Une guerre de Gaza dans un Proche-Orient en feu
Faute de processus de négociations de paix entre Israéliens et Palestiniens, la guerre a repris dans la bande de Gaza. Le contexte régional, lui, a changé avec la montée aux extrêmes du conflit entre sunnites et chiites qui met le feu à l’ensemble du Croissant fertile, du Liban au Golfe persique.
Comme en 2006, 2009 et 2012, la bande de Gaza s’est retrouvée ce mois de juillet 2014 sous le feu de l’armée israélienne, suite à des tirs de roquettes par la branche armée du Hamas et d’autres groupes palestiniens.
L’offensive terrestre a commencé
La trêve humanitaire de jeudi n’aura duré que cinq heures. Dans la nuit de jeudi à vendredi, Tsahal a lancé une opération terrestre dans la bande de Gaza. Vendredi matin, 13 Palestiniens, dont un bébé, avaient déjà été tués, portant donc à au moins 258 le nombre de Palestiniens tués depuis le début de l’opération israélienne «Bordure protectrice» à Gaza le 8 juillet. Un soldat israélien a également été tué lors de l’offensive terrestre. En outre, plus de 1770 personnes, en majorité des civils, ont été blessées.
Le secrétaire général de l’ONULien externe Ban Ki-moon a déploré le déclenchement de cet assaut terrestre et demandé à Israël d’agir «bien plus pour faire cesser les pertes civiles». Le secrétaire d’État américain John Kerry, dans une conversation téléphonique avec le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu, «a mis l’accent sur la nécessité d’éviter une nouvelle escalade et demandé que le cessez-le-feu de 2012 soit restauré dès que possible en réitérant son accord avec l’initiative de paix égyptienne».
Israël cherche à neutraliser la puissance de feu du Hamas, mouvement terroriste pour Israël et l’Occident, qui a frappé l’Etat hébreu avec plus de 1000 roquettes pendant 10 jours et a fait un mort. Dans un communiqué, le bureau de Benjamin Netanyahu a justifié le lancement de l’offensive par le «refus du Hamas d’accepter le plan égyptien pour un cessez-le-feu et la poursuite des tirs de roquettes sur Israël». L’objectif est «d’infliger un coup significatif aux infrastructures du Hamas».
De son côté, le Hamas a dénoncé «une étape dangereuse, dont les conséquences sont incalculables». «Israël va payer un prix élevé. Le Hamas est prêt à la confrontation», a déclaré le porte-parole du Hamas à Gaza, Fawzi Barhoum.
(Source: AFP)
«Le but stratégique est de faire cesser les tirs. On s’y emploie militairement, tant que la voie diplomatique échoue. Mais nous continuons, dans les coulisses, à travailler pour arriver, malgré tout, à appliquer le plan de cessez-le-feu égyptien », assure ce jeudi à swissinfo.ch Yigal Palmor, porte-parole du ministère israélien des Affaires étrangères (dirigé par Avigdor Libermann), qui précise parler au nom du gouvernement Netanyahou dans son ensemble.
Spécialiste de longue date du Proche-Orient, docteur en relations internationales à l’Institut de hautes études internationales et du développement (IHEID), Pascal de Crousaz estime que cette prise de position est crédible:
«Benjamin Netanyahou n’est pas vraiment un va-t’en guerre, contrairement au centriste Ehud Olmert et ses alliés travaillistes qui menèrent fin 2008 début 2009 une guerre dévastatrice pour les civils de Gaza. Dès le début de l’offensive israélienne, le Premier ministre israélien a fait savoir qu’au calme, il répondrait par le calme. Autrement dit, si le Hamas cessait ses tirs de roquettes, Israël cesserait son offensive militaire. »
Le meilleur plan, selon le gouvernement israélien
Yigal Palmor précise à propos de l’initiative égyptienne : «Jusqu’à présent, c’est le meilleur plan. Il jouit d’un très rare consensus de la Ligue arabe, de l’Union européenne, des Etats-Unis et d’Israël. Ce qu’il faut préserver. Il y a là un objectif diplomatique d’une très grande importance et une volonté de beaucoup d’acteurs de le voir se réaliser.»
Mais quid des Palestiniens ? « Impossible dans les conditions actuelles qu’il y ait une délégation palestinienne avec des représentants du Hamas», répond le porte-parole israélien.
Pascal de Crousaz nuance : «Même si dans sa charteLien externe (1988, ouvertement antisémite, ndlr) le Hamas rejette le droit d’exister à Israël, dans les faits, les chefs politiques du Hamas ont fait clairement savoir qu’il était possible de conclure avec l’adversaire une trêve de longue, voire très longue durée. Mais le Hamas n’entend pas mettre fin à ce round de confrontation sans obtenir dans un accord de cessez-le-feu au moins un allègement du blocus israélo-égyptien qui étouffe Gaza depuis des années et transforme ce territoire surpeuplé en une prison à ciel ouvert.»
Diplomate palestinien et directeur exécutif du Centre de Genève pour la promotion des droits de l’hommeLien externe, Imad Zuheiri enfonce le clou : «Le Hamas est un acteur de la scène politique palestinienne. C’est une réalité. Malgré toutes les différences que nous avons avec les gens du Hamas, dans la vision, dans la tactique et même la stratégie, nous avons trouvé un accord avec nos frères du Hamas et des autres formations politiques palestiniennes. En tant que membre du Fatah, nous devons agir comme des gens responsables. Nous sommes dans un processus de réconciliation nationale. »
Et le diplomate palestinien d’ajouter : «Le programme est le même pour tous: la création d’un Etat palestinien. Les moyens peuvent différer. Ce n’est pas facile après des années de rupture de revenir à une réconciliation. Surtout quand Israël fait tout pour la détruire, comme le montre ce qui se passe actuellement à Gaza, une offensive qui fait suite à la composition d’un gouvernement d’union nationale. »
L’Etat palestinien dans les organisations internationales
Ces guerres à répétition ont démarré après le retrait unilatéral et sans négociation des Israéliens de la bande de Gaza en 2005. Mais le ver est dans le fruit depuis la création de l’Etat d’Israël en 1948, comme l’expliqueLien externe sur son blog hébergé par Rue89, Jean-Pierre Filiu, professeur d’histoire à Sciences-Po (Paris) et auteur d’une Histoire de Gaza parue en 2012.
Avec ce dernier conflit, la création d’un Etat palestinien parait plus éloignée que jamais. Le gouvernement Netanyahou – le plus à droite de l’histoire d’Israël – n’a jusqu’ici guère montré de volonté réelle de négocier avec l’Autorité palestinienne et d’abandonner sa politique de colonisation, comme l’a montré l’initiative mort-née du ministre des Affaires étrangères américain John Kerry lancée l’année dernière.
Côté palestinien, on n’y croit guère non plus, vu l’échec de la lutte armée et les bien maigres résultats de l’option diplomatique choisie par l’Autorité palestinienne. Et ce, même en collaborant sur le plan sécuritaire avec le gouvernement israélien.
Mais tout n’est pas encore perdu, estime Imad Zuheiri :
«Il y a une 3e option, la voie légale avec l’ONU, la Cour pénale internationale et d’autres instances internationales. Ce champ juridique est très riche. L’Autorité palestinienne va poursuivre dans cette direction, en plus de la diplomatie et d’autres formes de résistances qui respectent le droit international humanitaire.»
Depuis la reconnaissance en 2012 de la Palestine par l’ONU et son Conseil de sécurité comme Etat observateur non membre, la diplomatie palestinienne tisse sa toile dans le système onusien avec des possibilités nouvelles en terme d’action légale. «Nous avons déjà ratifié une quinzaine de conventions internationales », précise Imad Zuheiri.
La guerre de trop dans un Proche-Orient en feu
Reste à mesurer l’impact de la guerre de Gaza sur un Proche-Orient en passe d’être recomposé par la guerre toujours plus intense que se livrent sunnites et chiites avec l’Arabie saoudite d’un côté et L’Iran de l’autre. En témoigne l’émergence d’un califat auto-proclamé à cheval entre la Syrie et l’Irak. Un territoire mouvant contrôlé par les djihadistes de l’Etat islamique (EI) et leur chef Abou Bakr Al-Baghdadi.
Réactions du gouvernement
La dernière déclarationLien externe officielle du Département fédéral (ministère) des Affaires étrangères depuis le début du conflit remonte au 3 juillet, suite à l’assassinat d’un jeune palestinien brulé vif. Le DFAE a également condamné, le 1er juillet, l’assassinat de trois jeunes Israéliens.
Le 10 juillet, le même ministère a répondu aux médias qui l’interrogeaient en soulignant:
«Le DFAE exprime sa préoccupation face à l’escalade de la violence dans l’ensemble du Territoire palestinien occupé et tout particulièrement dans la bande de Gaza, ainsi qu’en Israël. Il appelle à un cessez-le-feu immédiat. Il appelle toutes les parties au conflit à respecter leurs obligations de droit international, notamment celles concernant la protection de la population civile. »
swissinfo.ch
Pour l’heure, l’impact semble limité, selon Pascal de Crousaz :
«En théorie, la guerre de Gaza pourrait évoluer en vase clos. Pour les habitants de la région et en particulier le Croissant fertile qui va du Liban au Golfe persique, le grand enjeu, c’est l’affrontement par alliés locaux interposés entre l’Arabie saoudite et l’Iran, avec sa dimension religieuse et géopolitique. L’Etat tampon que constituait l’Irak est disputé par les deux camps depuis la chute de Saddam Hussein en 2003, suite à l’invasion américaine.»
Le spécialiste du Proche-Orient avertit : «En cas d’aggravation extrême du conflit à Gaza, aujourd’hui ou dans quelques mois, ou d’un nouveau soulèvement en Cisjordanie, les étincelles du vieux conflit israélo-palestinien risque d’embraser encore plus une région qui n’est pas prête de retrouver la paix. Outre le Liban d’où sont partis quelques tirs sur Israël, le maillon faible, c’est la Jordanie.
C’est l’un des rares pays qui échappent au conflit sunnite-chiite. Le pays est en grande majorité sunnite. Mais la Jordanie est en équilibre précaire avec 20% de sa population constituée de réfugiés syriens et une grande partie des Jordaniens d’origine palestinienne. Par ailleurs, une petite minorité des habitants est réceptive au message de l’EI, dont les troupes sont à la frontière est de la Jordanie. »
Une perspective dont ont parfaitement conscience les gouvernements de la région, comme les Occidentaux, selon Pascal de Crousaz.
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