«L’exclusion de la Suisse du programme Horizon Europe est un problème sérieux»
Les investissements massifs de la Confédération dans l’éducation permettent à l’École polytechnique fédérale de Zurich (EPFZ) de régater au plus haut niveau face à la concurrence internationale. Mais selon son recteur, le physicien des particules italien Günther Dissertori en place depuis février 2022, l’exclusion du programme «Horizon Europe» est susceptible de lui mettre les bâtons dans les roues sur le moyen terme. Interview.
Nous voici dans un spacieux bureau situé au premier étage du bâtiment principal de l’EPFZ. Günther Dissertori nous y attend. De la fenêtre, la vue embrasse toute la ville alors que la nuit tombe. Le physicien italien né en 1969 est originaire du Trentin-Haut-Adige (Lagundo/Algund); il a étudié à Innsbruck et au CERN à Genève, pour devenir enseignant à l’EPFZ à seulement 32 ans. D’abord comme assistant puis, dès 2007, en tant que professeur ordinaire en physique des particules.
Successeur de la professeure Sarah Springman depuis 2022, Günther Dissertori est désormais recteur de cette véritable institution helvétique. D’où sa rencontre avec le président de la République italienne en décembre dernier. Durant sa visite officielle de deux jours en Suisse, Sergio Mattarella a en effet fait un crochet par l’EPFZ, qui accueille une «colonie» de plus de quatre cents cerveaux italiens…
swissinfo.ch: Enfant, quels étaient vos rêves?
Günther Dissertori: Très honnêtement, comme beaucoup d’enfants, mon rêve était de devenir astronaute. Les sciences naturelles et la technologie m’ont toujours intéressé. À un moment donné, j’ai donc opté pour la physique, pour ne plus l’abandonner. Un choix que je n’ai jamais regretté.
Votre parcours académique vous a conduit à Zurich, pour quelle raison?
J’ai étudié la physique à Innsbruck. Un choix dicté par la volonté d’étudier dans ma langue maternelle, l’allemand. À Innsbruck, j’ai eu la chance de rencontrer un professeur qui menait un groupe de recherche au CERN à Genève. C’est ainsi, en un certain sens, que j’ai entamé ma relation avec la Suisse.
Durant mon doctorat à l’Université d’Innsbruck, j’ai obtenu une bourse d’études spéciale qui m’a permis de travailler au CERN à plein temps. Je suis donc en Suisse depuis début 1994 et je ne l’ai plus quittée. En 2001, de façon un peu surprenante compte tenu de mon très jeune âge [32 ans, NDLR], j’ai remporté un concours pour le poste de professeur à l’École polytechnique fédérale de Zurich et depuis février 2022, j’en suis le recteur.
L’EPFZ incarne l’excellence suisse dans le monde académique international. Y a-t-il un sens à faire une distinction de nationalité ou le monde de la science fait-il fi des frontières?
Je choisirais plutôt la seconde option. La recherche au plus haut niveau se nourrit de la concurrence internationale et pas seulement de celle au niveau national. L’EPF de Zurich a toujours été une université très internationale, où de nombreux étudiants — mais aussi de chercheurs et d’enseignants — viennent de l’étranger. J’aimerais toutefois souligner un aspect suisse qui permet à l’EPFZ d’être compétitive au plus haut niveau international: la Confédération a décidé il y a des années, et elle continue à le faire aujourd’hui, d’investir massivement dans la formation et la recherche. Un appui financier essentiel grâce auquel la Suisse nous permet de maintenir notre niveau d’excellence à l’aune internationale.
En parlant d’excellence, l’EPFZ se classe année après année parmi les dix meilleures universités du monde. Ces classements sont-ils importants?
La réponse classique à cette question est «oui et non». Ils ont leur importance pour attirer les meilleures étudiantes et étudiants au niveau master ou doctorat, sachant qu’aujourd’hui, les meilleur-e-s regardent ces classements avant de choisir où étudier. On peut donc dire que notre institution est plus attractive en appartenant au «top ten» des universités de la planète.
Ensuite, il y a le monde scientifique. Là, nous sommes en général tous habitués à travailler dans un contexte de forte compétition. Dans ce sens, les «rankings» contribuent à la course vers les sommets. La réponse inverse est «non, les classements n’ont pas d’importance» lorsque nous parlons de formation, d’enseignement et de recherche.
À cet égard, nous visons simplement à être bons, car nous voulons que ceux et celles qui étudient et font de la recherche chez nous bénéficient dans notre institution des meilleures conditions possibles et au meilleur niveau. En faisant cela, nous ne pensons pas constamment aux classements. En réalité, les classements sont un effet secondaire de notre travail visant l’excellence.
Au sujet de l’attractivité de l’EPFZ, qu’implique d’être exclus du programme scientifique «Horizon Europe»?
C’est un problème sérieux, je ne le cache pas. Nous sommes très préoccupés et nous l’avons souvent répété aux autorités compétentes. Le risque est grand de voir l’attractivité internationale de l’EPFZ en pâtir. Une particularité essentielle de notre université est de réussir à attirer les meilleurs scientifiques du monde entier. En définitive, ce sont les personnes qui font la différence.
Avec cette exclusion du programme-cadre de l’UE pour la recherche et l’innovation, nous courrons le risque que certain-e-s prennent une autre décision, c’est-à-dire qu’ils ou elles ne viennent plus chez nous en Suisse, mais partent ailleurs. Ou qu’ils ou elles acceptent les sollicitations venues d’Allemagne. À long terme, cela pourrait avoir un effet négatif non seulement sur la recherche, mais aussi, notamment, sur l’enseignement.
Nous savons très bien que les scientifiques les mieux formés sont souvent les meilleurs enseignants. Nous observons donc de très près ce qui se passe et continuons à espérer que la question pourra être résolue de façon positive.
Si vous deviez citer un défi à court terme pour votre école, quel serait-il?
Un défi m’occupe depuis que je suis recteur. L’EPFZ a enregistré une croissance importante du nombre d’étudiantes et étudiants ces dix ou quinze dernières années et cette évolution va se poursuivre dans les années à venir.
C’est une bonne chose d’un côté. Le pays a besoin de spécialistes formés. Mais nous savons aussi que l’augmentation des ressources financières ne suit pas celle du nombre d’étudiantes et étudiants. Un profond fossé se creuse que nous devons endiguer pour pouvoir continuer dans le futur à garantir la qualité de notre enseignement dans ce contexte des plus complexes.
Dernière question: si les conditions étaient réunies, retourneriez-vous en Italie?
Pour le moment, je dois dire honnêtement que ça ne me paraît pas une option sérieuse. Je suis très content de ma situation actuelle ici à Zurich. Je songerai peut-être un jour à retourner en Haut-Adige. Au fond, c’est là que je suis né et que j’ai grandi. Mais professionnellement, je suis très heureux où je suis.
Traduit de l’italien par Pierre-François Besson
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