Un scientifique australien avec le lac Léman pour laboratoire
D’origine glaciaire, le lac Léman est un «fascinant laboratoire à ciel ouvert», explique le scientifique australien Andrew Barry. Les recherches qu’il y mène avec son équipe pourraient nous aider à mieux comprendre le changement climatique et l’impact des activités humaines sur les ressources en eau du monde entier.
Originaire de Brisbane en Australie, le professeur Andrew Barry Lien externea rejoint l’EPFL en 2005. Il y dirige le Laboratoire de Technologie Ecologique (ECOLLien externe), tout en occupant le poste de doyen par intérim de la Faculté de l’environnement naturel, architectural et construit (ENAC)Lien externe. C’est l’une des raisons pour lesquelles il est venu à Lausanne.
«Je pense que le système suisse est remarquablement bien intégré, ce qui incite à venir ici, précise-t-il à swissinfo.ch. Et cette combinaison plutôt rare de disciplines au sein d’une même faculté est extrêmement utile, car nous pouvons nous attaquer à tout ce qui a trait à l’environnement, à son évolution et aux effets du changement climatique.»
Un laboratoire à ciel ouvert
Le lac Léman est particulièrement précieux pour les scientifiques en raison de sa taille et de sa profondeur, explique le professeur. Couvrant une superficie de 580 kilomètres carrés entre la France et la Suisse, le lac Léman a suscité l’intérêt des scientifiques dès le 19e siècleLien externe. Sa profondeur maximale est de 309 mètres, son pourtour de 202 km. Ses 89 milliards de m3 en font la plus vaste réserve d’eau douce d’Europe continentale.
Alimenté par le Rhône qui le traverse et dont la source glaciaire est située dans les Alpes suisses, le lac est régulé à Genève à une altitude de 372 mètres.
«Un grand lac n’est pas un océan, mais sa dynamique des fluides (hydrodynamique) en fait un petit océan sans marée», relève Andrew Barry. Et sa taille permet d’observer la force Coriolis, qui imprime à une masse d’eau balayée par le vent un mouvement circulaire dû à la rotation de la terre. La profondeur du lac permet également d’observer le brassage vertical entre les eaux de surface et les eaux froides des profondeurs. Un brassage qui oxygène le lac et la vie qui s’y développe.
«C’est un lac très profond, qui crée un système hydrodynamique très riche, explique Barry. C’est pourquoi, en tant que laboratoire en extérieur, il possède des mouvements complexes qui en font un objet d’étude scientifique très intéressant et stimulant. Et à cause de sa taille, beaucoup de ce que nous trouvons ici peut s’appliquer à d’autres systèmes lacustres. »
Prise de mesures multiples
Le professeur Barry y mène des recherches depuis une dizaine d’années. «Nous mesurons les courants dans le lac de manière très détaillée, dit-il, et nous mesurons les propriétés de l’eau, telles que la température à certaines profondeurs, ce qui détermine pour l’essentiel la densité de l’eau». L’équipe dispose également d’un catamaran autonome équipé d’instruments permettant de mesurer les propriétés de l’air et de l’eau autour du lac. En outre, un système d’imagerie thermique est monté sur un ballon qui évolue entre 500 mètres et 1,5 kilomètre au-dessus du lac.
«Grâce à l’imagerie thermique, nous pouvons obtenir la température de l’eau du lac et l’utiliser ensuite dans nos calculs de l’échange d’énergie à la surface, ce qui, avec le temps, a une influence majeure sur le bilan énergétique du lac, explique Barry. Or il y a une variation considérable de température.»
L’EPFL mène ses recherches sur le lac Léman avec, notamment, la Commission internationale pour la protection des eaux du Léman (CIPELLien externe). L’EPFL collabore aussi avec l’Institut Suisse des sciences et technologies de l’eau et les universités de Genève et de Lausanne sur une nouvelle plate-forme au large de Lausanne que présente la RTS Lien externedans cette vidéo.
«Le monde scientifique est très international. Une réalité bien comprise en Suisse, explique Andrew Barry. De plus, la Suisse étant un petit pays, les scientifiques apprennent à se connaître peut-être plus facilement qu’ailleurs. Ajouté à sa situation géographique, on peut y développer de solides collaborations.»
L’ingénierie environnementale est le domaine dans lequel évolue le scientifique australien. Quelles en sont les applications concrètes pour le lac Léman? S’il y a un écoulement dans le lac, répond Andrew Barry, les recherches de l’EPFL peuvent aider à déterminer où il ira, combien de temps il restera à la surface et les réactions chimiques possibles dues à la lumière du soleil, susceptibles d’affecter la qualité de l’eau du lac. S’il faut installer une nouvelle prise d’eau du lac, par exemple pour de l’eau potable, la recherche peut aider à déterminer sa localisation.
«Un groupe ici envisageait de construire une île artificielle pour les oiseaux, poursuit Andrew Barry. La question est de savoir comment cette île affecte l’hydrodynamique du lac. C’est le genre de problèmes que nous contribuons à résoudre.»
Quand le vent pénètre le lac
Le lac Léman se réchauffe-t-il? Avec son volume d’environ 89 km3, la température y varie très progressivement. Les statistiques à long terme montrent une tendance au réchauffement, mais ceci n’est nullement linéaire et le système lacustre est complexe.
L’équipe de Barry a étudié l’impact du vent dans le brassage entre les eaux de surface et les eaux des profondeurs. Il est particulièrement prononcé en hiver, lorsque l’écart de température entre les eaux de surface et les eaux profondes est faible. Cette stratification dite faible permet à l’énergie des vents forts soufflant le long du lac de pénétrer profondément dans la masse d’eau.
«Dans nos travaux récents, nous avons constaté qu’après un vent de plusieurs jours, il y a beaucoup de remontées d’eau et – c’est un peu difficile à croire – l’eau vient d’une profondeur de 150 à 200 mètres. La remontée d’eau est un phénomène connu, mais elle est particulièrement évidente dans ce lac en raison de sa profondeur et de ses vents réguliers sur plusieurs jours.»
Un autre phénomène surprenant appelé courant de turbiditéLien externe se produit à l’extrémité est du lac.
«Quand le Rhône entre dans le lac, il apporte des sédiments et aussi une température normalement plus fraîche, explique le scientifique. C’est donc de l’eau plus dense. Si elle l’est suffisamment, elle descendra jusqu’au fond, là où se trouve une pente raide. Cette eau peut se déplacer sur le fond presque jusqu’au milieu du lac.»
(Traduction de l’anglais: Frédéric Burnand)
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