Saint-Moritz, quartier général des maîtres du monde
Conclave des puissants de la planète, le club de Bilderberg se réunit du 9 au 12 juin à Saint-Moritz. Entre théorie du complot et fantasmes, ses détracteurs dénoncent une influence occulte sur la politique. D’anciens participants relativisent cette réputation.
Têtes couronnées, capitaines d’industrie, chefs d’Etat ou d’organisations internationales; de Henry Kissinger à Bill Gates, d’Angela Merkel à Ben Bernanke (en passant par DSK), les personnages les plus influents du monde occidental ont déjà pris part, une fois au moins, aux réunions annuelles de Bilderberg.
«Le groupe de Bilderberg est comme une sélection ou un cercle restreint du Forum de Davos», explique Sergio Rossi, professeur d’économie à l’université de Fribourg. Un milieu fermé, dont l’opacité des réunions annuelles dérange plusieurs édiles en Suisse.
Protestations
C’est le cas de plusieurs députés de l’Union démocratique du centre (UDC / droite conservatrice), dont Dominique Baettig. Ce dernier a déposé une interpellation pour dénoncer une «gouvernance supranationale non transparente». «Ce genre de réunions entre puissants du monde globalisé est contraire à nos principes de souveraineté, dénonce-t-il. Surtout dans le contexte des révolutions arabes. De plus, les coûts pour le contribuable sont tus.»
Dominique Baettig a aussi adressé une lettre au procureur général de la Confédération ainsi qu’à plusieurs parquets cantonaux, leur demandant d’inculper plusieurs personnalités à leur entrée en Suisse. L’ancien président américain George W. Bush et Henry Kissinger sont notamment cités au titre de «criminels recherchés».
De plus, des manifestations sont prévues à St Moritz vendredi et samedi, tout comme le rassemblement organisé par les Jeunesses socialistes grisonnes, sur la place du village.
Pour les habitués de Bilderberg, le WEF tiendrait du «grand raout, trop couru». Avec Bilderberg, «on est chez Hermès», confiait Pascal Lamy, patron de l’OMC, il y a quelques années. Soit l’assurance d’échanger «ouvertement et librement» sur les affaires du monde, comme la santé de l’euro et du billet vert.
Ancien habitué, l’ex-ministre suisse Pascal Couchepin, cité dans la dernière édition de l’hebdomadaire SonntagsZeitung, compare le rendez-vous annuel à «un séminaire universitaire réservé à des gens dotés d’expérience».
Publicité inespérée
Des allures de club ultra sélect que l’arrivée de jets privés sur le tarmac de Samedan, le bal des limousines de luxe aux vitres teintées et la marche des gardes du corps pour protéger le gotha de l’élite mondiale, ne vont pas estomper.
Et surtout, un débarquement plus ou moins discret de V.I.P., qui ravit les autorités grisonnes. «Nous sommes enchantés que de ces personnalités aient choisi les Grisons pour se rencontrer», déclarait récemment le président du gouvernement grison, Martin Schmid.
Discrétion, le maître mot
Pas question de découvrir les noms des personnalités conviées à cette édition 2011. Mais comme chaque année, la participation est exclusivement réservée à des personnalités européennes et nord-américaines. Fait rare, côté suisse, la ministre Doris Leuthard a confirmé sa venue.
La réunion est habituellement agendée peu avant le G8. Mais cette année, pour des motifs non précisés par les organisateurs, ce n’est qu’après la réunion de Deauville que les BB’s (diminutif donné aux membres du club) se retrouveront pour deviser des affaires du monde.
C’est la cinquième fois que le comité d’organisation du conclave le plus exclusif de la planète met le cap sur la Suisse (trois fois sur le Bürgenstock et une fois à Bad Ragaz).
Palaces et haute sécurité
Cette année encore, quelque 130 participants devraient être présents lors de cette édition 2011. Le choix des hôtels serait tombé sur trois palaces: le Suvretta House, le Kempinski Grand Hotel et le célèbre Badrutt’s. Le premier établissement a été réservé du lobby aux mansardes, de longue date, croit savoir la presse grisonne.
Pour accueillir le sommet de la pyramide élitiste mondiale, la station grisonne sera blindée à la manière du WEF de Davos, à cette différence près que, pour le rendez-vous de Bilderberg, pas question de livrer la moindre information sur les dispositifs de sécurité mis en place et sur les coûts que pareil déploiement de force fera peser sur le contribuable. La cheffe du Département cantonal grison de justice et police à Coire, Barbara Janom-Steiner, se mure derrière le silence.
Pouvoir secret
Pour les amateurs de théories conspirationnistes, Bilderberg ne serait rien d’autre qu’une sorte d’«Internationale de la magouille», dont le but serait de former un «gouvernement mondial secret». Ils en veulent pour preuve l’opacité totale qui caractérise les discussions du conclave, puisque chaque participant s’engage sur l’honneur à ne rien révéler des échanges.
Ce qui n’a cependant pas empêché des informations de filtrer, comme l’an dernier par exemple, alors que les débats avaient notamment porté sur la situation en Irak, la Grèce et la santé de l’euro. «Il y a davantage de complots échafaudés dans les cafés en ville de Berne que lors de ce rendez-vous», rétorque Pascal Couchepin aux détracteurs du Bilderberg.
Aucune résolution ni accord ne sont scellés au terme de ces réunions annuelles. Mais certains y voient néanmoins une influence décisive sur l’agenda et l’échiquier politique mondial. Sans compter la montée fulgurante au pouvoir de certains participants.
Pouvoir en coulisses
Parmi les coïncidences troublantes relevées dans le passé: en 1991, à Baden-Baden, Bill Clinton, qui n’était alors encore que «simple» gouverneur, y aurait déjà été intronisé futur président des Etats-Unis. En 2002, le chef du Pentagone, Donald Rumsfeld, y aurait planifié l’intervention des troupes de la coalition en Irak. En 2003, Valéry Giscard d’Estaing aurait dévoilé en avant-première les contours de sa constitution européenne et Herman Van Rompuy y aurait été désigné président du Conseil de l’UE.
Ces derniers jours, de nombreux médias suisses ont tenté de cerner le rôle et l’action du club. Mais les nombreux experts et anciens participants qu’ils ont interrogés divergent sur l’importance et l’influence réelles de Bilderberg.
Alors que tous les regards convergent vers la prestigieuse station grisonne, Sergio Rossi estime «qu’il y a peut-être encore d’autres groupes, moins institutionnalisés et avec une histoire plus récente et surtout moins connus que Bilderberg, même dans les pays émergents, et dont les membres se rencontrent sans que personne n’en sache rien».
Le groupe a tenu sa première réunion en 1954 à l’hôtel Bilderberg d’Oosterbeek, en Hollande, à l’instigation du prince Bernard des Pays-Bas. La rencontre annuelle avait initialement pour but d’approfondir les liens entre les pays du Vieux Continent et les Etats-Unis.
L’organisation du Bilderberg s’articule sur trois niveaux : le comité d’organisation, assuré par un président et un secrétaire général, l’inner circle, et enfin, le steering comittee (comité de pilotage), qui réunit entre 15 et 20 personnes.
Les huis clos se tiennent du jeudi soir au dimanche midi. Les sessions plénières dont limitées à 90 minutes.
Parmi les précédents hôtes helvétiques, ont citera notamment, Daniel Borel, Daniel Vasella, Pascal Couchepin, Michael Ringier et Josef Ackermann et David de Pury.
La Commission Trilatérale, créée en 1973 à l’initiative des principaux dirigeants du groupe Bilderberg et du Council on Foreign Relations, dont David Rockefeller, Henry Kissinger. Elle regroupe 300 à 400 personnalités influentes, d’Europe occidentale, d’Amérique du Nord et d’Asie Pacifique. Son but est de promouvoir et construire une coopération politique et économique entre ces trois zones clés du monde, pôles de la Triade.
Le Conseil des relations étrangères (Council on Foreign Relations ou CFR) est un groupement non partisan américain, qui a pour but d’analyser la politique étrangère américaine et la situation politique mondiale. Fondé en 1921, il est composé d’environ 5000 membres. Son siège est à New York, il dispose d’un bureau à Washington.
Parmi les autres groupes d’influence, on note encore le BOAO Forum for Asia, la Münchner Sicherheitskonferenz, le Council on Foreign Relations, le European Council et le Canergie pour la paix.
En Suisse, les capitaines de l’industrie et de la finance et certains conseillers fédéraux (ministres) se retrouvent régulièrement au siège de Nestlé, à Vevey, pour les rencontres de Rive-Reine. C’est l’ex-conseiller fédéral Kaspar Villiger qui établit la liste des participants.
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