Que sont devenus les armaillis
Depuis toujours, à cette époque de l'année, à Fribourg, comme dans les autres cantons alpins suisses, les vaches montent à l'alpage. Mais les armaillis qui y fabriquent le fromage traditionnel sont moins nombreux. Aujourd'hui, seules une trentaine de chaudières sont encore actives dans la région.
Il est 17 heures, au-dessus du couvent de la Valsainte, à 1114 mètres d’altitude. Les cloches sonnent à toutes volées au chalet de la Tioleyre. En bon ordre, les vaches regagnent l’étable pour y laisser couler leur lait.
Un précieux liquide qui, dans ce coin de Gruyère, leur assure un véritable statut de reine. Comme dans tous les chalets d’alpage, depuis des siècles peut-être, c’est l’heure de la traite pour les armaillis.
«Le terme d’armailli vient du patois, raconte Francis Brodard. L’armaillis, c’est en fait celui qui s’occupe des vaches». Une tâche des plus nobles, dans une région où le lait et le fromage ont longtemps constitué les fondements de l’économie.
Jadis, à la fin du moi de mai, les campagnes se vidaient littéralement de leurs hommes et de leurs bêtes. C’était la poya, la fameuse montée à l’alpage. Les paysans partaient en ordre dispersé, selon la hauteur de leur terre et selon la maturité de leurs pâturages.
A cette époque, la vie de la région dépendait du résultat de cet estivage. Quatre mois qui déterminaient alors la quantité de fromage qui serait mise en réserve pour les longs mois d’hiver.
Aujourd’hui, dans les Préalpes fribourgeoises, les troupeaux montent toujours à l’alpage. Mais peu nombreux sont les armaillis qui y fabriquent encore du fromage.
«Il y a 150 ans seulement, on comptait quelque 500 chaudières, dit André Remy, président de la Coopérative fribourgeoise de producteurs de fromages d’alpage. Aujourd’hui, dans toute la région, il n’y a plus que 32 producteurs.» Dont Francis Brodard justement.
Depuis trois générations, la famille Brodard loue les alpages du fameux couvent de la Valsainte et y fabrique le fameux gruyère traditionnel. «Je venais déjà courir dans ces montagnes quand j’avais 8 ans», se souvient Francis.
Et l’armailli de poursuivre: «c’est toujours le même rythme. On part pour 130 jours. On progresse vers les hauteurs, selon l’état des pâturages. Ce qui nous pousse à déménager 8 fois par saison.»
Au premier coup d’œil, hormis la machine à traire – qui occupe désormais une place prépondérante dans l’étable – peu de choses ont changé dans l’aménagement des chalets d’alpage. Au centre de la pièce, se trouve l’éternel chaudron de cuivre où sera chauffé le précieux liquide. Dans un coin, les deux fromages fabriqués la veille et minutieusement pressés.
Au chalet de la Tioleyre, le temps semble s’être figé. Mais la réalité d’aujourd’hui est bien différente de celle d’hier. Dans l’étable, c’est en effet désormais un garçon de chalet portugais qui officie. «On ne trouve quasiment plus de personnel prêt à s’embarquer pour la durée de la saison», déplore Francis Brodard.
Dans les bistrots gruyériens, on rencontre des personnes qui exhibent fièrement leur diplôme de garçon de chalet. Mais, en général, ce sont des vieux. Les jeunes, eux, ne se poussent pas au portillon, d’autant que le travail est dur.
«Chaque année, dans le canton de Fribourg, on distribue tout de même 20 à 30 nouveaux diplômes de garçon de chalet», tempère Francis Brodard. Preuve que la tradition n’est pas complètement perdue.
Le problème, c’est que seul un petit nombre de ces jeunes armaillis étudient les subtilités de la fabrication du fromage. D’où la raréfaction des chaudières dans les chalets d’alpage.
Quoi qu’il en soit, là aussi, la tradition survit. Et, par rapport aux années septante, la situation s’est plutôt améliorée. Le nombre de producteurs de fromages d’alpage a quasiment triplé.
Vanda Janka, chalet de la Tioleyre
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