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L’intelligence artificielle au secours des enfants nés avec une fente labiale et palatine

Epuipe médicale autour d un enfant avec un bec-de-lièvre
L’équipe interdisciplinaire de l’ONG AWD Kinderhilfe Schweiz examine un patient avec une fente labiale et palatine au Kirghizistan. © 2007 Thomas Kern Thomas Kern

Les familles des enfants nés avec une fente labiale ou palatine, ou les deux, peuvent être bouleversées, d’autant que toutes n’ont pas les moyens de payer des opérations particulièrement chères. Des scientifiques suisses ont mis au point une méthode peu onéreuse et sans risque pour simplifier les procédures médicales et réduire les coûts.

Lorsque le docteur Andreas Müller, de l’Hôpital universitaire de Bâle, reçoit des images prises par un médecin indien d’un nouveau-né souffrant d’un bec-de-lièvre et d’une fente palatine, il les introduit dans un logiciel spécial sur son ordinateur pour créer un modèle numérique du palais. Il renvoie ensuite le modèle à son homologue indien, qui utilisera une imprimante 3D pour produire des plaques palatines préchirurgicales destinées aux nourrissons.

Autrefois chronophage, le processus est désormais nettement raccourci: il suffit d’appuyer sur quelques boutons pour créer une plaque palatine adaptée aux nouveau-nés présentant des déformations faciales et éviter ainsi de multiples opérations chirurgicales coûteuses. L’opération numérique, mise au point par Andreas Müller, directeur du Centre de compétence des fentes labiales et palatines de l’Université de Bâle, et des scientifiques du département d’informatique de l’École polytechnique fédérale de Zurich (EPFZ), est actuellement testée dans des cliniques indiennes et polonaises. Elle pourrait permettre d’améliorer les traitements, notamment dans les pays à faible revenu.

Les fentes labiales et palatines sont nettement plus fréquentes qu’on ne l’imagine: environ un bébé sur 700 à travers le monde naît avec une fente labiale et/ou palatine, selon l’organisation à but non lucratif Smile TrainLien externe, qui assure des traitements chirurgicaux correcteurs aux enfants de 87 pays. C’est l’une des anomalies congénitales les plus fréquentes. La fente labiale (aussi appelée bec-de-lièvre) est la plus courante: la lèvre supérieure n’est pas formée correctement, laissant un vide. Une fente palatine concerne, elle, une malformation du palais (également appelée toit de la bouche) pendant le développement du fœtus.

Les complications d’une fente labiale et/ou palatine vont bien au-delà de l’aspect esthétique. Les enfants avec une fente non traitée peuvent être confrontés à des difficultés tout au long de leur vie, notamment en matière de respiration, de succion et de déglutition, et connaître des problèmes dentaires et d’élocution. Selon une étudeLien externe publiée dans la revue JAMA Pediatrics, les personnes nées avec une fente palatine ont également tendance à présenter des difficultés d’apprentissage plus grandes, des troubles de l’anxiété ou du spectre autistique et même un risque de mortalité plus élevé.

La chirurgie réparatrice peut atténuer considérablement ces difficultés. Depuis le milieu du 20e siècle, d’importants progrès ont été réalisés dans la réparation des fentes labiales et/ou palatines. Cependant, les enfants nés avec une telle malformation doivent encore subir entre deux et quatre interventions chirurgicales au cours de leur enfance et au début de leur vie adulte.

Des méthodes conventionnelles coûteuses

Le prix de ces interventions varie en fonction du type de fente et du type de traitement requis. En Suisse et aux États-Unis, une opération coûte en général entre 5000 et 10’000 dollars, précise Andreas Müller. En Inde, elle vaut entre 2300 et 3500 dollars. Si ce montant peut sembler relativement abordable par rapport à celui pratiqué dans les pays riches, il demeure largement au-dessus des moyens de nombreuses familles dans les pays à revenu faible ou intermédiaire. Bien que les fentes labiales et palatines puissent survenir dans tous les groupes ethniques, elles se révèlent plus fréquentes chez les bébés d’origine asiatique (environ 1 naissance sur 500), suivies des nouveau-nés d’origine amérindienne et hispanique, selon le Nationwide Children’s HospitalLien externe aux États-Unis.

Des médecins préfèrent réduire l’opération chirurgicale consistant à réparer la malformation de la lèvre et du palais de plusieurs étapes à une seule. Toutefois, comme l’explique Andreas Müller, une telle intervention ne peut s’effectuer qu’en collaboration avec une équipe multidisciplinaire. Un.e dentiste pédiatrique, un.e chirurgien.ne et un.e anesthésiste prennent l’empreinte du palais du bébé peu après sa naissance pour créer un moule en plâtre. Un.e prothésiste dentaire expérimenté.e fabrique à la main une plaque en plastique à partir du moule, puis un.e orthodontiste implante la plaque dans la bouche du bébé et l’ajuste fréquemment pendant plusieurs mois. La plaque ferme le palais, qui est ouvert sur le nez, ce qui permet au bébé de boire plus facilement. Au bout de six à huit mois, sa fente sera devenue plus étroite et la position de sa langue suffisamment corrigée pour qu’une seule intervention chirurgicale soit nécessaire pour la fermer.

«Mais seules quelques équipes ont pu réaliser cette intervention, relève Andreas Müller. En tant que professionnels de la santé, nous ressentons de la frustration face au fait que de tels ‹luxes› ne sont pas accessibles à plus de familles dans les pays où les soins, la formation et les effectifs sont limités.» En outre, les opérations ne s’avèrent pas sans risque. Le système respiratoire du bébé n’étant pas encore bien développé, les médecins risquent de bloquer ses voies respiratoires lors de la prise d’empreintes avec du matériel en silicone et de provoquer une suffocation – bien que cela reste très rare.

Des photos à l’impression 3D

Andreas Müller et ses collègues de l’Hôpital universitaire de Bâle, en collaboration avec l’équipe de l’EPFZ, ont commencé à explorer en 2020 les moyens de rendre les opérations de fente plus faciles, plus sûres et plus prévisibles, avec un coût minimal pour les familles. Mais un écart insurmontable entre leur objectif et le financement demeure toujours. «Dans le domaine des malformations des fentes labiales et palatines, il est plutôt rare que nous puissions obtenir un financement important», souligne le médecin.

Par chance, l’équipe d’Andreas Müller a reçu début 2020 un financement du tout nouveau Botnar Research Centre for Child Health (BRCCH), une initiative conjointe de l’Université de Bâle et de l’EPFZ, pour développer un processus numérique permettant de mesurer les fentes dans l’espace et de simplifier le processus de production de plaques palatines devant servir de modèles.

La méthode la plus couramment utilisée dans les cliniques des pays développés consiste soit à prendre des empreintes en silicone du palais d’un.e patient.e pour produire un moulage en plâtre, soit à capturer des images avec un scanner intraoral pour créer une impression numérique de la cavité buccale. Mais les scientifiques de l’EPFZ qui participent au projet ont mis au point un procédé plus rentable et plus rapide. À l’avenir, les médecins, où qu’elles et ils se trouvent, n’auront besoin que d’un smartphone, d’une imprimante 3D et d’un logiciel d’intelligence artificielle pour produire une plaque sur mesure, explique à SWI swissinfo.ch la chercheuse Barbara Solenthaler, spécialisée dans la simulation numérique du corps humain et la modélisation basée sur l’image.

Après avoir pris quelques images 2D ou une vidéo de 30 secondes de la fente d’un.e patient.e, les médecins peuvent introduire les images dans le logiciel développé par Barbara Solenthaler et ses collègues de l’EPFZ pour générer un modèle numérique d’une plaque palatine grâce à une imprimante 3D. Leur logiciel a été formé à partir d’images 2D de plâtres et de plaques existants. Le flux de travail numérique est moins lourd pour les patientes et patients, puisqu’il suffit de photographier ou de filmer leur fente labiale ou palatine, plutôt que de les anesthésier ou de leur faire faire une radiographie pour prendre une empreinte.

Contenu externe

Charge des médecins et des enfants réduite

Ce flux de travail numérique permet de surmonter les limites géographiques. Depuis cet été, les médecins de six hôpitaux participant à l’essai, dont ceux de l’hôpital Bhagwan Mahaveer Jain de Bangalore, en Inde, transmettent des images ou des vidéos aux laboratoires de Bâle ou de Zurich. En retour, l’équipe a envoyé aux médecins un modèle numérique en 3D d’une plaque, qu’elles et ils peuvent imprimer sur place.

À long terme, ce flux de travail numérique deviendra théoriquement plus économique grâce à des méthodes permettant de gagner du temps. Par exemple, l’impression 3D pourrait réduire le temps nécessaire aux médecins pour créer eux-mêmes les dispositifs, car les processus seraient automatisés et imprimés conformément aux indications, indiquent le Dr Yen Hsieh, professeur adjoint à la Faculté de médecine de l’Université de Cincinnati, et Mary Roz Timbang, à l’hôpital pour enfants de Los Angeles. Tous deux comptent parmi les principaux utilisateurs et utilisatrices de la technologie d’impression 3D en chirurgie reconstructive du visage aux États-Unis. Alors qu’ils ont systématiquement examinéLien externe l’utilisation actuelle de l’impression 3D dans le traitement des personnes avec une fente labiale et palatine, ils ont publié leurs conclusions en 2021.

Un articleLien externe publié en août dernier par Andreas Müller et ses collègues montre que ce flux de travail numérique pourrait potentiellement réduire le temps d’intervention manuelle et individualisée des institutions médicales de 135 à 60 minutes. «Mais ce n’est possible qu’après avoir surmonté une période d’apprentissage initiale des médecins et le coût d’acquisition de l’imprimante 3D», ajoutent Yen Hsieh et Mary Roz Timbang.

Certains pays à faible revenu ont des politiques gouvernementales qui rendraient difficile la fourniture de ces dispositifs à la patientèle, ont-ils expliqué à SWI swissinfo.ch. Un autre défi consiste à savoir comment maintenir la qualité des soins dans les centres médicaux utilisant cette technologie. «Il existe une multitude d’imprimantes, d’équipements, d’algorithmes et de processus techniques. Cela peut en faire une technologie difficile à adopter pour les cliniciennes et cliniciens qui ne sont pas formés dans ce domaine», indique Mary Roz Timbang. Mais les scientifiques en sont convaincus: l’impression 3D recèle un potentiel important pour améliorer l’accès aux soins médicaux dans les pays à faible revenu.

L’essai clinique, qui devrait durer jusqu’en 2024, concerne trois hôpitaux en Inde, un en Pologne et deux en Suisse. Pendant cette période, Barbara Solenthaler et ses collègues continueront à améliorer le logiciel en scannant et en mesurant plus de moules et de plaques palatines existants.

Andreas Müller se réjouit des premiers succès du projet: «Nos collègues des cliniques indiennes disent que cela rend leurs interventions chirurgicales nettement plus faciles qu’auparavant. C’est très motivant.» Et de poursuivre: «J’espère vraiment que notre nouvelle stratégie de traitement profitera en particulier aux enfants des pays à faible revenu qui n’ont souvent pas accès à un traitement spécialisé des fentes en raison de contraintes financières et de ressources de santé.»

Relu et vérifié par Sabrina Weiss, traduit de l’anglais par Zélie Schaller

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