Changement climatique: comment vivre au pied d’une montagne qui menace de s’effondrer
Le sommet de la COP26, qui se déroule à Glasgow du 31 octobre au 12 novembre, entend fixer des objectifs climatiques plus ambitieux, alors que certains affirment qu’il est déjà trop tard. Dans la station alpine de Kandersteg, dans l’Oberland bernois, les villageois et villageoises vivent avec la menace de l’effondrement du Spitzer Stein tout proche.
Au milieu d’un lac de montagne bleu émeraude, deux touristes se débattent avec un canot à rames. «Vous devez tirer, pas pousser», crie Robin depuis la rive. Le jeune batelier sourit et tire une longue bouffée de sa cigarette. Chaque année, des milliers de personnes visitent le spectaculaire lac d’Oeschinen, au-dessus du village de Kandersteg, dans le canton de Berne. Mais, en ce matin d’automne, le calme règne: peu de gens souhaitent louer un bateau ou piquer une tête dans l’eau glacée.
Le soleil matinal tape sur la majestueuse couronne de sommets culminant à quelque 3000 mètres. Soudain, le bruit de pétards résonne autour du lac. Des touristes anxieux observent les panaches de poussière qui s’élèvent au-dessus d’un flanc lointain.
«Ce sont de petites pierres qui dévalent du Spitzer Stein», me lance Robin. «Mon chef m’a dit qu’il y a eu de gros éboulements la nuit dernière, vers deux heures du matin.»
Robin ne craint pas que la montagne frappe le lac d’Oeschinen et engloutisse son entreprise de location de bateaux. Mais il s’inquiète pour son village, Kandersteg, qui se trouverait sur la trajectoire des glissements de terrain, des coulées de boue ou des inondations en cas d’effondrement du Spitzer Stein.
>> Animation Google Earth de 30 secondes de Kandersteg et du Spitzer Stein.
Le Spitzer Stein (2974 m), en forme de Toblerone, menace de s’effondrer. Cinq fois plus de roches que celles qui se sont détachées en 2017 du Piz Cengalo, au-dessus du village de Bondo, dans le canton des Grisons, sont en mouvement. Dans le pire des cas, vingt millions de mètres cubes de calcaire et de marne – l’équivalent de huit pyramides – pourraient, avec d’autres débris et de l’eau, submerger Kandersteg et ses habitants.
Des responsables gouvernementaux, des experts et expertes et des militants et militantes se réunissent à Glasgow, en Écosse, du 31 octobre au 12 novembre, pour la 26e Conférence des Nations Unies sur les changements climatiques (COP26)Lien externe. L’objectif de ce sommet est de négocier une action climatique plus ambitieuse avec les près de 200 pays qui ont signé l’Accord de Paris en 2015. Ceux-ci ont accepté de maintenir l’augmentation de la température mondiale à un niveau bien inférieur à 2 degrés Celsius par rapport aux niveaux préindustriels et de poursuivre les efforts pour limiter encore davantage la hausse à 1,5 degré Celsius.
La Suisse s’engage en faveur de règles efficaces et uniformes, applicables à tous les pays, en se concentrant sur trois points. Elle veillera à ce que les réductions d’émissions de gaz à effet de serre réalisées à l’étranger soient comptabilisées une seule fois et non plus deux (dans le pays à l’origine du projet et celui dans lequel il est mené). Elle œuvrera en faveur d’un accroissement des investissements dans la protection du climat, notamment dans les pays les plus pauvres. Enfin, Berne fera pression pour que chaque pays élabore des stratégies visant à atteindre la neutralité climatique d’ici à 2050.
Fonte du permafrost
La crise climatique, qui est au cœur des discussions de la COP26 à Glasgow, modifie les Alpes suisses. Les températures augmentent, les glaciers fondent et le dégel du permafrost compromet la stabilité des massifs montagneux. Selon l’Office fédéral de l’environnement (OFEV), 6 à 8% du territoire suisse est instable. Les agglomérations situées sous les zones de pergélisol doivent s’attendre à des glissements de terrain et à des coulées de boue dans les années à venir.
Le pergélisol et les menaces qui pèsent sur les régions alpines ne seront pas directement abordés lors de la COP26. Mais des discussions plus larges sur la manière dont les communautés s’adaptent aux catastrophes climatiques se tiendront à Glasgow. Chaque pays doit présenter une «communication sur l’adaptation», décrivant ses efforts, ses plans futurs et ses besoins pour s’adapter aux effets du réchauffement planétaire.
Pour la Suisse, la stratégie d’adaptation au changement climatique à long termeLien externe, mise à jour pour 2020-2025, se concentre sur douze domaines prioritaires. Ceux-ci comprennent la gestion des risques accrus de glissements de terrain, d’inondations, de canicules et de sécheresses ainsi que l’élévation de la limite d’enneigement et la dégradation de la qualité de l’eau, des sols et de l’air.
La fonte du permafrostLien externe est perceptible dans les Alpes suisses. Au cours des vingt dernières années, le réseau PERMOS a surveillé et documenté l’état du pergélisol sur trente sites. Le tableau est sombre: les températures du pergélisol ont atteint des niveaux record en de nombreux endroits de haute altitude, tout comme l’épaisseur de la couche active (la couche supérieure du sol qui dégèle en été) et la vitesse des glaciers rocheux.
Sur le Spitzer Stein, les chutes de pierres ne sont pas nouvelles. Mais, au cours de la dernière décennie, certains pans sont devenus plus instables. Les zones fragiles se sont étendues, de grandes fissures apparaissant dans le substrat rocheux exposé. Les causes sont multiples. Le dégel du pergélisolLien externe a exacerbé l’instabilité des parties supérieures de la montagne. Les températures plus élevées ont fait fondre la glace, permettant à l’eau de pénétrer dans la roche sous-jacente et de contribuer à l’instabilité.
«Au cours des trois dernières années, nous avons observé que l’ensemble de la montagne fondait lentement», souligne Robert Kenner, expert en pergélisol à l’Institut fédéral pour l’étude de la neige et des avalanches.
Surveillance 24 heures sur 24
Le problème est que l’instabilité s’accélère. Les énormes chutes de neige de l’hiver dernier et les fortes pluies de cet été ont accéléré le rythme auquel le Spitzer Stein se déplace vers la vallée, explique Nils Hählen, chef de la division Dangers naturels du canton de Berne.
«La section qui glisse le plus rapidement se déplace d’environ 6 à 8 mètres par an, ce qui est énorme», pointe-t-il. «Nous avons recherché des cas similaires dans les Alpes ou ailleurs dans le monde, et il est vraiment difficile de trouver des mouvements similaires, si importants.»
Depuis 2018, Nils Hählen et son équipe d’experts et d’expertes surveillent de près la montagne. Ils et elles ont mis en place un réseau d’observation 24 heures sur 24, qui comprend des dizaines de radars, de GPS, de caméras et des instruments de mesure des précipitations.
Selon Nils Hählen, il est peu probable que les 20 millions de mètres cubes s’écroulent en un seul énorme glissement de terrain. Mais, au cours des cinq à dix prochaines années, des chutes de pierres plus petites, de 1 à 8 millions de mètres cubes, sont possibles.
Il prévient: «Dans le pire des cas, [une avalanche de pierres] pourrait s’approcher du village, mais pas y pénétrer. Nous demeurons néanmoins préoccupés par les processus secondaires, tels que les coulées de débris.» Un glissement de terrain majeur, accompagné de fortes pluies et de coulées de boue, pourrait engloutir certaines parties de Kandersteg.
Protéger le village
La cravate rouge flottant au vent, le maire de Kandersteg René Maeder se tient au bord d’un barrage de dix mètres de large, non loin du centre du village. Le fonctionnaire de 67 ans pointe du doigt l’endroit du barrage sur lequel sera tendu un énorme filet métallique pour retenir les pierres et les débris engendrés par les glissements de terrain en provenance du Spitzer Stein. Le coût de cet ouvrage de protection, en cours de finalisation, s’élève à 11,2 millions de francs suisses (quelque 12 millions de dollars).
«Ces mesures de protection peuvent aider lors d’événements de petite ou moyenne ampleur. Mais elles ne suffisent pas à se protéger d’un important éboulement», signale René Maeder, qui est né dans ce village de 1300 habitants.
Divisés sur les risques
De petits éboulements et les alertes des géologues ont déjà entraîné la fermeture des sentiers de randonnée et des secteurs situés directement en dessous du Spitzer Stein. Les visiteurs et visiteuses ne semblent pas perturbés et, selon les responsables hôteliers, il n’y a pas eu d’impact notable sur le tourisme.
Les habitants et habitantes sont, quant à eux, divisés sur les dangers, les plus âgés étant souvent plus sceptiques. «Je me sens en sécurité», affirme Doris Wandfluh, une habitante d’un certain âge. «Nous avons désormais une protection contre les premières grosses pierres si elles tombent. Et si d’autres suivent, alors il y aura peut-être de petits dommages, mais je pense que les résidents seront protégés à temps et que les dégâts pourront être réparés.»
Selon elle, les habitants et habitantes de longue date sont plus habitués aux dangers naturels comme les avalanches ou les tempêtes que les nouveaux arrivants qui ont peur, «car ils et elles ont des images de la catastrophe de Bondo».
Robin, le batelier, a des doutes sur les mesures de protection. «Certains disent que le barrage n’est pas un bon plan, qu’il n’est pas assez large au fond. Je suis d’accord.»
>> Vidéo du glissement de terrain du Piz Cengalo en 2017 qui a touché le village de Bondo dans le canton des Grisons, au sud-est de la Suisse.
Robin, le batelier, a des doutes sur les mesures de protection. «Certains disent que le barrage n’est pas un bon plan, qu’il n’est pas assez large au fond. Je suis d’accord.»
«Interdiction de construire»
Grâce à l’importante surveillance haute technologie, une alerte peut être donnée en cas de catastrophe imminente et la commune aurait 48 heures pour prendre des mesures. Les habitants et habitantes devraient pouvoir être évacués à temps, ainsi que les animaux de ferme. Mais les biens et les infrastructures subiraient des dommages.
Les risques d’éboulement constituent un véritable casse-tête pour René Maeder et de nombreuses personnes résidant dans la région. L’automne dernier, les autorités bernoises ont présenté une nouvelle carte des dangers de Kandersteg qui tient compte de la nouvelle situation. Près des deux tiers du village ont été classés en zone de danger rouge ou orange, y compris le bureau du maire. Aucun nouveau bâtiment ne peut être érigé et les édifices détruits ne peuvent être reconstruits. Seules les petites rénovations et extensions sont autorisées.
«Il s’agit dans les faits d’une interdiction de construire. C’est une catastrophe pour les entreprises locales», souligne Peter, le mari de Doris Wandfluh, qui est architecte. En raison des zones de danger, il a récemment vu cinq demandes de construction rejetées, pour un montant de 3,5 millions de francs suisses.
L’an passé, certains habitants et habitantes ont contacté René Maeder lui demandant de lutter contre la nouvelle classification, qu’ils jugent exagérée et imposée par les assurances de construction. Une décision sur les adaptations possibles est attendue en décembre.
«Aujourd’hui, nous avons tendance à vouloir tout sécuriser. Mais ce n’est tout simplement pas possible», relève le maire. La population de Kandersteg vit avec les dangers depuis des générations. Une question demeure: quels types de risques est-elle prête à prendre? Et René Maeder de s’interroger: «A quel point voulons-nous nous assurer pour un événement qui ne peut causer que des dommages matériels?»
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