Aide au suicide: les médecins suisses partagés
Tandis qu'un procès pour aide au suicide illégale vient de finir à Bâle, des médecins demandent un assouplissement des lignes directrices de la profession.
Mais pour Claude Regamey, président de la Commission d’éthique compétente, ce serait une erreur. Interview.
L’aide au suicide ne quitte décidément pas les feux de l’actualité très longtemps en Suisse. La question préoccupe actuellement beaucoup les médecins.
Leur journal, le «Bulletin des médecins suisses», se fait ainsi l’écho, dans ses dernières éditions, de positions antagonistes, notamment depuis que le Tribunal fédéral (TF) a reconnu, en novembre 2006, le droit à recourir à l’aide au suicide pour les cas psychiques à certaines conditions.
Dans ce contexte, le procès qui se tient à Bâle depuis dix jours contre un psychiatre ayant accompagné trois malades psychiques dans leur suicide est l’objet de toutes les attentions. Le professeur Claude Regamey, président de la Commission centrale d’éthique (CCE) de l’Académie suisse des sciences médicales (ASSM) ne fait pas exception.
swissinfo: La CCE a révisé ses directives concernant la prise en charge en fin de vie en 2004. Elle a ainsi ouvert une voie, à des conditions précises, à l’intervention d’un médecin pour l’assistance au suicide. Vous suivez certainement le procès de Bâle?
Claude Regamey: Oui bien sûr. Selon le verdict, nous devrons peut-être repenser nos directives. Mais l’académie n’est pas là pour réagir à chaud.
swissinfo: Les médecins sont-ils toujours déchirés sur la question?
C.R.: Le débat ne sera jamais clos. De part et d’autre on entend des voix qui estiment qu’il faut élargir l’assistance au suicide au-delà des cas de fin de vie, car, dans son arrêt de novembre dernier, le TF ne reconnaît pas explicitement ce critère.
Or, dans nos directives actuelles, c’est le critère déterminant: un médecin ne peut intervenir, en son nom personnel, que si le patient est en fin de vie. Les autres critères sont le libre choix de la décision de mourir et la perduration du désir de mourir.
swissinfo: Que disent les médecins favorables à une nouvelle ouverture?
C.R.: Le médecin qui admet l’assistance au suicide – et qui agit en sa conscience personnelle – pense qu’il n’est pas juste d’abandonner son patient à ce moment là.
Ceux qui souhaitent un élargissement des indications, notamment aux malades souffrant de troubles psychiques, ou de maladies neurodégénératives, comme la maladie d’Alzheimer, admettent qu’il faut respecter l’autonomie de chaque individu. Même des malades souffrant de troubles psychiques peuvent être capables de jugement et de discernement.
swissinfo: Et les médecins qui s’y opposent?
C.R.: Les autres affirment que l’assistance au suicide ne fait pas partie de la médecine, que celle-ci doit au contraire aller à l’encontre du désir de mourir. Elle doit en particulier soulager les souffrances et traiter l’angoisse en accompagnant le patient.
L’ASSM a édicté des directives à ce sujet, intitulées «soins palliatifs», en 2006. Voilà pourquoi j’ai intitulé notre position, dans le dernier Bulletin des médecins suisses, «Les médecins ne sont pas des experts de la mort volontaire».
swissinfo: En quoi serait-ce une erreur d’élargir les indications, selon vous?
C.R.: En sortant du cadre de la fin de vie, nous interviendrions dans un domaine qui n’est plus médical mais relève d’un choix de société: c’est le choix de la manière de mourir.
Un deuxième danger est celui du ‘slippery slope’, de la pente glissante. Certes, comme le montre un article récent du «New England Journal of Medicine», les Etats qui ont libéralisé l’assistance au suicide, c’est-à-dire les Pays-Bas, la Belgique, et l’Oregon aux USA, qui connaît l’assistance au suicide sous responsabilité médicale, n’ont pas enregistré de hausse de cas. Aux Pays-Bas, il y a même eu une baisse. Partout, les soins palliatifs ont été instaurés et c’est une bonne chose.
Mais la reconnaissance de l’assistance au suicide peut pousser des personnes non contrôlables à l’irréparable, comme dans le cas de l’infirmier de Lucerne par exemple.
swissinfo: Pourquoi les cas psychiques posent-ils un problème particulier?
C.R.: Ce sont des patients souvent extrêmement fragiles. Le désir de suicide est souvent un symptôme de la maladie et non un élément préexistant. Dans ce cas-là, on n’a pas le droit d’autoriser l’assistance au suicide.
En outre, on ne sait pas si, dans cinq ans, de meilleurs traitements n’existeront pas pour la maladie sous-jacente. Or l’absorption de pentobarbital sodique est irréversible. Il faudrait au moins deux expertises indépendantes l’une de l’autre et un délai d’épreuve pour établir que la personne est, en toute autonomie, capable de jugement et de discernement.»
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En Suisse, des organisations d’aide au suicide peuvent accompagner les personnes qui désirent mourir pour autant qu’elles ne soient pas guidées par des motifs égoïstes ou par la pitié.
La personne doit absorber elle-même le breuvage létal, qui n’est remis que sur ordonnance médicale.
L’Académie suisse des sciences médicales (ASSM) a assoupli ses directives en 2004, autorisant l’intervention d’un médecin à certaines conditions. L’une d’entre elles est que la personne désireuse de mourir doit être en fin de vie.
Suite à un cas ayant défrayé la chronique, l’association Exit Suisse alémanique avait décrété en 1999 un moratoire sur la prise en charge de personnes souffrant de maladie psychique. Ce moratoire a été levé en 2004.
Des conditions très strictes sont néanmoins posées: la personne doit être capable de discernement et son vœu doit être permanent sur le long terme et se fonder sur une décision autonome.
Dans un arrêt du 3 novembre 2006 (arrêt 2A.48/2006), le Tribunal fédéral accepte l’assistance au suicide pour les cas psychiques mais refuse que ce droit puisse faire l’objet d’une revendication. La haute cour écarte en outre le principe de fin de vie comme critère absolu.
Extrait:
Si toutefois, dans des situations exceptionnelles, [le médecin] accepte d’apporter une aide au suicide à un patient, il lui incombe la responsabilité de vérifier si les exigences minimales suivantes sont réunies:
– La maladie dont souffre le patient permet de considérer que la fin de la vie est proche.
– Des alternatives de traitements ont été proposées et, si souhaitées par le patient, mises en œuvre.
– Le patient est capable de discernement. Son désir de mourir est mûrement réfléchi, il ne résulte pas d’une pression extérieure et il est persistant. Cela doit avoir été vérifié par une tierce personne, qui ne doit pas nécessairement être médecin.
– Le dernier geste du processus conduisant à la mort doit dans tous les cas être accompli par le patient lui-même.
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