Vers des «banques de tissus humains»?
Massimo Tettamanti, chercheur italien basé à Lugano, vient de lancer un projet scientifique ambitieux.
Il propose de créer, en Suisse, des «banques de tissus humains» à disposition de la biomédecine. Histoire d’améliorer la recherche et de sauver 100’000 cobayes par année.
Docteur en chimie de l’environnement et conseiller scientifique de l’Association suisse pour l’abolition de la vivisection (ATRA), à Lugano, Massimo Tettamanti, 36 ans, n’a rien du savant traditionnel.
Look juvénile et décontracté, il ressemble davantage à un étudiant qu’au chercheur international qu’il est en réalité. Décontracté, en t-shirt et baskets, il reçoit swissinfo au siège de l’ATRA de Lugano.
«Il faut savoir, explique-t-il, qu’un cinquième de la recherche scientifique est basée sur l’étude de tissus organiques qui se détériorent rapidement. Pour disposer de ‘matériel frais’ au moment même où il en a besoin, un chercheur doit forcément sacrifier des petits animaux, généralement des rongeurs.»
Déchets hospitaliers à incinérer
Le conseiller scientifique de l’Association suisse pour l’abolition de la vivisection est cependant convaincu que, s’ils en avaient le choix, de nombreux scientifiques préféreraient travailler sur des tissus humains, sains ou malades.
«Ces tissus, cellules et autres organes, sont les déchets d’opérations», précise le docteur Tettamanti. «Selon la loi en vigueur, ils sont considérés comme déchets hospitaliers et destinés à l’incinération.»
Il s’agirait donc, comme l’illustre le projet de Massimo Tettamanti récemment publié dans les trois langues nationales, «de ne pas jeter ces restes, mais de les préparer, les congeler et les mettre à disposition de la recherche». Pour ce faire, le chimiste italien propose de créer des structures qui soient en mesure de trouver, traiter, conserver et distribuer les tissus humains là où la recherche en a besoin.
Pas une seule banque mais un réseau national
«Je ne pense pas à une seule banque suisse de tissus humains, basée à Berne ou Zurich par exemple, mais à un réseau de banques de tissus humains, réparties sur tout le territoire. Elles devraient être situées directement à l’intérieur des centres hospitaliers qui constituent la première source de tissus», poursuit Massimo Tettamanti.
L’auteur de l’étude, intitulée «Projet ATRA: banques de tissus humains», ne veut cependant pas être pris pour un idéaliste ou pour un féru de méthodes alternatives. Le projet étant chapeauté par l’ATRA, ardent défenseur des animaux et adversaire de la vivisection, cela pourrait être le risque.
Appel à la Fondation de Recherche 3R
«Pour éviter cela, notre projet devrait être repris et lancé par la Fondation Recherche 3R, sise à Münsingen (BE)» explique M. Tettamanti. «Connue internationalement sous le nom de ‘Swiss Platform for Alternative Methods’, la fondation possède déjà toutes les caractéristiques pour devenir un centre de récolte des données. Ces données concernent les centres qui prélèvent des tissus humains, les centres qui en ont besoin et les recherches visant à réduire le nombre d’animaux utilisés pour les expériences.»
Massimo Tettamanti ajoute que «si la Fondation Recherche 3R renonce à intervenir, l’ATRA est prête à diffuser le projet par ses propres moyens, en le présentant directement auprès des instituts intéressés».
Le chercheur admet toutefois que la réalisation concrète de son projet se heurte à plusieurs obstacles. Ainsi, d’un point de vue légal, une réglementation qui définirait l’utilisation des tissus humains est nécessaire. Juridiquement, une loi ad hoc devrait aussi être élaborée en vue de protéger les opérateurs sanitaires et les chercheurs.
«Une initiative louable»
D’un point de vue social, il s’agit de faire comprendre que l’utilisation de tissus humains pour la recherche n’entre nullement en compétition avec le don d’organes destinés à des greffes.
Enfin l’organisation ne doit rien laisser au hasard: une fois prélevés sur un organisme, les tissus se détériorent rapidement. Il faut pouvoir les traiter rapidement et gérer leur transport grâce à un personnel actif 24 heures sur 24, tous les jours de l’an.
Et les principaux intéressés, que pensent-ils du projet du docteur Tettamanti? Swissinfo l’a demandé au professeur Antonio Lanzavecchia, directeur de l’Institut de recherche biomédicale (IRB) de Bellinzone. «L’initiative, en soi, est bonne et louable mais elle doit être évaluée avec attention», répond-il.
Et d’ajouter: «Il y a des problèmes techniques, législatifs, éthiques et financiers à résoudre. Ceci dit, c’est vrai que les expériences faites sur des tissus humains seraient plus utiles pour l’homme que les expériences menées sur des animaux.»
«Notre chemin est orienté vers une nouvelle direction, vers une recherche biomédicale innovatrice, plus humaine et antivivisectionniste», conclut Massimo Tettamanti qui, avec son équipe, a consacré deux ans et demi de travail au projet.
swissinfo, Gemma d’Urso à Lugano
Edité par l’Association suisse pour l’abolition de la vivisection (ATRA), section de Lugano, le projet a été publié dans les trois langues nationales sous le titre de « Toxicité légale 3: Projet ATRA, Banques de tissus humains. »
Le livre a été rédigé en collaboration avec I-CARE, Centre international pour les alternatives dans la recherche et la didactique de New Dehli. Il vient d’être publié dans la prestigieuse revue scientifique britannique Atla (Alternative to Laboratory Animals).
Sur le modèle d’une banque de tissus humains en fonction à Londres, le projet prévoit la création d’un réseau de banques de tissus, sur tout le territoire suisse, directement à l’intérieur des centres hospitaliers.
Le projet permettrait de transformer des déchets hospitaliers destinés à être incinérés en instruments pour la recherche médicale.
En particulier il serait possible de:
– sauver 100’000 cobayes par année et réduire de 15 à 20% l’usage d’animaux de laboratoire.
– améliorer la recherche biomédicale
– améliorer la collaboration entre spécialistes actifs dans les hôpitaux et chercheurs qui travaillent en laboratoire.
Des projets similaires sont actuellement à l’étude en Allemagne et aux Pays-Bas
L’auteur du projet, le docteur en chimie de l’environnement, Massimo Tettamanti, 36 ans, est conseiller scientifique auprès de l’ATRA de Lugano depuis 2003.
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