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La position des universités suisses est-elle en danger?

A l'instar de l'Ecole polytechnique fédérale de Zurich, les hautes écoles bénéficient d'importants soutiens financiers de l'Union européenne. Keystone

Les universités suisses occupent d’excellentes places dans les classements internationaux. Un expert prédit toutefois que le récent vote sur l’immigration pourrait changer la donne. Phil Baty, rédacteur en chef du «Times Higher Education World University rankings», s’explique.

Après l’acceptation, le 9 février, de l’initiative «contre l’immigration de masse», la réaction européenne ne s’est pas fait attendre. Les universités suisses viennent d’apprendre que l’Union européenne pourrait les exclure du programme de recherche Horizon 2020. La présence de la Suisse dans le programme d’échanges d’étudiants Erasmus est également mise en danger.

Les recteurs de certaines hautes écoles ont envoyé une lettre au gouvernement suisse pour exprimer leur inquiétude. Phil Baty, rédacteur en chef du «Times Higher Education World University rankings», publication consacrée aux classements des universités dans le monde entier, estime qu’une modification du contexte international pourrait affecter l’excellente position des universités suisses, à court et à long terme.

Pour les partisans de l’initiative «contre l’immigration de masse», les hauts cris ayant suivi l’acceptation sont exagérés. Ainsi, la députée Nadja Pieren, de l’UDC, le parti de la droite conservatrice qui est à l’origine de l’initiative, dit ne pas s’inquiéter des conséquences de la décision populaire sur les universités.

«La Suisse était leader dans le domaine de la recherche et de la formation bien avant la libre circulation des personnes. Cela ne va pas changer! L’initiative ne signifie pas que les frontières seront fermées. Les chercheurs et étudiants internationaux peuvent toujours venir. Je ne comprends pas cette hystérie.»

L’Université de Genève a en outre annoncé qu’elle avait un programme d’échanges d’étudiants non relié à l’UE. Les étudiants immatriculés à Genève pourraient en profiter.

swissinfo.ch: Ne pas participer à des programmes comme Horizon 2020 ou Erasmus pourrait-il affecter la réputation des universités suisses dans votre classement?

P.B.: Il y un risque réel que l’état de la recherche se détériore gravement. Les universités suisses figurent parmi les principales universités internationales du monde. Le problème est plus large, parce qu’elles ont déjà prospéré en tant qu’institutions internationales fortes et profitant de la mobilité des étudiants. Je pense que les conséquences négatives le seront à plusieurs niveaux.

Le principal critère, pour les classements internationaux, est la force de la recherche des universités. Plusieurs hautes écoles de renom en Suisse touchent des subsides du gouvernement. Mais Horizon 2020 représente une importante source d’argent. Or l’argent est très important pour maintenir un niveau d’excellence dans la recherche. Perdre des sources de revenus quand les finances sont déjà limitées est une très mauvaise affaire.

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swissinfo.ch: Si les Suisses peuvent récupérer les subsides par d’autres sources, y aura-t-il des répercussions,à long terme?

P.B.: Il y a un autre élément à prendre en compte. Lorsque vous perdez d’importantes sommes d’argent, vous vous sentez aussi plus limité dans votre réseau de recherche. Les universités pratiquant la recherche sont, par essence, globales et travaillent avec des pools de talents globaux.

La Suisse a une réputation fantastique. Elle attire des talents internationaux. La mobilité à l’intérieur de l’Union européenne a permis d’attirer les meilleurs étudiants et les meilleurs chercheurs. [Nos classements] se basent sur trois facteurs d’internationalisation: le nombre d’étudiants étrangers, celui de professeurs étrangers et le nombre de recherches publiées avec un co-auteur international. Les universités suisses sont au sommet de ces listes.

A cet égard, les Ecoles polytechniques fédérales (EPF) de Zurich et de Lausanne, de même que l’Université de Genève, sont les trois principales hautes écoles de Suisse. Le fait de ne plus faire partie de ce passionnant pool de talents est aussi un élément important, au-delà de la suppression de subsides internationaux.

swissinfo.ch: Il faudra un certain temps pour que certaines des conséquences se manifestent et aient un impact sur les classements universitaires. Mais y a-t-il des risques immédiats pour les universités suisses?

P.B.: Il y a certainement un risque immédiat pour la réputation. Dans les classements, nous avons de nombreuses données sur des faits objectifs, les dépenses en recherche, l’impact de la recherche à travers les publications, la proportion de cerveaux et d’étudiants étrangers. Nous avons actuellement treize indicateurs et certains d’entre eux sont basés sur des faits objectifs. Il faudra un certain temps pour que les effets passent au travers de ces filtres.

Une réduction du nombre de professeurs étrangers posera un problème à long terme. Celle des subsides de recherche en raison de l’exclusion des programmes européens prendra aussi du temps à se traduire dans les classements. Mais nous avons aussi des survols de la réputation globale, un élément permettant de suivre des milliers d’écoles de qualité dans le monde en leur demandant de donner le nom de leurs meilleurs départements.

Je pense qu’il y a un risque significatif pour la Suisse. Avec le vote du 9 février, elle a envoyé un message terriblement négatif au reste du monde pour dire qu’elle est moins ouverte aux talents du monde, que ses frontières sont moins ouvertes, qu’elle est moins accueillante. Dans ce sens, il pourrait même y avoir des dégâts à court terme. Les idées ne connaissent pas de frontières. Ce n’est pas un phénomène national. Si vous êtes le meilleur dans votre domaine, vous faites partie d’un phénomène international.

La semaine dernière, un chercheur en archéologie d’origine allemande, Christoph Höcker, a annoncé qu’il quitterait son poste à l’Ecole polytechnique fédérale (EPF) de Zurich et retournerait en Allemagne en raison du vote contre la libre circulation des personnes. Pour lui, c’est la goutte qui fait déborder le vase de la campagne permanente contre les Allemands. 

«On ne cesse de lire dans les commentaires des médias que les Allemands devraient rentrer dans leur pays», a écrit Christoph Höcker dans une lettre à ses étudiants. «C’est donc ce que je vais faire. J’ai démissionné et je suis sûr qu’un brave paysan du canton d’Obwald sera capable de me succéder avec succès.»

swissinfo.ch: Est-ce que vous pensez que ce vote va affecter les universités suisses dans les classements que vous publiez cette année?

P.B.: En terme de réputation mondiale, ce vote ne pouvait pas venir au pire moment, car nous sommes sur le point de commencer le survol des employés les plus qualifiés du monde. Le vote risque d’être dans tous les esprits. Il envoie un message très négatif.

swissinfo.ch: Quelle est l’importance des classements pour les universités, à long terme?

P.B.: Ils sont un bon indicateur du comportement des étudiants dans le monde. Ces derniers les utilisent comme un outil de décision pour savoir où étudier. Mais nous savons aussi que les classements sont utilisés, sur le plan géopolitique, par les gouvernements et l’industrie, pour décider où investir.

Perdre du terrain dans les classements pourrait rendre le recrutement d’étudiants étrangers plus difficile. De plus, le vote risque d’avoir des conséquences négatives sur la collaboration internationale des universités suisses et mener vers une spirale négative. Un rang plus bas dans un classement peut aussi entraîner un recul des fonds pour la recherche industrielle et les fonds de développement.

Pour nous, il est toutefois remarquable que les institutions suisses soient les plus opposées à nos indicateurs internationaux. Mais les universités sont des acteurs globaux et des aimants à talents. Le vote du 9 février envoie un message assez étrange et inquiétant.

Les recteurs et les directeurs des deux Ecoles polytechniques fédérales (EPF), de l’université de Bâle et du Fonds national suisse de la recherche scientifique (FNS) ont exprimé leurs inquiétudes concernant l’exclusion potentielle des programmes européens comme Horizon 2020 et du programme d’échanges estudiantins Erasmus.

Des décisions seront bientôt prises sur plusieurs bourses de recherche dépendant de ces programmes. Les recteurs d’université disent à leurs étudiants et à leurs professeurs de soumettre leur candidature, même s’ils ne savent pas ce qui va se passer.

«Les institutions nourrissent de grandes inquiétudes et il est difficile de savoir quoi dire à nos chercheurs», affrime Patrick Aebischer, président de l’EPF de Lausanne.

«Nous espérons que nos politiciens trouveront une solution avec l’Union européenne», a aussi déclaré le professeur Ralph Eichler, président de l’EPF de Zurich. «Nous sommes un petit pays et nous vivons de la compétition internationale. Il est donc intéressant pour nos étudiants de pouvoir voir d’autres pays. Cela apporte une nouvelle façon d’aborder les problèmes [à travers des programmes comme Erasmus].»

«Il y a aussi un élément symbolique, un sentiment de perte d’ouverture sur le reste du monde. Notre ouverture nous définit et nous avons de grandes inquiétudes à propos de l’avenir», explique Antonio Loprieno, président de l’Université de Bâle.

Pour Martin Vetterli, président du FNS, le résultat du vote a été «très déprimant», d’autant plus qu’il visitait Silicon Valley, aux Etats-Unis, le jour du vote. En ce qui concerne la recherche, les Etats-Unis ont toujours été très ouverts et ont toujours attiré des talents du monde entier. D’une certaine façon, la Suisse a joué le même rôle en Europe pendant longtemps. Le fait que cet héritage ait pu être abandonné aussi facilement est très triste.»

(Traduction de l’anglais: Ariane Gigon)

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