Une politique des générations pour assurer l’avenir
L'Académie suisse des sciences humaines et sociales veut débloquer le débat sur la politique sociale. Sa recette: créer une «justice entre générations» en (ré)intégrant l’ensemble de celles-ci dans le monde du travail. Des propositions ont été remises à la présidente du Conseil national.
«Jamais, dans l’histoire de l’humanité, il n’y a eu cohabitation si importante entre (3, voire 4) générations. Nous pensons que l’évolution du style de vie peut être transformée et appliquée en politique de manière constructive, tout en encourageant le développement personnel des individus», lance Kurt Lüscher, responsable du réseau Relations entre générations.
Il est l’un des auteurs de «En route vers une politique des générations», une imposante publication présentée jeudi dernier à Berne par l’Académie suisse des sciences humaines et sociales (ASSH). Le titre annonce implicitement que la route sera longue.
«La famille se diversifie, avec des structures traditionnelles, recomposées ou monoparentales, remarque encore Kurt Lüscher. Mais il règne actuellement dans le discours public une ambivalence sur les relations intergénérationnelles et une tendance à l’individualisme: il faut donc qu’un dialogue entre générations puisse se développer aussi hors de la famille.»
Autrement dit: étendre le schéma familial des relations intergénérationnelles à toute la société. Favoriser une place pour chacun sur le marché de l’emploi afin de compenser le vieillissement démographique et de prévenir la faillite annoncée des assurances sociales.
Changer de vision
Elaborer une politique des générations ne signifie pas qu’il faut ajouter un segment supplémentaire aux politiques sociale, sanitaire, environnementale ou de la prévoyance, avertit Heinz Gutscher, président de l’ASSH. «Il s’agit plutôt de changer de vision et de définir une politique cohérente et globale de la famille, de la formation, du travail et de la fiscalité, ce qui permettrait de créer par ricochet un nouveau potentiel économique.»
La publication porte une attention particulière à l’éducation de la petite enfance, à la politique familiale, au monde du travail, au voisinage, ainsi qu’au droit civil et successoral.
Selon les statistiques fédérales, la pénurie de main-d’œuvre qualifiée se fait déjà sentir. Dans dix ans, le tiers des salariés suisses auront plus de 50 ans. Dans vingt ans, le rapport entre actifs et retraités passera de 2 à 1 (contre 4 à 1 actuellement).
Markus Zürcher, secrétaire général de l’ASSH, rappelle que «le vieillissement démographique ne pourra être couvert par l’immigration et la demande de travailleurs sera de plus en plus supérieure à l’offre».
«Les entreprises doivent donc se préoccuper le plus vite possible de la force de travail en général, comme les femmes, les jeunes, les vieux et, pourquoi pas, les invalides, relève l’historien et sociologue. Ce qui peut offrir une vraie chance pour ce type de travailleurs actuellement plutôt défavorisés.»
Plus de justice entre générations
«L’évolution des modes de vie nécessite une réforme du système de sécurité sociale à moyen terme. Notre démarche vise à l’intégration de tous et, donc, à réduire les coûts sociaux de manière drastique» poursuit Markus Zürcher.
Il y a le problème des vieux, et le problème des jeunes. Ces derniers constituent les «cas les plus coûteux»: les plus de 20 ans qui n’arrivent pas à s’intégrer dans le marché du travail doivent être soutenus à vie, sans payer d’impôts et sans contribuer au système social en général.
Et, bien sûr, il y a le problème des vieux, et le probable allongement de l’âge de la retraite de 65 à 67 ans ne résoudrait pas tout. Selon l’étude de l’ASSH, un tiers des travailleurs prend une retraite anticipée et un tiers continue à travailler. La moitié du premier groupe est forcée à partir et la moitié du second continue par obligation financière. Pour Markus Zürcher, c’est du gâchis.
Le chercheur s’insurge contre un grand malentendu: «Je suis agacé de voir les banques vendre leur prévoyance privée en promettant des vacances sous les cocotiers. Ce n’est pas vrai.»
Car la retraite, cela signifie souvent la perte de la structure sociale, des contacts, de la reconnaissance professionnelle, voire des difficultés financières. «Les études montrent que les gens qui travaillent le plus longtemps sont indépendants ou employés par de petites entreprises de 3 à 5 personnes, qui leur permettent de valoriser leur expérience», explique encore Markus Zürcher.
Des pistes concrètes
L’Union patronale suisse ou des syndicats comme travail.suisse planchent déjà sur ces questions en ordre dispersé. Avec sa publication, l’ASSH veut accélérer les choses. Elle invite toutes les instances concernées à prendre connaissance de ses propositions et à participer à un grand colloque public, le 18 novembre à Berne, pour élaborer des pistes concrètes.
«C’est un travail de longue haleine, conclut Markus Zürcher, mais c’est dans l’intérêt de tous. De plus, je pense que le soutien moral de Pascale Bruderer, présidente (démocrate-chrétienne) du Conseil national, va nous aider!»
Isabelle Eichenberger, swissinfo.ch
En 2029, les 131’000 baby-boomers de 1964 fêteront leurs 65 ans. Dès lors, l’Office Fédéral de la Statistique (OFS) table sur un vieillissement accéléré et inéluctable de la population suisse.
Dans tous les cantons, le pourcentage de personnes de plus de 65 ans s’élèvera à plus de 20% et la croissance de la proportion des grands vieillards sera massive (80% de 80 ans en plus d’ici à 2030).
Les régions alpines et rurales seront particulièrement touchées. Les cantons urbains comme Zurich, Genève, Bâle ou Vaud, bénéficieront de flux migratoires suffisants pour rééquilibrer leur pyramide des âges.
Le rapport entre actifs et retraités passera de 2 à 1 (contre 4 à 1 actuellement), les conséquences socioéconomiques seront multiples.
Créée en 1946, l’Académie des sciences humaines et sociales est une institution orientée vers la promotion de la recherche et est membre des Académies suisses des sciences.
En tant qu’organisation faîtière, elle regroupe environ 60 sociétés scientifiques, soit 30’000 personnes.
En 2006, le Réseau «Relations entre générations» a été mis sur pied en collaboration avec l’Office fédéral des assurances sociales (OFAS) et le Fonds national suisse de la recherche.
Il coopère avec neuf organisations, dont le Pour-cent culturel Migros, la Commission suisse pour l’UNESCO, le Zentrum für Gerontologie, la Jacobs Foundation, etc.
Le 19 août 2010, il a présenté la somme de ses travaux dans un recueil, «En route vers une politique des générations», qui sera au centre d’un colloque national, le18 novembre.
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