La voiture électrique est sur la voie de dépassement
Le 85e Salon international de l'automobile de Genève offre une place de choix aux véhicules électriques: cette année, presque tous les constructeurs présentent leur modèle. Pour Marco Piffaretti, un des pionniers suisses de l’électromobilité, la moitié des voitures en circulation seront électriques d’ici vingt ans. Interview.
Cela fait déjà une trentaine d’années que Marco Piffaretti cherche comment «mettre le soleil dans le moteur». A 22 ans, il a créé ProtoscarLien externe, une entreprise d’ingénierie qui développe des solutions techniques et de design dans le domaine de la mobilité écologique. Entre 2009 et 2011, l’entreprise tessinoise a présenté au Salon international de l’automobile de GenèveLien externe trois modèles de la Lampo, voiture électrique de sport, capable d’accélérer de 0 à 100 km/h en 4,5 secondes.
Salon de l’auto de Genève 2015
Le Salon international de l’automobile de Genève a été la première grande foire automobile internationale à promouvoir les technologies à propulsions alternatives.
Sa 85ème édition, qui se tiendra du 5 au 15 mars, présentera une centaine de véhicule avec un degré d’efficacité énergétique qui répond déjà aux nouvelles exigences de l’UE (de 0 à 95 grammes de CO2 par km). Plus de la moitié de ces véhicules sont électriques ou hybrides.
Après le succès de Tesla, qui a commencé sa production en 2008, tous les grands constructeurs ont développé ces dernières années des voitures électriques dans chaque gamme.
A la mi-février, on a appris qu’Apple prévoit également pour 2020 la production d’une auto électrique qui intégrera ses applications informatiques. Un autre géant américain, Google, a annoncé vouloir mettre au point une voiture écologique dans chauffeur.
swissinfo.ch: Cela fait déjà longtemps qu’on parle d’autos électriques. Pourquoi alors les grandes marques n’ont-elles commencé à en produire que depuis quelques années?
Marco Piffaretti: Le grand bond en avant s’est produit en 2009, quand on a commencé à équiper les voitures de batteries au lithium, déjà utilisées pour les ordinateurs et les téléphones mobiles. Cette nouvelle solution technique a permis d’obtenir des performances deux ou trois fois supérieures. Le moteur électrique a aussi été optimisé, il est devenu plus léger et plus efficace, mais ce sont les batteries au lithium qui ont permis les plus grands progrès, car elles offrent maintenant une autonomie de 100 à 400 kilomètres, selon les modèles.
Grâce à ces progrès, la voiture électrique offre actuellement un rendement bien meilleur que celles équipées d’un moteur à combustion: elle utilise en moyenne un quart de l’énergie brûlée par les modèles comparables à essence ou au diesel.
swissinfo.ch: A quoi est due cette amélioration du rendement?
M.P.: Le moteur à combustion, que nous utilisons depuis une centaine d’années, est un système en soi peu efficient puisqu’il crée beaucoup de chaleur et de déchets: les gaz d’échappement peuvent atteindre 900 degrés. La voiture à combustion est une chaudière sur quatre roues! Pour éviter que le moteur fonde, cette chaleur est évacuée par un système de refroidissement. En réalité, un quart seulement de l’énergie du carburant est utilisé pour faire fonctionner le véhicule et le reste se perd sous forme de chaleur.
Le moteur électrique, par contre, n’atteint qu’une centaine de degrés et presque toute l’énergie sert à faire fonctionner le véhicule. En outre, en cas de freinage ou dans la descente, l’auto électrique récupère de l’énergie. Le moteur fonctionne comme une dynamo et contribue à recharger la batterie.
swissinfo.ch: Et quels sont par contre ses désavantages?
M.P.: Le seul grand désavantage est le prix d’achat, toujours supérieur de 30 à 40% par rapport à la voiture à combustion. La différence est due à la batterie, qui représente environ un tiers du coût d’un véhicule électrique. Ce prix n’est pas seulement lié aux matériaux, mais aussi à la qualité de la fabrication pour supporter les vibrations et de grands écarts pendant une dizaine d’années. La traction électrique permet d’épargner beaucoup d’argent en termes de coûts d’entretien, mais au moment de l’achat, c’est comme si on achetait une auto à combustion avec 20’000 litres d’essence…
swissinfo.ch: Vous avez mis au point la Lampo, une voiture électrique dont les performances sont comparables à celles d’une Ferrari ou d’une Lamborghini. Pourquoi développer ce genre de prototype?
M.P.: En 2009, quand nous avons présenté la première Lampo au Salon de Genève, l’automobile électrique était assimilée à la mobilité urbaine, pour diminuer les nuisances causées par la pollution ou le bruit. Avec la Lampo, nous avons voulu montrer qu’il s’agit au contraire d’une solution pour tous les types de véhicules, du camion à la voiture de sport. Pour ce qui est du prix de la batterie, il est plus facile actuellement de l’amortir si on parcourt beaucoup de kilomètres. De par son profil financier, l’auto électrique est donc considérée plutôt comme un véhicule pour pendulaires ou comme voiture haut de gamme. C’est ce qui explique le succès de la stratégie suivie par TeslaLien externe.
La Lampo sert en outre de laboratoire pour expérimenter les technologies que nous proposons à nos clients. Par exemple des systèmes de recharge rapide qui permettent d’emmagasiner en sept minutes l’énergie nécessaire pour 100 kilomètres, et de recharge intelligente qui tient compte de l’énergie photovoltaïque à disposition et de la charge du réseau.
swissinfo.ch: Des études ont montré qu’en 2035, la moitié des voitures en circulation seront électriques. Est-ce un objectif réaliste, compte tenu du prix d’achat plus élevé?
M.P.: Oui, il y a actuellement une volonté croissante, aussi de la part du monde politique, de promouvoir une mobilité durable. L’UE a par exemple émis des prescriptions qui obligent les constructeurs à réduire substantiellement les émissions de CO2 (moins de 95g/km d’ici 2021). En outre, différents pays sont en train d’introduire des incitations. En France, le gouvernement a décidé d’imposer un prélèvement sur le diesel qui sera redistribué sous forme de prime de 10’000 euro à qui achète une voiture électrique. En Norvège, les plus vendues sont déjà aujourd’hui électriques. Un grand virage est en train de s’opérer et l’objectif sera atteint peut-être même avant 2035 dans certains pays.
swissinfo.ch: Et en Suisse?
M.P.: Il n’y a malheureusement pas jusqu’à présent de véritable politique fédérale d’incitation à la mobilité électrique. La Confédération a introduit le programme «Minergie» pour promouvoir les économies d’énergie pour les bâtiments, mais il n’y a pas d’équivalent pour les voitures, qui produisent pourtant autant d’émissions de CO2.
wissinfo.ch: La baisse sensible du prix du pétrole ne risque-t-elle pas de freiner l’électromobilité?
M.P.: Peut-être temporairement, mais cela n’empêchera pas l’avènement de l’électromobilité. Pour la conception et le développement de voitures, on raisonne en termes de cinq à dix ans et, d’ici là, le prix du pétrole remontera presque certainement à des niveaux bien plus hauts.
swissinfo.ch: Pour décoller, l’électromobilité aura besoin d’une nouvelle infrastructure, d’un vaste réseau d’installations de recharge. Où en est-on?
M.P.: Jusqu’à présent, les États ont surtout lancé des initiatives pour promouvoir le développement des véhicules électriques, mais pas pour préparer l’infrastructure de recharge nécessaire. Il y a cependant de plus en plus de villes et de régions qui commencent à se demander comment affronter ce nouveau défi: par exemple, combien de colonnes de recharge seront-elles nécessaires ces prochaines années et quelles techniques seront-elles choisies. Notre entreprise consacre une part importante de ses activités à des études qui permettent de se faire une idée de la future demande d’infrastructure de recharge pour véhicules électriques et hybrides dans les villes et les régions. Nous avons déjà développé des «masterplan» pour les villes de Zurich et Stuttgart, ainsi que pour les cantons du Tessin et de Genève, et nous comptons faire de même bientôt pour d’autres, aussi à l’étranger.
Marco Piffaretti
Né en 1965 à Bellinzone (canton du Tessin), Marco Piffaretti étudie le design de voitures à l’École des arts appliqués de Turin (Italie) et à l’Art Center College of Design de La Tour-de-Peilz (canton de Vaud).
Il commence à se passionner pour la mobilité durable en participant en 1986 au Tour de Sol, la première course du monde pour véhicules à énergie photovoltaïque, organisée en Suisse.
En 1987 il fonde l’entreprise d’ingénierie et de design Protoscar à Rovio (Tessin), spécialisée dans le développement de voitures à propulsion alternative et de véhicules écologiques.
De 1994 à 2001 il dirige le programme VEL1 à Mendrisio, un projet de la Confédération visant à introduire 400 véhicules électriques dans une commune de 10’000 habitants.
Depuis 2012, il dirige Infovel, le centre de compétence pour la mobilité durable du canton du Tessin.
(Adaptation de l’italien: Isabelle Eichenberger)
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