Vers une réforme de la gouvernance de l’Internet
Le mois prochain au Brésil, une conférence internationale devrait poser de nouveaux jalons pour assurer le futur de l’Internet. Expert basé à Genève, Jovan Kurbalija estime un compromis enfin possible, alors que le dossier est bloqué depuis 2006.
Comment contrôler l’architecture du Net et son organisme dédié, l’ICANN, régulateur mondial d’Internet chargé de valider les noms de domaines, comme .gov ou .com.? La question était au menu des discussions du Sommet mondial de la société de l’information (Tunis, novembre 2005). Faute d’accord sur le sujet, le sommet onusien a créé le Forum sur la gouvernance de l’Internet (IGF), un organisme piloté par le suisse Markus Kummer jusqu’en 2011 et censé rapprocher les points de vue.
Mais ce n’est que cette année qu’un accord semble à portée de main. Le gouvernement américain a annoncé vendredi dernier qu’il veut abandonner le contrôle de l’ICANN et ce via une division du département du Commerce des Etats-Unis, la National telecommunications and information administration (NTIA), dont dépend l’ICANN (Internet Corporation for Names and Numbers / Société pour l’attribution des nombres et des noms de domaine sur l’Internet).
Pour le 25e anniversaire du World Wide Web, son créateur a lancé la campagne «le web que l’on veut» demandant un Internet libre.
«Nous avons besoin d’une constitution mondiale, d’une charte», a déclaré au quotidien britannique The Guardian Tim Berners-Lee, qui publia le 12 mars 1989 un article considéré comme l’acte de naissance du World Wide Web.
«A moins d’avoir un Internet libre, neutre, sur lequel nous pouvons nous appuyer sans nous demander ce qui se passe en coulisses, nous ne pouvons pas avoir de gouvernement libre, de bonne démocratie, de bons systèmes de santé, des communautés connectées et la diversité des cultures», plaide aujourd’hui Tim Berners-Lee.
Qui ajoute: «Je veux profiter du 25e anniversaire pour que nous fassions tout cela, pour que nous reprenions la main sur le web et définissions le web que nous voulons pour les 25 prochaines années.»
La campagne appelle les internautes du monde entier à esquisser une «charte des utilisateurs d’Internet pour votre pays, pour votre région, et pour tous».
(Sources : ATS et AFP)
Dans son communiqué, la NTIA précise que la gestion de l’architecture du Net serait transmis à une «communauté internationale multipartite», sous l’égide de l’ICANN. Une conférence internationale sur Internet (NETmundial) doit se tenir à São Paulo au Brésil les 23 et 24 avril prochain. Une réunion au cours de laquelle le patron de l’ICANN dit vouloir «atteindre un consensus sur un modèle de gouvernance globale d’Internet.»
Jovan Kurbalija, fondateur de DiploFoundation , une organisation qui forme les diplomates sur la gouvernance d’Internet, estime également que la réunion de São Paulo pourrait définir les principes de base pour une nouvelle gouvernance de l’Internet, dont le statut futur de l’ICANN.
swissinfo.ch: Quel impact ont eu les révélations de l’ancien agent de la National Security Agency (NSA) Edward Snowden sur la gouvernance de l’Internet?
Jovan Kurbalija: Ces révélations ont changé l’esprit et l’atmosphère de la gouvernance de l’Internet dans le monde entier. La gouvernance de l’Internet, peut-être plus que beaucoup d’autres processus politiques, repose sur la confiance. Les révélations de Snowden l’ont ébranlée. Sans confiance, c’est la realpolitik qui entre en scène. Les gens se méfient les uns des autres. Ce qui pousse immédiatement à la protection des intérêts nationaux et à la régulation.
swissinfo.ch: Dans un article récent, vous avez peint différents scénarios pour ces cinq prochaines années. Vous privilégiez une solution qui intègre le Forum sur la gouvernance de l’Internet (IFG) et qui réunirait les gouvernements, les ONG et le secteur privé. Pourquoi?
J.K.: Il y a une convergence d’intérêts pour trouver un accord. Pour les États-Unis, qui défendent leurs intérêts économiques, sociaux et culturels, il est important d’avoir un Internet unifié. Les pays pauvres et émergents y trouvent quant à eux un nouveau canal de développement économique et social.
Pour les pays de l’UE et d’autres, comme la Suisse et la Norvège, il est également très pertinent de maintenir un Internet unifié, car ils dépendent de services mondiaux de l’Internet. Peut-être y aura-t-il assez de sagesse pour trouver une nouvelle formule qui permette de satisfaire dans l’ensemble ces intérêts spécifiques et d’assurer la croissance future de l’Internet.
J.K.: Il y a une convergence d’intérêts pour trouver un accord. Pour les États-Unis, qui défendent leurs intérêts économiques, sociaux et culturels, il est important d’avoir un Internet unifié. Les pays pauvres et émergents y trouvent quant à eux un nouveau canal de développement économique et social.
J.K.: L’espoir est grand. La façon dont le Brésil organise la conférence avec l’ICANN, l’institution clé dans le modèle actuel, montre qu’il existe une convergence d’intérêt pour trouver une nouvelle formule.
Il y a un consensus international pour que l’ICANN soit mondialisé, y compris aux États-Unis. Reste à savoir comment. L’option la plus réaliste est d’avoir une institution multipartite comme la Fédération internationale des Sociétés de la Croix -Rouge et du Croissant-Rouge. C’est sans doute pourquoi le système juridique suisse et l’emplacement à Genève sont attrayants pour l’ICANN.
swissinfo.ch: Vous privilégiez l’IGF sur l’ICANN ou l’UIT en tant qu’institution mondiale multipartite pour superviser la gouvernance de l’Internet. Pourquoi?
J.K.: L’ICANN gère les noms de domaine des adresses Internet comme .ch, .org ou .com. Ce rôle est extrêmement important, mais ne représente qu’une petite partie de la gouvernance de l’Internet. Il manque un forum où les acteurs peuvent répondre à des questions de gouvernance d’une manière pluridisciplinaire, qu’elles touchent la sécurité, le droit, l’économie, la culture, le social ou les questions techniques.
Il est nécessaire de parler sérieusement du rôle de l’UIT. Dans cette architecture émergente, les limites de l’UIT sont de plus en plus palpables. Les questions de gouvernance de l’Internet sont en effet de moins en moins techniques et touchent de plus en plus les droits humains, le droit, l’économie et les questions socio- culturelles. L’UIT n’a pas été conçue pour traiter de ces questions non-techniques.
Jovan Kurbalija est le fondateur et directeur de DiploFoundation, une organisation qui forme des diplomates sur des questions de gouvernance d’Internet. Il est aussi professeur associé au Collège d’Europe à Bruges, en Belgique.
Son livre, Introduction to Internet Governance, a été traduit en neuf langues et est utilisé comme manuel dans des universités du monde entier.
Il est actuellement membre du Comité directeur de NETMUNDIAL qui aura lieu du 23 au 24 avril à São Paulo, au Brésil.
Son organisation est aussi impliquée dans la création de Geneva Internet Platform. Ce projet soutenu par le gouvernement suisse a pour but d’agir comme un catalyseur pour des discussions visant à préserver un Internet unifié. Un des objectifs est d’aider les pays petits et en voie de développement qui ont été marginalisés dans ces débats.
(Adaptation de l’anglais: Frédéric Burnand)
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