La matière sombre, matière fantôme ou illusion mathématique?
Depuis 30 ans, les astronomes cherchent une matière sombre, que personne ne trouve. Et si elle n’existait simplement pas? Récemment, des experts de deux différentes institutions suisses ont publié des recherches qui défient le modèle communément admis de l’univers.
Depuis plus d’une décennie, André Maeder est retraité du Département d’astronomie de l’Université de Genève, où ses recherches se concentraient sur la physique des étoiles. Mais le professeur n’a pas cessé pour autant de chercher des réponses aux énigmes du cosmos.
En fait, il a maintenant plus de temps que jamais à consacrer aux questions qui le préoccupent depuis le tout début de sa carrière. Des questions comme «avons-nous vraiment besoin de la matière sombre pour nous aider à expliquer l’univers?»
«J’y ai travaillé quelques années quand j’étais jeune assistant. Mais à l’époque, ce n’était pas dans la ligne de recherche de l’Observatoire [de Genève]», raconte l’astrophysicien, rencontré sur le site dudit observatoire, entre les champs et les bois de la campagne genevoise, à quelques kilomètres de la cité.
Mais en 40 ans, la science a évolué – elle est toujours en mouvement. En novembre de l’année dernière, André Maeder a publié un articleLien externe qui a créé le choc dans la communauté scientifique. L’auteur y remet en question l’hypothèse pourtant admise de longue date qui voudrait que la plus grande part de notre univers soit faite de matière sombre et d’énergie sombreLien externe.
En finir avec la matière sombre
L’hypothèse d’André Maeder part d’un concept nommé «invariance d’échelle du vide», qui suppose que les propriétés d’un espace vide restent les mêmes lorsque cet espace se dilate ou se contracte.
Dans le modèle cosmologique standardLien externe, les propriétés du vide sont prises en compte par les équations de la gravité d’Einstein d’une manière qui interdit l’invariance d’échelle. Autrement dit, une dilatation ou une contraction générale de l’espace-temps modifie ces équations.
Au contraire, Maeder propose que ces équations soient considérées comme invariantes quelle que soit l’échelle, ce qui nécessite d’y introduire de nouveaux termes mathématiques.
«Bien sûr, je suis partial, mais j’estime qu’il est plutôt raisonnable de supposer que là où il n’y a rien, si l’on contracte ou dilate l’espace, on peut s’attendre à ce que rien ne change», résume-t-il.
A l’aide de son modèle qui ne varie pas selon l’échelle, l’astrophysicien genevois a mené des tests grandeur nature qui montrent que l’on pourrait expliquer certains phénomènes galactiques sans la matière sombre. Ainsi, les galaxies qui font partie d’un amas se déplacent plus rapidement qu’elles ne le devraient en tenant compte de leur masse visible. Habituellement, on attribue ce phénomène à la présence de grandes quantités de matière sombre, qui reste invisible.
«Depuis environ 30 ans, c’est l’explication courante: une grande part de notre univers est formé de matière sombre, qui serait six à huit fois plus abondante que la matière visible», rappelle André Maeder. «Mais si l’on adopte ma théorie, on n’a plus besoin de cette matière sombre. La réponse est donnée par les équations modifiées qui régissent le mouvement, avec de nouveaux termes mathématiques».
Bien que publiée dans «The Astrophysical Journal», une revue qui fait autorité dans son domaine, la théorie de Maeder a soulevé des oppositions dans la communauté scientifique, certains qualifiant son travail d’«inconsistantLien externe» et critiquant son approche mathématique.
Pas de quoi le décourager de soumettre à l’avenir son modèle à d’autres tests, par exemple pour voir s’il peut rendre compte d’observations cosmologiques sur l’hélium produit par les réactions nucléaires juste après le big bang.
Trop régulier
En février, le modèle standard et le rôle de la matière sombre se sont vus mis en question par un autre articleLien externe de la prestigieuse revue Science, publié par Oliver Müller, de l’Université de Bâle, avec une équipe internationale de scientifiques.
Dans le cadre de sa thèse de doctorat, le jeune chercheur avait entrepris une étude des petites galaxies satellites qui orbitent autour d’une plus grande galaxie du nom de Centaurus A, à quelque 13 millions d’années-lumière de notre Voie Lactée. Mais avec ses collègues, il a remarqué quelque chose d’étrangeLien externe: les satellites semblaient se déplacer sur un même plan et dans la même direction, de la même manière que les planètes de notre système solaire tournent autour du soleil.
A première vue, cela ne semble pas vraiment étonnant, mais voilà: dans sa forme actuelle, le modèle standard prédit qu’en raison des effets de la matière sombre, les galaxies satellites devraient se déplacer de manière aléatoire et désordonnée autour de Centaurus A, «comme des abeilles autour d’une ruche».
Après comparaison de leurs observations avec des ensembles de simulations cosmologiques, Müller et son équipe ont trouvé que ce qu’ils avaient vu n’avait que 0,5% de chances de se produire selon le modèle standard.
Et ce n’est pas tout: ces mouvements et ces alignements de galaxies satellites avaient été observés auparavant, autour de la Voie Lactée et de sa voisine Andromède. On arrivait donc à trois systèmes de galaxies se déplaçant selon le même schéma, ce qui, selon Müller, n’aurait qu’une chance sur 200 millions de se produire si l’on suit le modèle standard.
«Je suis un observateur. Je m’intéresse avant tout à l’aspect de l’univers, donc ce n’est pas à moi de décider au final si le modèle standard est correct ou non – c’est aux théoriciens de le faire», explique Oliver Müller. Qui pense néanmoins que cela va amener «un changement de paradigme».
Bien que très occupé par sa thèse, qu’il défendra en août, il n’en a pas moins l’intention de poursuivre ses recherches sur les mouvements des galaxies satellites, pour voir si d’autres dans le groupe de Centaurus A suivent les mêmes mouvements et les mêmes alignements.
«Pour l’instant, nous avons 14 satellites sur 16 qui suivent le même modèle. Il est très peu probable que ce soit dû au hasard, mais ce pourrait être une anomalie statistique. Mais si on arrivait à 27 sur 30, on saurait que, oui, c’est un phénomène du à la physique», prévoit Müller.
«Il se pourrait aussi que nos premières observations ne soient pas confirmées», ajoute-t-il en bon scientifique. «Ce qui serait aussi très cool».
(Adaptation de l’anglais: Marc-André Miserez)
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