Vladimir Poutine a réussi son pari, mais à quel prix?
Les Jeux olympiques de Sotchi, qui se sont achevés dimanche, ont été une réussite sur le plan organisationnel, relèvent la plupart des quotidiens helvétiques. Le bilan politique, économique et environnemental est, lui, beaucoup moins éclatant.
«Malgré un manque de ferveur et une piètre qualité de neige, les XXIIes Olympiades d’hiver ont souri à la Russie. Sur le plan sportif – le pays organisateur a dominé le classement des médailles – mais aussi sécuritaire, puisqu’aucun incident n’a été déploré», souligne La Liberté de Fribourg. Même son de cloche dans les colonnes du quotidien germanophone du canton, les Freiburger Nachrichten: «En dépit des critiques entendues avant les Jeux, la Russie a démontré qu’elle était capable d’organiser un événement international de haut niveau».
Dans un éditorial commun, la Tribune de Genève et 24 heures estiment que le sport a pris le dessus sur toutes les critiques entendues avant le début des Jeux: «Que de belles émotions, des champions en larmes et des Russes qui gagnent: sur le plan sportif, rien à déplorer. A l’exception du ski alpin, l’engouement populaire a aussi été à la hauteur de l’événement.»
Mais tous les journaux, à l’image de la Neue Zürcher Zeitung, ne se montrent pas aussi enthousiastes au lendemain de la cérémonie de clôture: «L’effet général laissé par ces Jeux, leur authenticité, sont douteux. Le méga-événement s’est déroulé dans une bulle artificielle, dans un monde parallèle. Ce qui a été montré était sympathique, mais filtré à travers des images de télévision parfaitement mises en scène.»
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Une arme de politique extérieure
Au-delà du sport, c’est surtout la démonstration de force de la Russie et de Vladimir Poutine qui est soulignée par la plupart des éditorialistes. «Ardent promoteur de la candidature de Sotchi, Vladimir Poutine souhaitait renvoyer une image prestigieuse de la Russie aux yeux du monde. L’ex-agent du KGB, qui a fait de ces JO le symbole de son autorité et de son influence, a réussi son pari», écrivent 24heures et la Tribune de Genève.
Pour Le Matin, ces deux semaines olympiques ont prouvé une chose: «Le sport, au moins autant que durant la guerre froide, est une arme de politique extérieure, de prestige. Poutine a gagné et le monde entier le sait. Son exemple va encourager d’autres nations, d’autres gouvernements, à s’engager dans cette voie. Dans cette fuite en avant, celui qui ralentira reculera.»
En fin de compte, note également la Berner Zeitung, on peut dire que Vladimir Poutine a réussi son pari, même si cela a été fait dans des circonstances «très douteuses». Le chef du Kremlin a, selon le quotidien bernois, démontré au monde la capacité de la Russie à «être exceptionnelle dans des situations exceptionnelles». Mais, poursuit la Berner Zeitung, «la vitrine perdra rapidement de son pouvoir d’attraction, car elle ne sera du jour au lendemain plus aussi bien décorée».
La médaille d’or de la sécurité
La Russie a remporté la médaille d’or la plus difficile à atteindre, celle de garantir la sécurité contre la menace terroriste provenant du Caucase voisin avec un déploiement de forces et de moyens sans précédent, mais discret et efficace, estime pour sa part La Regione Ticino. «Une grande partie de l’Occident avait manifesté son inquiétude et sa perplexité après les attentats kamikazes de Volgograd. (…) Mais le Kremlin et le gouvernement russe se sont empressés de dire, à la veille de la clôture des Jeux, que tout a fonctionné à merveille», souligne le quotidien de Bellinzone.
Chef des sports à la Radio télévision suisse (RTS), Massimo Lorenzi a également estimé dimanche soir à l’heure du journal télévisé que les Russes avaient réussi leur pari. «L’organisation des Jeux a été remarquable. Les transports étaient parfaitement organisés. La sécurité a été assurée sans la moindre paranoïa, de manière très discrète, avec beaucoup de courtoisie et de politesse. Les quelque lamentations sur les chambres d’hôtel sont dérisoires.»
L’émission Forum de la RTS a pour sa part peint un tableau beaucoup moins éclatant: «Des infrastructures sorties de nulle part, des expropriations pour les sites, pour les routes, de la répression contre les opposants aux Jeux: cela aussi fait partie de ce bilan des Jeux de Sotchi. Et si le bilan est très bon au niveau de la gestion au quotidien, il est catastrophique sur le plan économique, politique et environnemental.»
Nicolas Bideau, directeur de Présence Suisse, l’organe fédéral chargé de la promotion de l’image de la Suisse à l’étranger, dresse un bilan «plus que positif» de la présence de la House of Switzerland dans le parc olympique de Sotchi.
«Le pari que nous avons pris, une maison à la fois traditionnelle, en bois, mais très contemporaine dans ses lignes, a été apprécié. Nous avons pu utiliser certains clichés de la Suisse, comme le chocolat, la raclette ou les alpes, pour créer un contexte favorable à une communication plus ‘profonde’: notre capacité d’innovation, la collaboration entre nos deux pays, l’ouverture, etc.», a-t-il affirmé à swissinfo.ch.
La House of Switzerland a accueilli plus de 7000 visiteurs par jour durant les deux semaines olympiques, pour un total d’environ 100’000 visiteurs. Elle a également reçu la visite d’officiels russes, notamment du président Vladimir Poutine, et de fédérations sportives.
La crise ukrainienne s’invite à Sotchi
Le Temps, lui, relève que les Jeux de Sotchi ont été quelque peu ternis par les événements qui se sont déroulés en Ukraine: «Les Jeux olympiques de Sotchi sont une réussite éclatante pour le Kremlin, avec seulement deux ombres au tableau: la défaite prématurée de ‘la meilleure équipe du monde de hockey’ – dixit Poutine – et la crise ukrainienne.»
Un constat que dresse également la NZZ am Sonntag: «Au premier coup d’œil, les Jeux d’hiver ont été un succès pour Vladimir Poutine. (…) Mais le soulèvement à Kiev est arrivé au très mauvais moment. Il y a peu, Vladimir Poutine était encore considéré comme le vainqueur en Ukraine, mais la situation s’est entretemps inversée.»
Les événements en Ukraine ont mis en évidence le «lien étroit qui existe entre le sport et la politique», écrit pour sa part le Bund. «A la suite du bain de sang à Kiev, les athlètes ukrainiens voulaient envoyer un message de soutien. Mais le CIO n’a même pas accepté qu’ils portent un brassard noir. Lors d’une ‘conversation informelle’, on a convaincu la délégation ukrainienne qu’une minute de silence dans le village olympique était le meilleur signal», raconte le quotidien bernois.
Un modèle désuet
Les JO sont finis, mais les vrais problèmes, eux, ne font que commencer, notent pour leur part L’Express de Neuchâtel et l’Impartial de la Chaux-de-Fonds: «Après le coup de foudre arrive toujours le coup de tonnerre. Les gigantesques infrastructures sorties de terre survivront-elles à la folie des grandeurs olympique? Quelles seront les conséquences réelles sur l’environnement, sur l’économie du pays? Comme souvent, c’est le peuple qui va trinquer, et cette vodka-là risque fort de ne pas être de très bonne qualité… »
Pour éviter que l’héritage olympique ne laisse des «dettes et des ruines, comme l’ont montré les images récentes de Sarajevo et de Turin», Le Matin Dimanche plaide pour un changement profond dans le mode d’organisation des Jeux d’hiver: l’Europe, l’Asie et l’Amérique du Nord devraient chacun disposer d’un ou deux sites permanents pour accueillir tous les quatre ans le grand raout olympique.
Car, estime l’hebdomadaire dominical, «à l’ère du pragmatisme, le modèle de spectacle itinérant tel qu’il est appliqué aujourd’hui, dans un reste d’impérialisme, n’est plus adapté qu’à des candidatures mégalomanes, éloignées des astreintes budgétaires de notre époque comme des canons éthiques de notre société.»
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