«Une façon d’échapper au mondialisme américain»
Les décideurs de plus de soixante pays se retrouvent à Québec cette fin de semaine pour le 12e Sommet de la Francophonie, avec une délégation suisse qui, pour une fois, n'est pas conduite par le président de la Confédération. Grand défenseur du français, Jean-Marie Vodoz en dévoile la trame.
Journaliste actif dans de nombreux cercles très soucieux de la langue de Molière (Fondation Défense du français, Union internationale de la presse francophone, etc), Jean-Marie Vodoz ne sera pas à Québec.
Cette année, le président de la Confédération sera, lui aussi, absent. Pascal Couchepin a décidé au dernier moment de renoncer à ce voyage pour suivre en Suisse la situation sur le front de la crise financière et les affaires du gouvernement.
Le secrétaire d’Etat Anton Thalmann dirige la délégation suisse. Occasion de contacts privilégiés et d’échanges au plus haut niveau (sur la crise financière en particulier), le sommet discutera aussi le plan d’action de la Francophonie pour les prochaines années.
swissinfo: Quel est votre regard sur l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF)? Certains la qualifient de «machin». Est-ce aussi votre avis?
Jean-Marie Vodoz: Je ne dirais pas «machin». C’est une organisation qui vient de se transformer complètement. Le congrès des gouvernements des pays membres n’avait aucun fondement juridique. Seule l’Agence de coopération culturelle et technique faisait l’objet d’un traité. On a élargi cette agence, qui est devenue l’OIF. Le sommet [qui est la plus haute instance de l’OIF] est une réunion régulière [tous les deux ans] de chefs d’Etat et de gouvernement, avec quelques opérateurs directs comme TV5. Non, ce n’est pas un «machin».
swissinfo: Mais concrètement, à quoi sert le sommet de l’OIF?
J.-M.V.: Les choses se passent à deux niveaux. D’abord, beaucoup de pays sont heureux de se retrouver en dehors de toute influence américaine. C’est une façon d’échapper au mondialisme américain.
Deuxièmement, ces pays qui cultivent la langue française, en tout cas comme langue de luxe quand ce n’est pas une langue courante, s’entendent de façon très familière. Beaucoup de ces chefs d’Etat se tutoient. Ce qui rend les relations internationales plus faciles, mieux huilées. Ils combinent toutes sortes d’arrangements, de traités, d’assistances, d’arbitrages.
swissinfo: Dans cette enceinte, des décisions concrètes sont-elles prises? A-t-elle une influence sur la marche du monde?
J.-M.V.: Ce que je viens de dire n’inclut par forcément une influence sur la marche du monde. Mais des décisions ont quand même porté très loin. Par exemple l’exception culturelle française, devenue la diversité culturelle [longtemps cheval de bataille de l’OIF], que l’Unesco a adopté et qui a été votée à la quasi-unanimité de ses membres.
Ce principe soustrait tous les biens culturels aux règles de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). On estime qu’en matière culturelle, chaque pays doit pouvoir conserver ses propres valeurs culturelles. Ce principe permet à chaque pays de se protéger.
swissinfo: La Suisse est-elle suffisamment active de votre point de vue dans l’Organisation internationale de la Francophonie?
J.-M.V.: Pour le moment, la Suisse est extrêmement active. Le président de la Confédération, quel qu’il soit, participe à chaque fois à ses rencontres. Il y noue des tas de contacts extrêmement utiles. En deux jours, il rencontre dix ou quinze homologues.
A Berne [au sein de l’administration fédérale], un service de la Francophonie, avec peu d’effectifs, travaille beaucoup. Je ne sais pas comment cela va évoluer, mais le président de la Confédération a eu jusqu’à maintenant un représentant personnel assez actif auprès du Conseil des ministres de l’OIF à Paris.
Dans les faits, la Suisse est un des plus généreux contributeurs de l’organisation [un peu plus de 8%, contre 40% pour la France]. Elle collabore aussi, par exemple, très activement à TV5.
(…) TV5, qui est la première chaîne d’information au monde – aucune, pas même CNN n’a autant de téléspectateurs – permet à notre télévision de se faire écouter et entendre dans le monde entier.
swissinfo: Par rapport à la langue elle-même, estimez-vous que la Suisse en fait assez pour défendre et promouvoir le français?
J.-M.V.: C’est évidemment un point très, très négatif. La Suisse est en train de céder totalement au «tout à l’anglais». Aussi bien dans l’administration, malgré quelques résistances très solides comme celle de la Chancellerie fédérale, que dans les milieux commerciaux, publicitaires ou universitaires.
Dans tous les secteurs ou à peu près, on se met à simplifier les échanges entre langues nationales en recourant à l’anglais. Cette évolution me fait grande peur pour la langue française, qui se dégrade manifestement. Il suffit de lire les journaux.
swissinfo: Quel avenir voyez-vous pour le français?
J.-M.V.: Bien malin qui saurait le dire. Il faut faire ce qu’on peut pour que le français ne devienne pas une pauvre langue régionale reléguée dans un coin et qu’il garde son rôle international. Mais pour ça, il faudrait une véritable révolution, aussi bien sur le plan intérieur que dans les milieux internationaux, à Genève, Bruxelles et New York notamment.
Il appartient aux pays francophones – et à la Suisse, qui est aussi un pays francophone – de défendre leur langue.
swissinfo: Le français a-t-il besoin d’une organisation comme l’OIF, ou sont-ce les politiques qui en ont besoin?
J.-M.V.: L’un et l’autre sont vrais. Lorsque la Francophonie a été réalisée par le président François Mitterrand, il s’inspirait des grands fondateurs – Léopold Sédar Sengor, le Tunisien Bourguiba, Aimé Césaire et quelques autres – qui voulaient que la langue française reste solide, universelle et respectée. En même temps, il a provoqué cette réunion de politiques, qui en ont profité pour débattre leurs propres intérêts en français.
Interview swissinfo, Pierre-François Besson
Les délégations de plus de 60 Etats et gouvernements ont rendez-vous à Québec entre le 17 et le 19 octobre pour le 12e Sommet de la Francophonie.
Au menu des discussions, la situation politique internationale mais aussi la démocratie et l’État de droit, la gouvernance économique, l’environnement et la langue française.
Plus haute instance de la Francophonie, cette conférence réunit les chefs d’État et de gouvernement des pays de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF).
Fondée sur le partage du français, l’OIF compte 55 États et gouvernements membres et 13 observateurs, totalisant une population de 803,44 millions de personnes.
Membre de l’OIF depuis 1989, elle participe à plusieurs organisations comme l’Agence universitaire de la Francophonie (AUF), l’Association internationale des Maires francophones (AIMF), TV5 Monde, l’Université Senghor d’Alexandrie.
La Suisse est aussi représentée au sein de l’Assemblée parlementaire de la Francophonie (AUF), de la Conférence des ministres de la Jeunesse et des sports des pays francophones (CONFEJES) et de celle des ministres de l’éducation des pays francophones (CONFEMEN).
Environ 200 millions de personnes parlent français sur les cinq continents (chiffres 2007, contre 175 millions en 2005).
La Suisse comptait grosso modo 1,5 million de Francophones en 2000, soit un peu plus de 20% de sa population.
Les francophones forment la 9e communauté linguistique mondiale. Ils se répartissent en Europe, en Afrique subsaharienne et en Afrique du Nord dans les proportions respectives de 42%, 39% et 11%.
Dans l’Union européenne, le français comme langue maternelle figure en 2e position pour le nombre de locuteurs (16%), après l’allemand (23,3%).
Le français est la 3e langue du Web avec 5% de pages Internet, après l’anglais (45%) et l’allemand (7%).
Dans le monde, quelque 83 millions de personnes apprennent le français. C’est la langue la plus enseignée après l’anglais.
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