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En France, la loi a suscité un «niqab contestataire»

niqabée
Karima sur la butte Montmartre, au nord de Paris, en 2010. Auto-entrepreneuse, Karima a continué à porter le niqab après le vote de la loi. C’est sa façon de manifester sa liberté de «faire ce qu'elle veut parce qu'elle se sent mieux ainsi», a-t-elle dit à Agnès De Féo. Agnès De Féo

Objet de votation en Suisse le 7 mars prochain, l’interdiction du voile intégral est en vigueur depuis 10 ans dans l’Hexagone. Ses effets sont mitigés, voire contre-productifs.

Il y a un peu plus de dix ans, le 11 octobre 2010, la France interdisait la dissimulation du visage dans l’espace public. Cela, alors qu’en 2009, entre 350 et 2000 femmes portaient la burqa ou le niqab.

Tant la droite au pouvoir qu’une partie de la gauche ont voté la loiLien externe devant le parlement. Une mesure souhaitée, d’après des sondages, par une majorité de la population française. Les femmes se couvrant le visage sont depuis lors passibles d’une amende de 150 euros, assortie d’un stage de citoyenneté́. De 2011 à 2017, selon le ministère de l’Intérieur, 1’977 contrôles ont été effectués sur la base de la loi de 2010. Ils ont concerné un millier de femmes et ont donné lieu à 1830 verbalisations.

Au delà des chiffres, cette mesure s’est avérée contre-productive. Loin de faire disparaître le voile intégral, la loi a, dans un premier temps, «fait naître une nouvelle attitude: le niqab contestataire, estime la sociologue Agnès De Féo. Elle a attiré de nouvelles partisanes du voilement intégral et en a conduit quelques-unes à se radicaliser.»

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Pour son livre Derrière le niqabLien externe, Agnès De Féo a enquêté pendant dix ans auprès de quelque 200 femmes «niqabées», pour reprendre le néologisme français, de Toulouse à la banlieue parisienne et de Lille à Bruxelles. Les femmes qu’elle a rencontrées ne correspondent pas au cliché en vogue sur les porteuses du voile intégral, celui de musulmanes soumises à leurs maris, pratiquant un islam radical.

Surtout des célibataires

«J’ai rencontré avant tout des célibataires, en partie converties à l’islam, confie la sociologue. Beaucoup portent le niqab dans l’espoir de rencontrer le mari de leurs rêves: pieux, si possible salafiste.» Chez ces femmes, le voile intégral ne témoigne pas nécessairement d’une pratique intense de la religion. «Leur discours religieux est souvent superficiel, leur connaissance des textes élémentaire», estime Agnès De Féo. 

La France n’est pas le seul État à avoir décidé de bannir la burqa et le niqab de l’espace public. Une loi similaire est entrée en vigueur en Belgique, en Bulgarie, au Danemark et en Autriche. Dans ce dernier État, le Parlement a aussi voté une loi interdisant aux fillettes de porter le voile dans les écoles maternelles et primaires. Mais la Cour constitutionnelle autrichienne a jugé cette loi discriminatoire en décembre dernier.

Aux Pays-Bas, le voile intégral est interdit dans les écoles, les hôpitaux, les bâtiments publics et les transports en commun, mais il reste autorisé dans la rue. En Allemagne, le port du voile a été interdit en 2017 pour les agents de l’État dans le cadre de leur fonction. Les personnes dont le visage est dissimulé ont aussi l’obligation de se découvrir en cas de vérification d’identité.

En Suisse, deux cantons interdisent déjà le port du voile intégral: le Tessin et Saint-Gall.

En dehors de l’Europe, l’Algérie a prohibé le port du niqab et de la burqa dans la fonction publique ainsi que dans les écoles, le Maroc a interdit la fabrication et la vente de burqas et la Malaisie ne permet pas à ses fonctionnaires de porter le voile intégral.

Dans ces cas, les stratégies matrimoniales comptent davantage que la pression du milieu familial. Et la loi n’a rien changé à l’affaire. «Elle a même eu un effet incitatif. Davantage de femmes ont porté le niqab après l’entrée en vigueur de la loi. Certaines ne portaient même pas le voile avant l’interdiction. C’est par attirance pour l’interdit et en solidarité avec la communauté musulmane stigmatisée que ces jeunes femmes ont commencé à revêtir le voile intégral. » 

Agnès De Féo estime qu’un tel phénomène pourrait se produire en Suisse si l’initiative interdisant la burqa et le niqab était approuvée le 7 mars par les citoyens. «L’interdiction et la médiatisation de la loi vont créer une volonté de revendiquer son identité de manière visible», estime-t-elle. Alors que la Suisse ne compte que quelques dizaines de femmes portant le voile intégral, selon les estimations du sociologue Andreas Tunger-Zanetti. 

>> A voir Niqab Hors-la-loi, un documentaire réalisé en 2012 par Agnès De Féo (52 ‘ )

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Le jilbab remplace le niqab

Depuis 2017, le phénomène en France s’est raréfié. Stimulée par l’offensive du groupe État islamique en Syrie et Irak dès 2012, la surenchère du voilement est retombée. «Pour les musulmanes d’Europe, voir les femmes de djihadistes finir misérablement leur parcours dans les camps de Syrie ou de Turquie a eu un effet plutôt dissuasif», assure Agnès De Féo. 

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D’autant qu’une autre tenue – le jilbab – prend progressivement la place du niqab interdit. Contrairement au voile intégral, le jilbab laisse voir l’ovale du visage, mais cache le reste du corps. «Marque d’ostentation du salafisme dans les milieux féminins, il s’est répandu en France avec la vague salafiste de la décennie 2000, et a remplacé le niqab interdit», écrit le sociologue Bernard Rougier dans l’ouvrage qu’il a dirigé, Les territoires conquis de l’islamisme (éditions PUFLien externe). 

«Je ne vois plus guère de femmes en niqab, confirme Agnès De Féo. En revanche, beaucoup portent le jilbab. Comme on voit leurs visages, elles ne sont pas amendables». Depuis le début de la pandémie de Covid-19, ces femmes en jilbab portent le masque comme tout le monde. «C’est un peu comme si le niqab était devenu obligatoire», sourit la sociologue.

>> Le comité d’Egerkingen lance la campagne en faveur de l’Initiative anti-burka (RTS, 14’01’21):

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