Le gris prend la place du blanc dans les Alpes
Le réchauffement du pergélisol, qui occupe un quart de la surface de la Terre et qui est normalement gelé en permanence, a de graves conséquences dans diverses régions du globe. Sa dégradation, conséquence directe de la crise climatique, affecte les Alpes suisses. Nous avons accompagné les scientifiques qui évaluent le phénomène.
Tôt le matin, l’hélicoptère transporte les chercheurs de l’Institut des sciences de la terre de la Haute école spécialisée de la Suisse méridionale (SUPSILien externe) à Lugano. La destination est le glacier rocheux de Stabbio di Largario, situé dans le Massif de la Cima di Gana Bianca au Tessin. Un peu plus loin, les glaciers pérennes de l’Adula, le point culminant du canton du sud des Alpes, reflètent la lumière du soleil qui se lève dans le ciel.
Le glacier rocheux est recouvert de blocs de gneiss, mais l’attention des chercheurs est tournée vers le pergélisol,Lien externe la couche de terre gelée sous la surface du glacier. Les scientifiques étudient son comportement depuis plus d’une décennie et, sur ce terrain instable, ils ont placé des antennes GPS pour mesurer le déplacement de la masse des blocs glaciaires et divers capteurs de température.
L’objectif est de collecter les données et de les intégrer dans un rapport sur le pergélisol en Suisse. Publiée tous les deux ans, cette étude rassemble les mesures effectuéesLien externe par d’autres chercheurs à différents endroits du pays.
Les montagnes se déplacent
Cristian Scapozza, géomorphologue et chercheur au SUPSI, dirige les mesures et le suivi de ce glacier rocheux. Avec son instrument qui détecte les mouvements du pergélisol, il grimpe sur les roches instables avec l’agilité d’un bouquetin.
«Au cours des dix dernières années, le glacier rocheux s’est déplacé de 7 à 8 mètres avec une accélération constante entre 2009 et 2015 et un ralentissement les années suivantes. La cause de ce déplacement est l’augmentation de la température du sol due aux étés chauds et aux hivers très enneigés, comme ce qui s’est passé depuis une année. Au moment de la fonte des neiges, beaucoup d’eau pénètre dans le sous-sol. Ainsi, l’eau et les températures caniculaires entraînent une forte augmentation de la vitesse de déplacement de ces sites», détaille Cristian Scapozza.
Cette tendance est à l’œuvre sur l’ensemble de l’arc alpin.
La disparition des glaciers alpins
Le pergélisol des Alpes est-il condamné à disparaitre? «D’après les données que nous avons collectées au cours des 10 dernières années, le pergélisol n’a pas diminué en surface, mais s’est considérablement réchauffé et a diminué en volume. Par conséquent, à un moment donné, il n’y aura pas assez de glace pour garantir le mouvement de ces glaciers rocheux, qui vont ensuite s’arrêter. Lorsque le pergélisol sera complètement déstabilisé, il commencera à fondre et nous pourrons voir la disparition de la glace sous terre», prédit Cristian Scapozza.
Une fonte qui concerne les glaciers alpins déjà menacés d’extinction. «Les glaciers se retirent car ils sont soumis plus rapidement aux variations climatiques, en particulier aux variations de température, et donc du réchauffement de ces dernières années. Dans le cas du pergélisol, nous avons la couche dite active, qui agit comme un tampon empêchant la fonte directe de la glace».
Les conséquences du réchauffement du pergélisol
Selon une recherche Lien externemenée par des chercheurs canadiens de l’Université de Guelph et publiée dans la revue Nature, la dégradation du pergélisol dans des endroits tels que la Sibérie, l’extrême nord de l’Europe et l’Amérique du Nord, contribue à la libération de gaz à effet de serre tel que CO2 et le méthane dans l’atmosphère.
Un danger qui, pour Cristian Scapozza, «est très marginal voire nul dans le contexte du pergélisol alpin et concerne exclusivement les zones arctiques, où de nombreuses matières organiques partiellement décomposées ont été intégrées dans des sols gelés en permanence, qui en se réchauffant libèrent le méthane stocké depuis des dizaines de milliers d’années.»
Le réchauffement du pergélisol peut engendrer une série d’autres conséquences, souligne le chercheur.
«La première concerne les aléas naturels. Ces glaciers rocheux sont des corps en mouvement qui, avec le réchauffement de la glace, ont tendance à s’accélérer. Davantage de débris se déversent dans les cours d’eau, augmentant le risque de coulées.
La deuxième concerne les réserves en eau. Le retrait des glaciers et la diminution du volume de glace emmagasinée dans le pergélisol affectent ces réserves. La quantité d’eau, initialement en augmentation, diminuera de plus en plus avec le temps, ce qui modifiera le régime des eaux: les cours d’eau seront de moins en moins alimentés par la neige et la glace à la surface et dans le sous-sol, mais presque exclusivement par les pluies.»
La troisième conséquence, poursuit l’expert, concerne les paysages aux teintes de plus en plus grisonnantes. «Nous sommes dans une période clé: les glaciers se retirent année après année; le pergélisol suit la même pente quoi que plus lentement. Le gris prend la place du blanc.»
Traduit de l’italien par Frédéric Burnand
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