La «nuit magique» du 21 juillet 1969
«Une désolation magnifique», ce sont les mots utilisés par Buzz Aldrin en posant à son tour le pied sur la Lune, à la suite d'Armstrong. Après enquête, presque tous ceux qui ont vécu l'événement s'en souviennent, quarante ans plus tard. En Suisse y compris.
«Cette nuit-là, je l’ai passée devant la TV noir-blanc de ma tante à la Tour-de-Peilz. On a dû attendre assez longtemps jusqu’à ce qu’ils sortent de la capsule et puis, tout à coup, voilà que mes rêves d’enfants étaient réalisés!»
Ce sont les paroles de l’astronaute suisse Claude Nicollier pour raconter cette «nuit magique». Il avait alors 24 ans, se remettait d’un grave accident et s’inquiétait pour son avenir de pilote militaire. Sans raison puisque, des années plus tard, il a pu, à son tour, éprouver ce «sentiment merveilleux d’être en orbite et en apesanteur».
C’étaient les vacances
Cette nuit du 20 au 21 juillet 1969, à 3 h 56 (heure suisse), Neil Armstrong pose le pied gauche sur le sol sélène. Il est suivi par Edwin «Buzz» Aldrin et ils déploient le drapeau américain, suivis par quelque 600 millions de téléspectateurs.
En Suisse aussi, ceux qui avaient la télé ont passé la nuit à suivre des images presque illisibles sur leur écran ou alors des grésillements crachotants à la radio. C’étaient les vacances et il faisait chaud. Témoignages.
«J’étais dans un camping en Italie et on a tout suivi à la radio!» «Moi j’étais chez des cousins aux Etats-Unis et, en pleine guerre froide, c’était un événement quasi patriotique.» «J’avais acheté la télé juste pour suivre cet événement et je l’ai même filmé!»
«J’ai emprunté l’appartement d’amis en vacances qui avaient la télé et j’ai invité plein de monde, mais il y avait comme un grand silence quand nous regardions ces images. C’est comme si elles étaient trop grandes pour nous et ça nous a marqués pour la vie.» «Je n’étais pas née mais, qu’on soit né ou pas né, cela fait partie de notre mémoire collective.»
Un bocal avec un poisson rouge
Un petit «micro trottoir» a permis à swissinfo.ch de constater que la grande majorité des gens qui ont vécu cette fameuse nuit se souviennent très exactement de l’endroit où ils étaient. L’un d’eux précise même qu’«il y avait un bocal avec un poisson rouge sur la télé de la voisine». Et qu’il y était allé en Solex, LE vélomoteur de l’époque.
Les moins de 40 ans sont aussi très nombreux à en avoir entendu parler par les parents ou dans les manuels scolaires. Comme ce jeune ingénieur: «Je suis à fond là-dedans! L’alunissage reste un des grands événements qui ont marqué le monde, surtout maintenant qu’on parle d’y retourner. Ce sont des choses grandes, un rêve!»
«Un petit pas pour l’homme, un pas de géant pour l’humanité», les mots d’Armstrong semblent un peu usés depuis le temps, mais résument toujours aussi bien l’exploit d’Apollo 11: la réalisation d’un rêve presque aussi vieux que l’humanité. Un fantasme qui va de Lucien de Samosate (1er siècle après J.-C.) à Hergé (Objectif Lune, On a marché sur la Lune, 1953 – 1954), en passant par Jules Vernes, Alexandre Dumas ou H.G. Wells, sans parler du cinéma.
Dans la nature humaine
Pour Christophe Calame, président de la Société suisse de philosophie, la mission lunaire répond à un besoin de l’espèce humaine, qui est une espèce en mouvement. «On ne peut penser l’humain sans penser à sa diffusion dans l’espace et il est normal qu’il continue sa route vers la colonisation de l’Espace, même si cette colonisation est frustrante.»
Agé lui-même de 14 ans en 1969, ce prof de philo estime que l’alunissage est un des événements les plus importants de la vie de ceux qui l’ont vécu. «C’est le premier effet de la 2e révolution industrielle – celle de l’intelligence – car l’aventure était impossible avec des moyens mécaniques, comme on le voit dans Jules Vernes. La technique, c’est une projection du rêve».
Six alunissages et puis rien…
Six alunissages, puis rien. Quarante ans après, la Nasa parle d’y retourner. Pourquoi ce long silence sur la Lune? Parce que c’est très cher et que la mission d’Apollo était d’abord politique, répond Claude Nicollier.
«Même sil y avait aussi des objectifs scientifiques, la priorité absolue était de prendre de vitesse les Russes. Il n’y avait pas d’intention de continuer l’exploration de la Lune pour des questions de coûts et, ensuite la Nasa a choisi de développer le programme de stations spatiales», explique l’astronaute.
Christophe Calame est d’un avis opposé: «c’est un événement qui dépasse complètement la politique ou l’idéologie, car c’est un événement anthropologique».
«La question de fond n’était pas vraiment de savoir qui serait le premier sur la Lune, mais bien dans le fait que le rêve d’y aller est inscrit profondément dans l’espèce humaine.»
«Il faut se détacher de la conjoncture et, comme à l’époque on a trop associé l’événement à l’Amérique elle-même, c’est ce qui explique peut-être qu’on n’a pas pris tout de suite la mesure de la chose», poursuit le philosophe.
Et de rappeler que, lors de la découverte de l’Amérique au 16e siècle, il y eut déjà un long silence. «De la découverte de Colomb à la fin de la conquête de Cortez, il s’est passé une quarantaine d’année, comme si ces nouveaux espaces étaient considérées comme inutiles dans un premier temps et que c’est dans un deuxième temps que l’espèce humaine en a compris la portée et décidé de son expansion.»
Reste que ce long silence et l’un des éléments utilisé par les «négationnistes» de la mission d’Apollo 11, qui affirment que tout a été filmé en studio à Holywood. Une thèse notamment développée par les Russes.
Qu’en pense Claude Nicollier? «Je trouve important de se poser des questions sur tout, sur la guerre en Irak, sur la conquête de l’Everest par Hillary et Tenzing en 1953, etc… mais il n’y a aucun doute pour moi qu’ils y sont allés, même si c’est trop loin pour aller chercher des preuves», répond l’astronaute.
Isabelle Eichenberger, swissinfo.ch
Le 20 juillet 1969 à 20h56, heure de Cap Canaveral en Floride (3h56 en Suisse), l’Américain Neil Armstrong a été le premier homme à poser le pied sur la Lune.
L’équipage d’Apollo 11 a laissé une plaque en acier sur laquelle est écrit: «Ici, des hommes de la planète Terre ont posé le pied pour la première fois sur la Lune en juillet 1969. Nous sommes venus dans un esprit de paix au nom de toute l’humanité.»
En tout, 12 astronautes ont marché sur la Lune (la dernière fois en décembre 1972).
Le Traité de l’espace cosigné par les Etats-Unis, la Grande-Bretagne et l’Union soviétique en 1967, commande que les corps célestes sont «patrimoine de l’humanité».
Certaines entreprises proposent des voyages touristiques autour de la Lune (80 millions d’euros) et des parcelles de sol lunaire (100 euros l’hectare).
La Suisse a développé ses activités spatiales dans le cadre de la coopération européenne au sein de l’Agence spatiale européenne (ESA), dont elle est un des membres fondateur, mais aussi par sa participation aux activités d’Arianespace, d’EUTELSAT, et d’EUMETSAT.
Elle finance l’ESA à hauteur de 4% et s’est fait une réputation dans la précision et la qualité du travail est des produits.
Ancien pilote militaire, l’astronaute Claude Nicollier (né en 1944) a été formé à l’Agence spatiale européenne (1976) et à la NASA (1980).
Le Vaudois a participé à 4 missions spatiales: en 1992 avec Atlantis, en 1993 avec Endeavour, en 1996 il s’envole avec Columbia et en 1999 avec Discovery. En tout, il a passé huit heures à marcher dans l’espace.
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