Jatropha, produit miracle ou calamité pour le Sud ?
Une petite noix est au cœur d'un litige qui oppose les œuvres d'entraide et l'entreprise Green Bio Fuel. Cette dernière veut importer le Jatropha du Mozambique pour en tirer du biodiesel.
Le carburant biologique, extrait de la noix de Jatropha fait figure de produit miracle dans la lutte contre l’épuisement des ressources pétrolifères et le réchauffement climatique. Mais la culture de la plante se ferait aussi au détriment des cultures vivrières. C’est du moins ce que dénonce une étude publiée par l’œuvre d’entraide Swissaid.
«Contrairement à ce qui avait été affirmé au départ, la plante du Jatropha est sujette à des maladies phytosanitaires et partant, sa culture requiert d’importantes quantités d’eau, d’engrais et de pesticides», explique à swissinfo.ch Tina Goethe, représentante de Swissaid.
Mandatés par plusieurs organisations non gouvernementales suisses, des collaborateurs de l’association des paysans du Mozambique ont examiné quelles pourraient être les conséquences de la culture de Jatropha, ou noix purgative, dans leur pays.
«Les défenseurs de la culture de cette noix soutiennent que la plante peut être cultivée en terres semi-arides. Mais en réalité, le Jatropha se développe de préférence sur des surfaces cultivables. Ce transfert se fait au détriment des ressources alimentaires», ajoute Tina Goethe.
«Il est démontré qu’au Mozambique, le Jatropha entrave le développement agricole durable», peut-on lire dans les conclusions du rapport. Les oeuvres d’entraide conseillent dès lors d’introduire un moratoire de cinq ans sur la culture du Jatropha dans ce pays.
«Obstructionnisme»
La parution de cette étude n’est pas un hasard. Le Parlement doit bientôt se pencher sur une initiative du député socialiste Rudolf Rechsteiner, qui demande un moratoire de cinq ans sur la fabrication d’agrocarburants en Suisse. La commission ad hoc de la Chambre basse a approuvé sa requête.
Chez Green Bio Fuel Switzerland AG, l’entreprise qui planifie la construction d’une usine qui produirait quelque 100’000 tonnes de biodiesel par année avec l’huile de la noix du Jatropha du Mozambique, ce vent d’opposition suscite scepticisme et incompréhension.
«Par le biais de cette initiative parlementaire et de la publication de cette étude, Rudolf Rechsteiner et les œuvres d’entraide conduisent une politique d’obstruction qui a pour effet de nuire à la Suisse», regrette le porte-parole de l’entreprise, Ulrich Frei, contacté par swissinfo.ch.
Selon lui, la révision de la loi sur l’impôt sur les huiles minérales, de même que l’ordonnance sur l’écobilan des carburants, de l’Office fédéral de l’environnement, démontrent qu’un moratoire serait superflu.
Politique de l’incitation, modèle à suivre
Avec l’allègement fiscal sur les biocarburants issus de ressources renouvelables, la Suisse dispose d’un instrument d’incitation, cité en exemple, et même partiellement repris par l’Allemagne et l’Etat américain de la Californie.
Au-delà des objectifs de politique environnementale – soit la substitution de 5% des carburants traditionnels par du biodiesel – Ulrich Frei souligne aussi les avantages socioéconomiques que présente le projet qu’il défend: «Pour 10’000 hectares de culture de Jatropha, 1’500 emplois sont créés au Mozambique. Et ce sont autant de personnes qui n’iront pas gonfler les bidonvilles urbains».
Dans le camp adverse, les œuvres d’entraide mettent aussi la question sociale en exergue. «Les négociations portant sur l’attribution des licences pour la culture du Jatropha ont ouvert la porte à la corruption, affirme Tina Goethe, de Swissaid. Nous connaissons des cas dans lesquels des autorités locales se sont vues promettre la construction d’un puits, voire d’un hôpital par les investisseurs».
Jean Ziegler, précurseur
Swissaid et Rudolf Rechsteiner s’appuient sur une requête de Jean Ziegler pour justifier leur position. En 2007 alors qu’il était rapporteur spécial auprès de l’ONU pour le droit à l’alimentation, l’ancien député avait demandé un moratoire de cinq ans sur les agrocarburants.
La culture destinée à la production de biocarburants se ferait au détriment de la production alimentaire. «Celui qui fait le plein de biocarburant, affame les populations du Sud», avait clamé Jean Ziegler.
Renat Künzi, swissinfo.ch
(Traduction de l’allemand, Nicole della Pietra)
A l’ère du réchauffement climatique, le biodiesel est perçu comme un carburant respectueux de l’environnement.
Cette énergie renouvelable permettrait de réduire les émissions de monoxyde de carbone, de quelque 50%.
Mais son contenu en particules nocives pour l’environnement resterait cependant comparable à celui du diesel minéral (fossile).
Le biodiesel produirait près de 40% de plus d’émission de gaz carbonique.
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