Les deux premières briques de Galileo en orbite
D’ici 2015, l’Europe aura son système de positionnement par satellite. Ce vendredi 21 octobre à 12h30 (heure suisse), une fusée Soyouz a décollé de Kourou, en Guyane, avec les deux premiers satellites de la constellation Galileo. Un programme souvent contesté, mais finalement jugé incontournable.
Qui aujourd’hui pourrait se passer du GPS ? Que l’on soit randonneur, pêcheur, sauveteur ou simplement automobiliste, la localisation par le «Global Positioning System» est devenue un must. A tel point que les satellites américains qui la rendent possible en ont presque fait oublier leur uniforme. Pourtant, le GPS – tout comme GLONASS, son homologue russe, et Baïdu-Compass que les Chinois sont en train de mettre en place – est bien un outil militaire. Et en cas de crise, le Pentagone pourrait parfaitement en altérer la précision pour les civils, comme il l’a fait jusqu’en mai 2000.
«Si l’Europe veut garantir un accès indépendant à la localisation par satellite, au moyen d’un système civil, plus fiable que le GPS et néanmoins complémentaire, elle a besoin de Galileo», affirme Kamlesh Brocard, chargée de communication du Domaine des Affaires spatiales à Berne. En Suisse, pays dont l’industrie profitera largement des retombées de Galileo (ci-contre), le credo n’a pas varié depuis le lancement du programme. Mais il n’en est pas allé de même partout.
Gestation laborieuse
L’idée d’un «GPS européen» a germé dès la fin du 20e siècle. En 2001, l’Union européenne prend la décision de principe, en tablant sur un partenariat public-privé. En 2005, on lance un premier satellite de test, puis un second en 2008. Mais entretemps, les rivalités entre Etats et l’écroulement du plan de financement initial ont menacé de tuer le projet, qui prend cinq ans de retard.
La Commission de Bruxelles décide alors de le financer entièrement et obtient en avril 2008 l’aval du Parlement européen pour un coût de 3,4 milliards d’euros. Mais deux ans plus tard, la facture a encore pris l’ascenseur, de près de deux milliards. On envisage alors de réduire la voilure et de passer de 30 à 18 satellites. L’Allemagne demande des économies de 500 à 700 millions d’euros.
Malgré toutes ces difficultés, les promoteurs de Galileo ne désarment pas. De fait, le réseau de satellites sera la première infrastructure commune produite et financée par l’Union européenne, qui en sera également propriétaire. Les commissaires et les Etats sont persuadés que le jeu en vaut la chandelle. Selon eux, le marché des services de positionnement par satellite va croitre de 130 milliards d’euros aujourd’hui à 240 milliards en 2020. Et Galileo permettra de se tailler une bonne part du gâteau.
Une fusée russe sous l’équateur
En attendant, Bruxelles a tout de même dû y regarder à deux fois avant d’envoyer dans l’espace les millions de ses contribuables. D’où l’adoption du lanceur russe Soyouz, plus petit qu’Ariane 5, mais tout de même plus gros que la nouvelle fusée Vega pour petits satellites, qui doit entrer en service dans quelques mois.
Descendante directe des missiles de la Guerre froide et des engins qui ont placé en orbite les premiers satellites et les premiers homme de l’espace, la mythique fusée ex-soviétique reste à ce jour un des lanceurs les plus sûrs du monde. Et même si un membre de la famille s’est abîmé au sol au mois d’août, son taux de lancements réussis frise toujours les 98%. Plutôt habituée aux hivers glacés ou aux étés torrides des steppes du Kazakhstan, la fusée se retrouve pour la première fois dans la moiteur équatoriale de Kourou, la base de lancement de l’ESA en Guyane.
Ce nouveau partenariat a tout d’un «deal» gagnant-gagnant: les Européens bénéficient d’un lanceur fiable de taille moyenne à un prix sans concurrence et les Russes ouvrent un nouveau débouché à leur industrie spatiale. Avec un bonus en prime: en décollant aussi près de l’équateur, une fusée bénéficie au maximum de l’«effet de fronde» dû à la vitesse de rotation de la Terre. Pour Soyouz, cela signifie très concrètement que la charge utile passe à 3 tonnes, contre 1,7 quand elle décolle de Baïkonour, où la Terre tourne moins vite.
Plus précis que le GPS
Après ce premier lancement, c’est donc la fusée russe qui en 2012 placera en orbite les deux prochains satellites. Le rythme s’accélérera ensuite pour atteindre 18 satellites en 2015. Galileo pourra alors entrer en service, mais il faudra encore attendre 2020 pour que la constellation soit complète, avec 30 satellites – pour autant que l’Europe ait alors voté le financement nécessaire dans le cadre du budget 2014-2019.
30 satellites, c’est 6 de plus que la constellation américaine. Mais surtout, l’avantage de Galileo sur le GPS, c’est que ses engins, plus modernes, croiseront à 23’222 kilomètres d’altitude, contre 20’200 pour ceux du Pentagone. Et c’est bien connu: plus on regarde de haut, plus on voit loin. Ainsi, Galileo couvrira mieux les régions du nord du globe, et son signal, tombant plus verticalement, passera mieux dans les villes où les hauts bâtiments peuvent perturber la réception. Au final, Galileo promet une précision de l’ordre du mètre, alors que celle du GPS est de 3 à 8 mètres.
Les deux systèmes n’en sont pas pour autant de féroces concurrents. En 2007, Bruxelles et Washington ont même passé un accord prévoyant l’interopérabilité technique de Galileo et du GPS. Les récepteurs permettront de recevoir les signaux des deux systèmes. Et si l’un vient à avoir une défaillance, l’autre prendra le relais. L’Europe et les Etats-Unis n’en garderont pas moins leurs canaux réservés pour les applications stratégiques… car même s’il s’agit d’un système civil, Galileo servira quand même aussi aux militaires.
Les satellites de la constellation GPS (et plus tard Galileo) émettent tous en continu un signal vers la Terre, qui indique leur position et l’heure d’émission. Le récepteur au sol possède en mémoire les coordonnées des orbites de tous les satellites. Quand il reçoit le signal, il calcule le temps que celui-ci a mis pour arriver. En croisant les données de trois satellites (plus un quatrième pour l’altitude), il peut en déduire la distance que les sépare d’eux, donc sa position. Comme les signaux voyagent à la vitesse de la lumière, la précision des horloges atomiques embarquée sur les satellites est primordiale.
30 millions d’euros. C’est la contribution de la Suisse au programme Galileo jusqu’ici, versée dans le cadre de sa participation ordinaire à l’Agence spatiale européenne (ESA). Une somme qui reviendra intégralement au pays sous forme de commandes industrielles.
Ordinateurs de commande, mécanismes d’orientation des panneaux solaires, électronique de navigation, mais également châssis permettant de fixer les deux satellites au sommet de la fusée: tout cela vient de RUAG Space. Ne manque que la coiffe de la fusée: l’entreprise zurichoise en livre déjà aux Européens et aux Américains, mais pas encore aux Russes…
Horloges atomiques. C’est le cœur même de Galileo. Elles viennent de Spectratime à Neuchâtel et sont réputées les plus précises jamais utilisées dans l’espace: une seconde de variation sur trois millions d’années. Ce qui n’est pas un luxe, quand on sait qu’une erreur d’un milliardième de seconde se traduit par un décalage de 30 centimètres au sol et qu’une seconde de flottement vous envoie… pratiquement sur la Lune.
Pas de tir. L’entreprise vaudoise APCO technologies (Aigle) a une équipe installée en permanence sur le site de Kourou, chargée notamment de la manutention et de la préparation des satellites. Elle a également participé à l’installation du nouveau pas de tir réservé aux fusées Soyouz.
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