Un «concierge» suisse pour nettoyer l’espace
Avant que l’espace ne devienne une poubelle, les agences spatiales doivent ramasser les débris flottant au-dessus de nos têtes. L’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL) présente CleanSpace One, un petit satellite qui pourrait être le premier à s’atteler à la tâche.
«Il est temps de faire quelque chose pour réduire la quantité de débris flottant dans l’espace autour de la Terre», a dit l’astronaute et professeur à l’EPFL Claude Nicollier ce mercredi 15 février en présentant le projet CleanSpace One à la presse. Après deux ans de recherche, les scientifiques du Swiss Space Center se lancent dans le construction du premier prototype.
Devisé à 10 millions de francs suisses, celui-ci devrait voler en 2016 pour aller récupérer un des deux seuls satellites 100% suisses jamais placés en orbite. Soit le Romand SwissCube ou le Tessinois TIsat, petits cubes de métal de 10 centimètres de côté, lancés respectivement en 2009 et 2010.
L’EPFL n’est pas seule à se soucier de ce problème des débris en orbite. Les agences spatiales allemande, russe, européenne (ESA) et américaine (NASA) travaillent également sur le sujet. Mais les Suisses ont bon espoir d’être les premiers à devenir opérationnels.
Défis techniques
Les défis techniques ne manquent pas. Le premier concerne la propulsion. Une fois lancé dans l’espace, ce petit «concierge» de métal de 30x10x10 cm devra ajuster sa trajectoire pour s’aligner exactement avec celle de sa cible. Et pour cela, il aura besoin d’un nouveau moteur ultra-compact, actuellement en développement à l’EPFL.
Puis, lorsqu’il arrivera tout près du débris à ramasser, lancé à 28’000 km/h à 600 ou 700 km de la surface de la Terre, CleanSpace One devra arriver à l’attraper et à le stabiliser. Pour cela, les chercheurs vont développer un mécanisme de tentacules robotiques, calquées sur le monde vivant.
«La nature sait être très efficace, explique Muriel Richard, directrice adjointe du Swiss Space Center. Si vous pensez à la méduse ou à l’anémone de mer, elles sont capables d’attraper des objets de différentes tailles qui passent près d’elles en remuant. Nous allons nous en inspirer».
Finalement, une fois que le «concierge» tiendra fermement son débris, il pourra allumer ses moteurs, quitter son orbite et rentrer dans l’atmosphère selon un angle qui en quelques secondes fera brûler le tandem, le transformant en étoile filante.
Entre le lancement de CleanSpace One et sa destruction, le processus complet devrait durer six mois.
600’000 objets dangereux
Bien que le prototype soit voué à la destruction dès sa première mission, le projet CleanSpace One n’est pas prévu pour s’arrêter à un engin unique.
«Nous voulons créer une nouvelle gamme de satellites, pouvant être produits par des PME en Suisse, qui permettent de récupérer les débris que nous avons mis dans l’espace. D’une part, de les désorbiter, et d’autre part peut-être même de les ramener sur Terre», explique Volker Gass, directeur du Swiss Space Center, qui veut faire de la Suisse un pionnier dans ce domaine.
La communauté spatiale internationale admet que la situation devient critique. Depuis Spoutnik 1 en 1957, l’homme a placé plus de 6000 satellites en orbite au-dessus de sa tête. Mais seuls quelque 800 sont encore opérationnels aujourd’hui, 200 ont explosé en vol et on en lance une centaine de nouveaux chaque année.
«Quand vous êtes dans l’espace, ce qui vous frappe, c’est la beauté et la propreté. Mais cette première impression est trompeuse», confirme Claude Nicollier.
En réalité, il y a plus de 600’000 débris spatiaux autour de la Terre, la plupart orbitant entre 300 et 900 kilomètres d’altitude. Ce sont des morceaux d’étages de fusées, des satellites abandonnés, des cellules solaires, des éclats de peinture et même du carburant solidifié par le froid interplanétaire.
«La plupart des débris proviennent de satellites qui ne sont plus en fonction, typiquement quand ils n’ont plus d’énergie et que leurs panneaux solaires ou leurs batteries ne marchent plus. Quand ils entrent en collision entre eux ou avec d’autres débris, cela crée encore plus de nouveaux débris», explique Claude Nicollier.
Dangereux, ces débris ne le sont pas pour les humains sur Terre (la plupart brûlent en rentrant dans l’atmosphère), mais bien pour les missions spatiales et les satellites.
Avant qu’il ne soit trop tard
Or, sur cette masse d’objets, seuls 16’000 sont répertoriés et suivis, soit ceux dont la taille atteint 10 cm. Tous les autres se baladent librement et même plus petits qu’une balle de golf, ils peuvent faire des dégâts considérables au vu des vitesses auxquelles ils sont lancés dans l’espace (jusqu’à 35’000 km/h). Et ceci coûte déjà très cher aux agences spatiales et aux compagnies d’assurances.
«Si vous considérez que cette masse de débris incontrôlables va continuer de croître, si nous ne faisons rien, un jour viendra où nous ne pourrons plus placer de satellites en orbite pour la météo, le GPS ou les télécommunications», avertit Anton Ivanov, scientifique à l’EPFL.
En 2006, la NASA, qui surveille la trajectoire des plus gros débris, a publié une étude montrant que l’on n’est pas loin d’avoir atteint un point de non-retour. Il est désormais admis qu’à partir de 2020, il va falloir éliminer cinq à quinze gros débris chaque année, sous peine de voir la situation échapper à tout contrôle.
Le réseau de surveillance spatial américain suit la trajectoire de près de 16’000 débris en orbite, dont la taille dépasse 10 centimètres. Mais ce n’est qu’une toute petite partie de la grande poubelle qui tourne au–dessus de nos têtes. L’Agence spatiale européenne (ESA) estime à plus de 600’000 le nombre d’objets de plus d’un centimètre provenant de l’activité humaine en orbite terrestre.
En collaboration avec l’ESA, l’Institut d’astronomie de l’Université de Berne a mené ces dix dernières années des études sur les débris spatiaux. Forte de cinq personnes, l’équipe suisse utilise des télescopes optiques installés à Tenerife et à Zimmerwald (près de Berne), pour rechercher et surveiller des débris volant principalement sur des orbites hautes, entre 20’000 et 36’000 kilomètres.
Traduction de l’anglais: Marc-André Miserez
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