Une biobanque pour partager rapidement les réponses aux crises sanitaires mondiales
L’Organisation mondiale de la santé (OMS) prévoit de lancer un nouveau système international de partage des échantillons de la recherche scientifique sur la Covid-19 et d’autres virus émergents. Une biobanque qui pourrait voir le jour en Suisse.
«Il arrive que des virus apparaissent dans des pays qui ont des capacités limitées pour les séquencer et les classer, constate Sylvie Briand, directrice du département de préparation aux risques infectieux mondiaux de l’OMS. S’ils sont capables de les expédier dans des pays qui disposent des dernières technologies de recherche, c’est bon pour le monde, les choses vont plus vite.»
Les vaccins, par exemple, pourraient être développés plus rapidement pour les agents pathogènes à l’origine d’une maladie ou d’une infection.
C’est en novembre dernier que le directeur général de l’OMS, Tedros Ghebreyesus, a lancé l’idéeLien externe, en déclarant que le «système de partage des agents pathogènes et des échantillons cliniques, convenu au niveau mondial, [faciliterait] le développement rapide de contre-mesures médicales comme biens publics mondiaux.»
Tedros Ghebreyesus propose l’établissement d’un dépôt hébergé par l’OMS dans une installation sécurisée en Suisse. Celui-ci devrait être régi par un accord de partage des échantillons sur une base volontaire. L’OMS pourrait ainsi faciliter le transfert et l’utilisation de ces échantillons.
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Selon Sylvie Briand, une équipe travaille déjà sur ce projet. Elle se concentre dans un premier temps sur la Covid-19 pour ensuite s’étendre aux «pathogènes émergents». L’OMS a déjà une expérience dans ce domaine, selon l’experte, notamment avec les dépôts de virus de la variole et de la grippe. Constitués après la pandémie de grippe de 2009, ces dépôts ont connecté un réseau de laboratoires permettant l’échange d’échantillons de virus pour la recherche.
Les autorités suisses n’ont pas souhaité commenter à ce «stade très, très précoce» la déclaration de Tedros Ghebreyesus selon laquelle la Suisse avait offert un laboratoire sécurisé pour soutenir l’initiative. Mais une source bien informée a confirmé que des pourparlers étaient en cours et que la Suisse est prête, en principe, à fournir un tel espace.
Ce projet nécessitera également de nouvelles modalités de gouvernance, selon une étude récenteLien externe du Centre de santé globale du Graduate Institute, afin d’assurer «un partage international rapide et équitable des échantillons d’agents pathogènes… avant la prochaine grande épidémie.»
Absence de normes
«L’accès international aux échantillons est essentiel pour comprendre les agents pathogènes et développer des médicaments et des vaccins pour les contrôler, mais il s’est avéré difficile de garantir un partage équitable des recherches avec les pays sources, relèvent les auteurs de l’étude. Cette question a suscité une attention et une inquiétude croissantes lors des récentes épidémies (Ebola, Zika, MERS et SARS-CoV-2), mais le système international pour y faire face reste totalement inadéquat.»
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Suerie Moon, co-directrice du Centre de santé globaleLien externe et coordinatrice de l’étude, pense que l’initiative de l’OMS pourrait être un catalyseur. «Une telle biobanque pourrait être un pas vers l’établissement d’un cadre international. Mais il faut que les diplomates se réunissent.»
Partage des connaissances et des remèdes
Le rapport du Graduate Institute souligne l’importance du partage des bénéfices, tels que les vaccins et les médicaments, ainsi que des échantillons de laboratoire pour la recherche scientifique. «Les scientifiques continueront-ils à partager librement leurs résultats s’ils estiment ne pas être traités équitablement en termes de bénéfices? se demande-t-elle. Je crains que non.»
Elle cite l’exemple des scientifiques chinois qui ont partagé les données de séquençage du génome au début de l’épidémie de Covid-19 en Chine. Cela, dit-elle, a permis le début du développement de vaccins, notamment par Pfizer-BioNTech, dont le vaccin a déjà été approuvé et est en cours de déploiement dans certains pays. Mais il est peu probable que les scientifiques qui ont initialement partagé les données partagent également les énormes avantages, notamment financiers, du vaccin.
Suerie Moon constate également qu’un «nationalisme vaccinal» est à l’œuvre, les pays riches se battant pour des accords bilatéraux avec les compagnies pharmaceutiques. Le programme de partage de vaccins COVAX de l’OMS est actuellement la seule réponse permettant d’inclure les pays en développement. Elle pense que l’OMS serait également bien placée pour aider à améliorer le partage équitable des agents pathogènes et des réponses médicales. «L’OMS est certainement bien placée pour réunir les principaux acteurs, car elle l’a déjà fait auparavant» avec son cadre de préparation à une pandémie de grippe (PIP) en 2011. L’un des principes clés de ce cadre négocié de longue date est que le partage doit se faire sur un pied d’égalité, en respectant les préoccupations de chacun, selon Suerie Moon.
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Un laboratoire suisse sécurisé
Elle pense également que la Suisse serait un pays approprié pour fournir l’espace sûr pour une nouvelle biobanque de l’OMS, car c’est un pays neutre, une «puissance intermédiaire de confiance», qui dispose d’une infrastructure de recherche et scientifique très développée et qui est également le pays hôte de l’OMS.
Mais selon nos informations, la Suisse ne dispose que d’un nombre limité de laboratoires de biosécurité P4 qui pourraient stocker ces agents pathogènes dangereux: un laboratoire des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG) initialement développé pour le virus Ebola, un laboratoire à Spiez en Suisse centrale, ainsi qu’un autre à l’université de Zurich. Le laboratoire de Spiez a la plus grande capacité de stockage et le mandat le plus large, qui comprend des échantillons nucléaires, chimiques et biologiques.
Selon notre source, la contribution suisse à ce programme de l’OMS pourrait impliquer un ou plusieurs de ces laboratoires, en fonction des besoins et de l’issue des discussions.
Selon Sylvie Briand, l’approche de l’OMS est pragmatique et vise à partir de quelque chose de concret, même si c’est peu, pour ensuite s’étendre. La priorité est de sécuriser un dépôt physique, d’où les discussions avec la Suisse. Il s’agit de questions complexes, à la fois techniques, logistiques et juridiques. «Nous espérons que ce sera une question de mois», déclare Sylvie Briand.
Suerie Moon souligne également l’urgence de la situation: «Nous n’avons actuellement aucun système fiable pour le partage des pathogènes et des médicaments, dit-elle. Cela rend le monde plus vulnérable à la prochaine pandémie.»
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