le Conseil des droits de l’homme, un organe nouveau dans lequel tous les Etats membres acceptent de se soumettre à une évaluation critique de leur politique en matière de droits humains. Les Etats s’observent les uns les autres, mais pour que cela fonctionne, il ne faut pas qu’il y ait de jugement.

swissinfo: Nous sommes bien en train de parler de l’Examen périodique universelle (EPU)?

N. P. : Oui, exactement. Cette procédure est universelle et périodique, mais elle n’émet pas de jugements sur les Etats. Elle n’a pas pour but d’attaquer un pays en particulier. Il s’agit bien plus d’aider un Etat au travers de recommandations et d’observations sur son respect des droits humains.

Mon bureau est là pour fournir la coopération nécessaire et la capacité d’atteindre ces objectifs. Par exemple, en développant la société civile, en entraînant les forces de police, en interdisant l’usage de la torture. Nous venons aussi en aide aux ONG, étant donné que, dans de nombreux pays, elles sont encore très faibles. Nous les aidons à être conscientes de leurs droits et à être écoutées au sein du Conseil des droits de l’homme par rapport aux réalisations ou aux carences dans leurs pays.

Mais permettez-moi aussi de rappeler que le Conseil des droits de l’homme est très récent. Il n’a que deux ans et nous devons lui donner une chance! Il s’agit d’un concept important et d’une vision nouvelle. Mais il y a encore beaucoup de pays qui ne veulent pas que quelqu’un observe ce qu’ils font en matière de droits de l’homme. Ils ne permettent pas non plus la moindre critique de la part de la société civile et des populations.

Or, en moins de six mois, l’EPU a recueilli des informations sur 32 pays. Je ne crois pas que l’on puisse dire que c’est rien. Je crois au contraire que ce qui a été fait est très important.

swissinfo: Beaucoup d’analystes soulignent que certains Etats voient l’EPU comme une sorte d’ingérence impérialiste et occidentale et qu’ils ne sont donc pas très coopératifs. Comment peut-on faire des progrès dans de telles conditions?

N. P. : Oui, c’est une réalité. Beaucoup de pays, que je ne vais pas nommer, sont extrêmement hostiles à une analyse transparente. Et alors? Allons-nous rester les bras croisés et ne rien faire? Ou allons-nous soutenir un bureau international où tous devront passer par la RPU, les pays qui y sont hostiles inclus?

C’est le meilleur moyen que nous avons d’observer ces pays. Rappelons que le Conseil des droits de l’homme va analyser les 192 Etats membres. Auparavant, nous n’avions aucun mécanisme. Nous nous contentions simplement de nous plaindre et de dénoncer les violations des droits de l’homme dans certains pays.

swissinfo: Vous avez été juge du Tribunal international pour le Rwanda…

N. P. : En effet. Des crimes importants contre l’humanité et les droits humains ont été commis dans ce pays. Généralement, les responsables étaient des chefs politiques et militaires. Ces gens voulaient chercher refuge sur quelques plages agréables et luxueuses sans répondre de leurs crimes.

Mais maintenant, nous avons le Tribunal pénal international. Certains affirment qu’il est très lent; mais je le redis: avant, nous n’avions rien. Le TPI est dissuasif pour les dirigeants qui croient pouvoir commettre des crimes épouvantables et jouir de l’impunité.

swissinfo: A l’époque, vous aviez demandé que le viol soit considéré comme un crime contre l’humanité.

N. P. : C’était le cas. Je me suis rendu compte que le viol et les abus sexuels étaient très répandus et systématiquement utilisés comme arme de guerre. On le pratiquait avec l’intention manifeste de détruire une ethnie. Ce précédent juridique constant à voir le viol comme un crime contre l’humanité a ensuite été utilisé lors des procès qui ont suivi la guerre en ex-Yougoslavie.

swissinfo: Avec la Suisse Carla del Ponte, ancienne procureure du TPI pour l’ex-Yougoslavie, et la juge canadienne Louise Arbour, qui vous a précédé à ce poste, vous sentez-vous faire partie d’une «dynastie» de femmes extraordinaires qui luttent pour les droits humains?

N. P. : Je ne le crois pas. Il y a autant d’hommes que de femmes qui peuvent avoir les qualifications nécessaires pour exercer une fonction déterminée. Mais il est clair que les femmes ont été les grandes exclues de l’Histoire et cela signifie que plus de 50% de l’humanité n’a jamais participé à la prise de décisions importantes. Mais aujourd’hui, le fait qu’une femme occupe ce poste, c’est un événement (rires).

swissinfo: Une fois retirée de la politique, qu’aimeriez-vous laisser derrière vous?

N. P. : J’aimerais pouvoir constater que j’ai pu provoquer un vrai changement dans la vie des gens. J’ai voulu faire quelque chose qui contribue de manière significative à ce que les gens prennent conscience des droits humains.

Interview swissinfo, Rodrigo Carrizo Couto, Genève
(Traduction de l’espagnol: Olivier Pauchard)

Naissance en 1941 à Durban (Afrique du Sud) dans une famille d’origine indienne.

Communauté. Compte tenu de son origine très modeste, ses études universitaires ont été financées par sa communauté.

Apartheid. Après avoir obtenu son brevet d’avocat, elle s’est occupée de prisonniers politiques durant l’époque de l’apartheid. Elle a notamment obtenu une amélioration significative des conditions de détention dans la prison de Robben Island dont le prisonnier le plus célèbre fut Nelson Mandela.

Juge. Après avoir obtenu son doctorat à l’université de Harvard, elle fut la première juge «de couleur» de l’Afrique du Sud démocratique.

Nomination. Après avoir été juge du Tribunal pénal international pour le Rwanda, le Secrétaire général de l’ONU Ban Ki-Moon l’a nommée haut-commissaire pour les droits de l’homme.

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