Au-delà du plaisir du jeu, la dépendance
Le dépistage et la prévention des dépendances au jeu sont du seul ressort des casinos. Celui de Montreux a formé une responsable au Canada.
Son travail exige un sens de l’observation, de la psychologie et pas mal de diplomatie.
Pour la grande majorité de la population, les jeux de hasard ne sont que pur divertissement.
Toutefois, à en croire les spécialistes, 2% des joueurs développeraient un comportement excessif face au jeu. Et deux autres pour cent seraient susceptibles de tomber dans la dépendance.
En Suisse, selon l’association genevoise de prévention des dépendances, «Rien ne va plus», 150 000 personnes seraient atteintes du démon du jeu.
C’est pourquoi, conformément aux exigences légales, le Casino Barrière de Montreux a dû mettre sur pied un système qui est censé prévenir les risques socialement dommageables du jeu.
A cet effet, Montreux a en outre signé une convention de collaboration avec les casinos de Courrendlin (JU) et de Granges-Paccots (FR).
Casinos seuls responsables
La prévention et le dépistage sont donc du ressort des seuls casinos. Et ce sont eux qui dirigent les joueurs compulsifs vers les centres de traitement cantonaux qui soignent souvent d’autres types de dépendances.
Mais rien n’existe au niveau préventif à l’échelle supra-cantonale. Le projet de Fondation romande pour la prévention et le traitement du jeu excessif est en panne.
«Nous avons préféré utiliser les compétences existantes. Et créer des synergies entre elles plutôt que de créer une grosse machine qui serait de toute manière difficile à financer, explique la thérapeute Christine Davidson, présidente de l’Association «Rien ne va plus».
La psychiatre estime que la Suisse n’est pas trop mal lotie. En France, dit-elle, il n’existe aucune structure pour soigner ce type de dépendance. Par contre, l’Italie, et dans son sillage le Tessin, sont pionniers en la matière.
Discrétion assurée et amabilité
Mais, sur le terrain, comment le personnel des casinos parvient-il à déceler ces dérives?
«Il existe des indices, raconte Cybèle Antoun. Certains clients prétendent, par exemple, qu’ils gagnent tout le temps. Ou alors ils parlent constamment de se ‘refaire’.»
«C’est un signe clair, ajoute la responsable des mesures sociales du Casino de Montreux. Car on sait qu’on ne peut gagner sur le long terme au casino.»
En fait, il faut tirer la sonnette d’alarme dès que le plaisir se transforme en besoin de jouer. Et que ce besoin supplante la volonté d’arrêter malgré les conséquences négatives qui en découlent.
Les conséquences sont financières (la ruine pure et simple). Mais également comportementales. L’obsession du jeu peut mener à une certaine agressivité contre les autres ou contre soi-même (auto-destruction).
«Cette observation se fait habituellement sur plusieurs jours, voire plusieurs semaines», ajoute cette ancienne croupière qui s’est formée au Canada et sur Internet, grâce aux cours d’une université américaine.
Aujourd’hui, Cybèle Antoun continue de se former. Elle se perfectionne, cette fois-ci avec la psychiatre genevoise Christine Davidson.
Hormis un bon sens de l’observation, le métier exige une bonne dose de diplomatie. «Nous discutons avec les clients, nous apprenons à bien les connaître. Et nous essayons de les modérer.»
Si cela s’avère nécessaire, Cybèle Antoun peut prononcer une interdiction de jeu.
Recrudescence de joueurs pathologiques
Avec l’ouverture des casinos où les mises sont illimitées (comme celui de Montreux), on peut craindre une recrudescence des pathologies.
Mais, selon Christine Davidson, la dépendance au jeu est une maladie dont la prévalence est constante. Autrement dit, la pathologie n’est pas déclenchée par l’ouverture de casinos.
«Ces dix dernières années, l’offre de jeux de hasard a explosé, relativise-t-elle encore. On compte quatre fois plus de machines à sous en dehors qu’à l’intérieur des casinos.»
Comme les législations varient d’un bout à l’autre de la Suisse, ces machines sont interdites dans certains cantons mais fleurissent dans d’autres.
En fait, les casinos ne feraient que concentrer les joueurs problématiques. Mais c’est là que la prévention et le dépistage sont institutionnalisés. Les dégâts devraient donc être contenus.
Enfin, sur les causes qui mènent à la dépendance au jeu, les chercheurs avancent plusieurs hypothèses.
Elles seraient génétiques pour certains, psychologiques pour d’autres. Et, selon l’interprétation freudienne, c’est le besoin d’autopunition qui serait à l’origine de cette pulsion incontrôlable.
swissinfo, Anne Rubin
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