La disparition du permafrost: une menace locale, régionale et mondiale
La Suisse est un pays pionnier dans l’étude du permafrost. La fonte de ce sol perpétuellement gelé est de plus en plus marquée et les conséquences peuvent être planétaires.
Les gens du lieu l’appellent «la porte de l’enfer» à cause de bruits qui proviendraient du fond de la Terre. Pour les scientifiques, le cratère de Batagaïka, en Sibérie orientale, n’a en revanche rien de diabolique. Il est simplement le résultat d’un phénomène géophysique connu depuis longtemps: le dégel du permafrost, la couche de sol perpétuellement gelée.
Ce changement déclenché par le réchauffement climatique ne touche pas seulement la toundra sibérienne, mais une zone d’environ 23 millions de km² dans l’hémisphère nord, soit plus de deux fois la taille des États-Unis. Distribué principalement dans les régions arctiques, de la Russie au Canada, le permafrost est également présent en haute montagne et en particulier dans les Alpes. En Suisse, on le trouve à partir d’une altitude de 2500 mètres au-dessus du niveau de la mer.
En plus de provoquer de grands gouffres dans le sol, la fonte du permafrost peut compromettre la stabilité des versants montagneux et engendrer des catastrophes naturelles. Cette évolution est préoccupante pour les populations vivant dans les régions touchées et le devient encore plus si l’on considère les possibles répercussions au niveau mondial. Selon un rapport des Nations unies de 2019, la dégradation du permafrost est l’une des cinq menaces environnementales les plus sous-estimées.
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Un permafrost toujours plus chaud
Le permafrost est présent sur 5% du territoire suisse, en particulier dans les sols couverts de débris pierreux et dans les parois rocheuses en haute altitude. À titre de comparaison, la proportion de la surface occupée par les glaciers est d’environ 2,5%.
«C’est une évidence: au cours des vingt dernières années, la température du permafrost a augmenté presque partout dans les Alpes suisses», explique Jeannette Noetzli, assistante scientifique à l’Institut pour l’étude de la neige et des avalanches (SLFLien externe).
Ce n’est pas seulement la température de l’air qui détermine l’état du permafrost, souligne la scientifique. Le rayonnement solaire et la couverture neigeuse ont également une influence.
Contrairement aux sommets de plus de 4000 mètres et aux régions polaires, où le permafrost est froid, dans les régions alpines où il est plus répandu, sa température est proche du zéro. «Nous avons donc moins de ‘réserve’ thermique et sommes beaucoup plus proches du dégel», explique Jeannette Noetzli.
L’épaisseur de la «couche active», c’est-à-dire la couche superficielle du permafrost qui dégèle en été et regèle en hiver, augmente également, souligne-t-elle.
Senseurs et caméras sur le Cervin
Jeannette Noetzli est responsable de PERMOSLien externe, le réseau de surveillance du permafrost en Suisse. Créé en 2000, c’est le premier réseau national d’étude de l’évolution du permafrost. La Suisse est également le pays qui possède la plus importante collection de données sur le permafrost de montagne, y compris une série chronologique couvrant une période de plus de 30 ans.
«En Suisse, il y a des mesures continues sur le permafrost depuis 1987 et en 2000, nous avons officiellement commencé l’observation à long terme sur différents sites», rappelle la chercheuse. Ce travail est loin d’être évident, car «contrairement aux glaciers, le permafrost ne se voit pas».
Les chercheurs utilisent les technologies les plus avancées: des sondes qui descendent jusqu’à une centaine de mètres de profondeur, des appareils de mesure de la résistance électrique du sol, des dispositifs GPS, des capteurs sans fil et des caméras à haute résolution. Sur la crête du Hörnli, sur le Cervin, à 3500 mètres d’altitude, un réseau de 17 capteurs transmet des données en temps réel au centre de calcul de l’École polytechnique fédérale de Zurich (projet PermaSenseLien externe).
Chutes de pierres et glissements de terrain
Le dégel du permafrost compromet la stabilité des versants montagneux, car l’effet «collant» est perdu, explique Cécile Pellet, du Département des géosciencesLien externe de l’Université de Fribourg, qui est aussi membre du réseau PERMOS.
«Sa disparition peut favoriser les chutes de pierres et les glissements de terrain», a-t-elle indiqué au quotidien valaisan Le Nouvelliste. Cependant, souligne-t-elle, les causes de ce type d’événement, comme dans le cas de Bondo en 2017, sont multiples. La géologie du lieu, par exemple, peut également avoir une influence.
On ne peut pas généraliser et dire que les Alpes vont devenir plus dangereuses en raison du réchauffement et de la fonte du permafrost, souligne également Jeannette Noetzli. «Cependant, nous constatons des changements importants dans des zones sensibles. Par conséquent, il faudra peut-être modifier l’itinéraire de certains parcours suivis par les alpinistes», déclare-t-elle.
Un danger pour les infrastructures touristiques
Ce qui est certain, par contre, c’est que la dégradation du permafrost et l’accélération du mouvement des débris représentent un problème potentiel pour les bâtiments et structures construits en haute montagne (refuges, téléphériques, chemins de fer, installations de télécommunications, protection contre les avalanches…).
Ces infrastructures jouent un rôle important pour le tourisme, la communication, l’approvisionnement en énergie et la protection contre les dangers naturels en Suisse. La ligne ferroviaire du Gornergrat, près du Cervin, et la ligne ferroviaire de la Jungfrau, dans l’Oberland bernois, par exemple, ont été partiellement construites dans le permafrost.
Les exploitants de remontées mécaniques doivent donc procéder à d’importants travaux de rénovation pour redonner de la résistance aux pylônes sur lesquels reposent les infrastructures de transport. Dans le canton d’Uri, il a fallu construire une base en béton pour le pylône du téléphérique Gemsstock à 2900 mètres d’altitude. Un guide de l’Institut SLF fournit des informations sur la façon de construire sur le permafrost.
Des conséquences plus inquiétantes au niveau mondial
Les répercussions du dégel du permafrost ne se manifestent pas seulement au niveau local ou régional.
Avec la fonte, d’antiques micro-organismes emprisonnés dans la glace pourraient se libérer dans l’air et se réactiver, infectant les humains et les animaux.
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En outre, le carbone organique accumulé pendant des millénaires dans la couche de glace est progressivement libéré dans l’atmosphère sous forme de CO2 et de méthane, ce qui accélère encore le réchauffement climatique dans un dangereux cercle vicieux.
Le problème touche principalement les régions arctiques, où l’augmentation des températures – deux à quatre fois la moyenne mondiale – provoque l’effondrement du permafrost, avertissentLien externe les experts. On estimeLien externe que les sols gelés contiendraient 1600 milliards de tonnes de carbone, soit deux fois plus que la quantité présente dans l’atmosphère.
(Traduction de l’italien: Olivier Pauchard)
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