Comment un activiste angolais veut faire entendre sa voix à Genève
Sabino Caseno se bat depuis quinze ans pour protéger les communautés rurales angolaises des puissants investisseurs étrangers. Aujourd’hui, il plaide aux Nations unies pour aider la société civile de son pays. Portrait.
«L’injustice, je l’ai vécue à plusieurs reprises et sous toutes ses formes», confie Sabino Caseno, un défenseur des droits humains venu d’Angola, rencontré lors de son passage à Genève. Il n’avait que huit ans lorsqu’il a dû fuir son pays, alors en proie à une guerre civile, pour se réfugier avec sa famille en République démocratique du Congo voisine.
Durant cette période, il a vu de ses propres yeux «comment les personnes vulnérables sont victimes d’abus». Mauvais traitement, rations de nourriture volées, bourses d’études détournées: «J’ai vécu ce sentiment d’impuissance en tant qu’enfant.» De celui-ci est née sa vocation d’aider les personnes en «situation de faiblesse», explique l’activiste, dont le ton calme ne dit rien de la force de sa détermination.
À 48 ans, Sabino Caseno est aujourd’hui responsable des programmes de plaidoyer au bureau de Luanda de la Fédération luthérienne mondiale (FLM). Son travail y est axé sur la protection des droits fonciers des communautés agricoles angolaises. Car le sol du pays, riche en précieuses matières premières, attise l’intérêt des investisseurs étrangers désireux d’exploiter ces ressources. Trop souvent, explique-t-il, ces derniers s’emparent, au mépris de la loi, des terres appartenant aux personnes qui les peuplent et les cultivent.
Si Sabino Caseno est à Genève, c’est parce qu’il a été sélectionné parmi des centaines de candidats et candidates pour participer au Programme de défense des droits de l’homme (HRDAP), une formation proposée par le Service international pour les droits de l’homme (SIDH), une ONG genevoise. Durant deux semaines, lui et quinze autres activistes venus des quatre coins du monde sont initiés aux différents mécanismes onusiens pouvant les aider dans leurs combats respectifs.
«Cette formation est pour moi une grande opportunité», déclare Sabino Caseno. Son but est de nouer de nouveaux contacts qui pourront l’aider dans le futur, et pourquoi pas, sensibiliser les acteurs de la Genève internationale aux problématiques qui le préoccupent. Avec une priorité: l’accaparement des terres agricoles dans son pays.
Accaparement des terres
«La terre, pour les villageois, c’est la vie. Quand vous la leur retirez, vous les tuez vivants», déclare Sabino Caseno. Lui-même a grandi dans un petit village rural. Pour ces populations, la terre n’est pas uniquement destinée à être exploitée; c’est aussi un lieu de vie, un endroit sacré. «C’est sur la terre qu’on fait tout», dit-il. Forcées de se déplacer, les communautés agricoles victimes d’accaparement des terres se retrouvent souvent dans la précarité, sans écoles ni hôpitaux.
En théorie, le droit à la terre de ces populations est garanti en Angola. En pratique, le constat est différent. Le taux élevé d’analphabétisme dans les régions rurales compromet leur capacité de se défendre. La situation est la même du côté de la fonction publique, qui, selon Sabino Caseno, ne sait pas comment interpréter le droit.
«Je suis intervenu dans sept districts de la province de Moxico (est du pays) et deux de celle de Lunda Sud (nord-est). Je me suis rendu compte que la majorité des membres des administrations locales ne maîtrisaient pas le droit foncier et qu’ils n’avaient même pas la loi en leur possession», regrette-t-il.
En Angola, la FLM est active à plusieurs échelons. Au niveau local, l’ONG humanitaire aide les communautés agricoles à mieux se protéger face aux investisseurs. Sur le plan national, elle plaide pour une révision de la loi. «Si tout ça ne marche pas, alors nous utilisons les mécanismes internationaux», explique Sabino Caseno.
Parmi eux: l’Examen périodique universel, par lequel le bilan en matière de droits humains de chaque pays membre de l’ONU est scruté tous les quatre ans. Les ONG ont alors l’occasion de partager leurs préoccupations et de demander que des mesures concrètes soient prises.
Genève, capitale des droits humains
Lors de son passage éclair à Genève, Sabino Caseno doit rencontrer le haut-commissaire aux droits de l’homme de l’ONU, Volker Türk, ainsi que des diplomates et experts et expertes des droits humains.
Quelques heures avant notre rencontre, il recevait le contact de Clément Nyaletsossi Voule, rapporteur spécial sur les droits à la liberté de réunion pacifique et à la liberté d’association. «C’est ce que je cherchais et c’est ce que j’ai reçu sur un plateau, tu t’imagines?» dit-il en souriant. Cet expert indépendant de l’ONU traite justement d’un autre sujet qui inquiète aujourd’hui l’activiste: l’ingérence croissante du gouvernement angolais dans la société civile du pays.
Un projet de loi sur le statut des ONG de défense des droits humains, récemment approuvé par le Parlement angolais, pourrait, selon Sabino Caseno, avoir pour effet de les mettre de fait sous le contrôle de l’État. Si le projet devait aboutir, ce serait «la mort de la société civile», prévient l’activiste.
Il compte désormais déposer au nom d’une coalition d’ONG de défense des droits humains une interpellation auprès du rapporteur spécial afin que celui-ci analyse le texte de loi, produise son opinion et la partage avec le gouvernement angolais. Un tel document donnerait du poids au combat mené par la société civile du pays.
Des risques et des tentations
L’engagement de Sabino Caseno en faveur des droits humains n’est pas toujours du goût des entreprises et des politiciens et politiciennes. Au fil des ans, l’activiste a dû résister à des offres alléchantes et des tentatives d’intimidation visant à lui faire abandonner son combat. On l’a parfois soupçonné d’être au service de l’opposition politique. A-t-il déjà songé à mettre un terme à son engagement? «Non, car si je ne fais pas ce travail, qui le fera?», répond-il.
Face aux attaques, ses meilleures armes sont «les faits» et «la vérité», explique-t-il. Autre instrument de défense: la Déclaration universelle des droits de l’homme (DUDH) de l’ONU, qui fête cette année ses 75 ans. Car même si son respect par l’entier de la communauté internationale reste une utopie, pour Sabino Caseno, elle continue de relever d’une importance cruciale. «Sans la déclaration universelle, nous, les défenseurs des droits de l’homme, ne pourrions pas exister. C’est un instrument de défense.»
Texte relu et vérifié par Virginie Mangin
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