Le CERN inaugure son superordinateur planétaire
Pour traiter les données fournies par la plus grande machine scientifique du monde, il faut le plus gros ordinateur du monde. Tellement gros qu'il est réparti sur cinq continents. Et cette technologie de mise en réseau profite déjà à d'autres domaines de la science.
«C’est génial de voir tous ces gens qui sont venus ici aujourd’hui pour dire simplement ‘yeah, we did it !’» L’enthousiasme de Cristi Burne, biologiste et animatrice du site gridtalk.org (projet européen de promotion des grilles de calcul), fait plaisir à voir.
Car effectivement, ils (et elles) l’ont fait ! Vendredi, devant des dizaines de scientifiques venus d’un peu partout, le CERN a pu déclarer officiellement opérationnelle la grille de calcul qui lui permettra de traiter les données générées par les expériences du LHC, son grand accélérateur-collisionneur de particules.
Et tant pis si la machine est à l’arrêt jusqu’au printemps. Quelques jours après les premières injections de faisceaux de particules le 10 septembre en effet, une fuite d’hélium s’est produite, qui va nécessiter de réchauffer une partie des aimants supraconducteurs pour pouvoir réparer. Il faudra ensuite les réfrigérer à nouveau, à moins de 2 degrés au-dessus du zéro absolu.
Alors en attendant, la grille se «fait la main» sur les traces que les particules tombées de l’espace laissent dans les détecteurs du LHC. Mais on sait déjà que tout est prêt pour le jour J, où commenceront à pleuvoir les montagnes de données.
«On pourra en faire le meilleur usage possible, aussi vite qu’il est technologiquement possible», résume Cristi Burne.
Pas un super-web
Alors, la grille, comment ça marche ? «Il y a beaucoup d’idées fausses qui circulent sur le sujet, explique la jeune femme. Le grid n’est pas un Internet ultra-rapide, qui va vous permettre de télécharger un fichier MP3 en trois secondes».
«On confond souvent Internet et web, poursuit Cristi Burne. L’Internet, c’est le réseau qui relie les ordinateurs entre eux, tandis que le web, c’est le protocole qui leur permet d’échanger des informations. Et ce qui change avec le grid, c’est qu’au lieu de partager des informations, on partage des données, des capacités de stockage et de la puissance de calcul».
La grille passe donc par le même réseau que le web, même si les connections par fibres optiques entre ses principaux centres de calcul sont nettement plus rapides que celles que chacun utilise à son domicile. Au final, c’est comme si les milliers d’ordinateurs reliés entre eux n’en faisaient plus qu’un.
Pour obtenir ce résultat, il a fallu des années de développement, surtout pour assurer la cohérence des logiciels et arriver à faire travailler ensemble des ordinateurs de conception et de constructions différentes.
L’ensemble du projet a coûté quelques 500 millions d’euros, fournis par le CERN, ses Etats membres, l’Union européenne et les institutions scientifiques concernées, avec le soutien de quelques grands fabricants de matériel informatique.
Et comme la grille devra toujours s’adapter aux évolutions technologiques, le CERN a déjà prévu d’y allouer à l’avenir 14 millions d’euros chaque année.
Rapprocher les gens
Si le grid (dont l’idée vient des Etats-Unis) n’aura pas (contrairement au web, invention du CERN) de retombées directes pour l’utilisateur lambda, il autorise dans certains domaines scientifiques des avancées qui étaient simplement inimaginables il y a dix ans.
Car la grille du LHC n’est pas la seule au monde. Des réseaux semblables fonctionnent déjà dans les domaines de la biologie, de la chimie, de la médecine ou de la climatologie.
«Pour moi, un des exemples les plus fantastiques est celui du projet Wisdom, qui utilise une grille de calcul pour la recherche de nouvelles molécules thérapeutiques, notamment contre la malaria», explique Cristi Burne.
Grâce à cette technologie, les laboratoires n’ont pas systématiquement besoin de s’offrir un super centre informatique et même les chercheurs des pays du Sud peuvent, malgré leurs tout petits budgets, participer à l’effort commun, sans avoir à s’exiler vers l’Europe ou les Etats-Unis.
«Aujourd’hui, le monde a de très gros problèmes, comme le réchauffement climatique. Et désormais, les scientifiques du monde peuvent travailler ensemble. Donc, la gille, ou plutôt les grilles de calcul rapprochent les gens et aident le monde à aller mieux», résume Criti Burne. «Exciting, isn’t it ?»
swissinfo, Marc-André miserez au CERN, Genève
Lorsqu’il tournera à plein régime, le LHC, plus gros accélérateur de particules au monde, générera chaque année 15 petaoctets (15 millions de gigaoctets) de données.
Si cette information était gravée sur des CD, on arriverait en les posant les uns sur les autres (sans boîtes) à une pile de près de 21 kilomètres de haut.
Pour traiter toute cette information, la grille de Calcul du LHC met en commun les capacités de stockage et la puissance de calcul de 140 centres informatiques, répartis sur 33 pays.
La grille atteint ainsi la puissance d’un ordinateur qui tournerait avec 100’000 micro-processeurs. Plus de 7000 physiciens du monde entier peuvent travailler à l’exploitation des données.
Si la grille du LHC est la plus puissante à ce jour, il en existe déjà dans d’autres domaines de la recherche, comme la fusion thermonucléaire, le climat ou la médecine.
Ainsi, le projet européen Wisdom, qui a notamment permis de tester en 10 semaines 4,3 millions de molécules potentiellement intéressantes pour de futurs médicaments contre la malaria. Sans grille de calcul, le même travail aurait pris 80 ans
En anglais, grid (grille) désigne également le réseau de distribution d’électricité. Initialement, l’idée était de mettre les ressources d’un ordinateur à la disposition d’un utilisateur aussi facilement que l’on branche un appareil électrique à une prise.
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