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L’apprentissage reprend du poil de la bête après deux ans de pandémie

Jeune homme en train de limer quelque chose
Un ingénieur en automatisation en formation. Keystone / Goran Basic

Nombreux sont les jeunes à emprunter la voie de l’apprentissage au mois d’août en Suisse. Après deux années rendues difficiles par la pandémie, l’intérêt pour ce type de formation professionnelle ne s’est pas démenti cet été. Le nombre d’inscriptions est à nouveau pratiquement le même qu’avant la crise sanitaire. Des filières comme l’informatique et les technologies de l’information sont très suivies.

Fasciné dès sa prime jeunesse par les avions et les hélicoptères, Sinan Kaufmann jubile. À 15 ans, voilà qu’il vient de décrocher le poste dont il rêvait. Un apprentissage de quatre ans comme automaticien auprès de la compagnie aérienne SWISS, dans le secteur de la maintenance des avions. L’idée l’avait démangé déjà après une visite dans un salon de l’emploi à Zurich, avec sa classe de première année secondaire. Après des stages, l’apprentissage lui a semblé alors la meilleure voie possible.

Jeune homme dans un cockpit d avion
Sinan Kaufmann x

Sinan Kaufmann appartient à cette cohorte de milliers de jeunes qui se sont engagé-es à emprunter la piste de l’apprentissage, la formation qui reste la plus suivie dans le pays. Après deux ans de pandémie, la demande est redevenue très forte. D’autant que ce type de formation s’est avéré plutôt mal adapté au travail à domicile imposé dès le printemps 2020. Outre le fait que des cours ont dû être annulés, le home office s’est mal accommodé aux travaux pratiques liés à l’apprentissage.  

Près de huit places sur dix ont déjà trouvé preneuses et preneurs en Suisse au début de ce semestre, selon le projet de recherche Apprenticeship Pulse. Avec 79%, le taux d’inscription a à peine fléchi, comparé aux 87% des années d’avant Covid. «Une normalisation est à l’œuvre», clament des instituts de recherches comme la chaire en systèmes éducatifs de l’École polytechnique fédérale de Zurich (EPFZ) et la plateforme d’offres Yousty.ch, lesquels ont analysé l’impact à long terme des mesures sanitaires sur les apprenti-es et les entreprises qui les forment.

«La reprise est relativement rapide, un élément qui nous a surpris en menant cette enquête», explique à swissinfo.ch Ursula Renold, professeure à l’EPFZ et chercheuse chez Apprenticeship Pulse. Elle ajoute qu’une majorité d’entreprises jugent qu’il sera aussi simple qu’avant la pandémie, voire plus simple encore, de trouver des débouchés sur le marché après un apprentissage et un diplôme.

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En Suisse, l’apprentissage est dual. Les jeunes se forment dans des écoles professionnelles tout en pratiquant leur futur métier dans une entreprise. Loué, ce modèle possède certains avantages: une diminution du chômage chez les jeunes et une réduction des coûts de recrutement par exemple. Selon des estimations, deux tiers environ des 15-16 ans qui sortent de l’école optent en Suisse pour cette voie.

Fraîchement engagée comme apprentie à La Poste, Vanessa Derendinger résume ici son engouement pour ce modèle de formation: «Il m’a toujours paru clair qu’il s’agissait là du meilleur moyen pour démarrer du bon pied dans le monde du travail. De plus, j’ai toujours voulu gagner mon argent et être indépendante», confesse-t-elle.

Jeune femme posant à côté d un vélo dans un décor alpin.
Vanessa Derendinger X

Les conséquences du Covid

Mais ce tableau réjouissant ne doit pas faire oublier les affres de la pandémie. Des apprenti-es avaient d’ailleurs confié à l’époque à swissinfo.ch leur désarroi de voir des stages d’initiation et autre «journée découverte» être purement et simplement annulés durant le Covid. D’autres regrettaient l’absence d’offres spécifiques dans leurs domaines de prédilection. Quant à celles et ceux qui ont pu entamer alors leur formation, le travail à domicile ne fut pas une sinécure.

Membre du groupe de réflexion de tendance libérale Avenir Suisse, Marco Salvi part du principe que «les apprenti-es passent en moyenne trois à quatre jours par semaine dans leur entreprise». Une formation sur le lieu de travail. «Pour ces jeunes et leurs enseignant-es, le travail en ligne s’est révélé être un défi plus coriace encore que pour les écoles et les universités. Disons qu’il n’est pas très facile de déplacer une machine-outil… en ligne». Selon lui, «le travail à domicile peut être une aubaine pour du personnel plus âgé, mais pas pour les apprenti-es».

Ursula Renold abonde et confirme que le travail à domicile a eu «un impact réel» sur les apprenti-es. L’enquête menée par Apprenticeship Pulse a permis en effet d’observer une baisse de la motivation et une augmentation du stress. «Nous constatons que les jeunes qui ont entamé leur apprentissage en 2020, soit la première année de la pandémie, ont eu à souffrir d’un véritable manque de formation, partant de compétences. Les retards pris se sont accumulés», analyse-t-elle.

Chargée de recherches pour les questions de planification stratégique à l’Université fédérale de la formation professionnelle (SFUVET) à Zollikofen, dans le canton de Berne, Irene Kriesi relativise. L’impact du Covid sur la formation professionnelle a été en réalité, pour elle, «de courte durée», précisant que les comportements des jeunes qui étaient en quête d’une place d’apprentissage n’auraient été affectés que «temporairement». Aujourd’hui, poursuit l’experte, «le niveau est revenu à celui d’avant la pandémie pour de nombreuses professions».

Les métiers qui ont la cote

Cette année, plus de 45’100 contrats d’apprentissage ont été signés jusqu’ici, indique de son côté le Secrétariat d’État à l’éducation, à la recherche et à l’innovation (SERI). En Suisse, les jeunes peuvent choisir entre 200 professions. Avec un diplôme fédéral à la clé pour certain-es.

Selon l’enquête d’Apprenticeship Pulse, l’informatique et les nouvelles technologies de l’information ont depuis deux ans un fort pouvoir d’attraction chez les jeunes. C’est le cas d’Alissa Villiger. À 15 ans, elle débutera bientôt un apprentissage en informatique auprès de la compagnie TIE International basée à Zoug. Ainsi, elle pourra se forger aux langages de la programmation pour créer ensuite des sites web et s’habituer à la blockchain. Après un premier essai, elle est persuadée que «ce métier a de l’avenir». Plus jeune, elle avait cependant hésité entre le métier d’informaticienne, technicienne des médias ou employée de commerce, cette dernière filière restant actuellement la plus prisée.

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Alors que ces nouveaux métiers ont le vent en poupe, les professions en lien avec l’hôtellerie et la restauration sont au contraire confrontées à une grave pénurie. À la fois en apprentie-s et en personnel qualifié. «La pandémie n’est pas la seule raison qui a conduit à cette situation, mais elle l’a aggravée», constate Irene Kriesi. Elle cite également des conditions de travail souvent peu attractives et des horaires irréguliers.

Voilà qui n’a pas rebuté Romi de Redelijkheid qui était attirée par cette branche. L’an dernier, cette jeune femme âgée de 18 ans a ainsi entamé un apprentissage dans un hôtel cinq étoiles à Zurich, le Dolder Grand. Intéressée par l’environnement cosmopolite du lieu, elle avoue «avoir appréhendé cette formation dans ce secteur». Mais, ajoute-t-elle, «j’ai su que si je ne franchissais pas cette étape, j’allais peut-être le regretter». Elle envisage de parfaire sa formation en allant travailler à l’étranger.

Quelles sont les perspectives?

Les entreprises qui forment des apprenties et apprentis en Suisse connaissent aujourd’hui un authentique rebond en termes d’embauche.

Au mois d’août, Swisscom envisageait par exemple d’accueillir 270 nouvelles têtes, soit 12 apprenti-es de plus qu’un an auparavant. Quant à la compagnie SWISS International Air Lines, elle en a déjà engagé-es 41. Selon l’un de ses porte-parole, si la compagnie a connu «une légère baisse» l’an passé, le niveau est à nouveau celui d’avant Covid.

Des entreprises comme La Poste font par ailleurs aujourd’hui la promotion de leurs places d’apprentissage sur les réseaux sociaux, via TikTok notamment. Le service postal national engage actuellement entre 740 et 780 nouveaux apprenti-es par an. Près de 400 dans la logistique, 150 pour le commerce de détail et 60 pour le département des technologies de l’information et de la communication (TIC).

Un employeur tel que La Poste essaie aussi d’attirer de nouveaux profils en fonction des besoins du marché. Des places à occuper dans le secteur de la numérisation par exemple. Dès 2023, un apprentissage de développeur-se numérique sera proposé pour la première fois, fruit d’une collaboration entre La Poste, PostFinance et d’autres compagnies.

«Cette tendance est bien présente», relève Marco Salvi d’Avenir Suisse. «Les programmes d’études sont et seront adaptés aux besoins de l’économie. C’est d’ailleurs là l’un des principaux atouts du système d’apprentissage dual tel que nous le pratiquons en Suisse», dit-il.

Mais des efforts seront nécessaires pour que ce modèle «à la suisse» reste pertinent sur la scène internationale. «Si cette voie est jusqu’ici une réussite, il n’en reste pas moins que ce modèle est difficilement reproduisible à l’étranger. Nombreuses sont les tentatives qui ont avorté, rappelle-t-il. Le marché du travail mise malheureusement de plus en plus sur des diplômes ad hoc. Ce qui nous obligera à devoir réexpliquer notre modèle à de potentiels employeurs internationaux».

Traduit de l’allemand par Alain Meyer

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