De l’art de concilier les extrêmes en Helvetistan
La Suisse est en train de réévaluer sa politique face aux régimes autoritaires d'Asie centrale.
Ces pays font partie de l’Helvetistan, le groupe de pays mené par la Suisse au sein des institutions de Bretton Woods. Berne veut mettre en cohérence intérêts économiques et droits humains.
Concilier intérêts économiques et droits de l’homme, c’est l’objectif officiel de la Suisse, comme des autres démocraties occidentales. Etat dépositaire des Conventions de Genève et puissance économico-financière de premier plan, la Suisse en a même fait son credo, dès la fin de la guerre froide surtout.
Pour autant, cette exigence est loin de couler de source. Le cas de l’Helvetistan – le groupe de pays mené par la Suisse au sein du conseil d’administration des institutions de Bretton Woods (FMI et Banque mondiale) – est à ce titre emblématique.
Suite à un vote populaire, la Suisse a rejoint les institutions de Bretton Woods en 1992. Pour pouvoir siéger aux conseils du Fonds monétaire international (FMI) et de la Banque mondiale (BM), la Suisse s’est alliée avec des petits pays, dont elle représente également les intérêts. Une formule également pratiquée par la Belgique ou la Hollande.
Ce groupe, surnommé ‘Helvetistan’, regroupe la Pologne, la Serbie, le Monténégro et les cinq anciennes républiques soviétiques d’Asie centrale, arrivées au même moment au sein de ces institutions financières censées venir en aide aux pays en développement.
Sur les ruines de l’Union soviétique
Dans la foulée, la Suisse a lancé des programmes de coopération avec ces nouveaux pays d’Asie centrale pour leur permettre d’accéder à l’économie de marché et la démocratie. Une vision alors évidente, vu l’effondrement du bloc soviétique.
Aujourd’hui, cette perspective a nettement perdu de sa superbe. Concernant l’évolution des pays d’Asie centrale, l’agence suisse de coopération (DDC) ne peut que constater: «Pendant qu’une élite peu nombreuse profitait de processus de privatisation tenant souvent du brigandage, la majorité de la population en était réduite à subir une chute considérable de son niveau de bien-être », peut-on lire sur son site web.
De son coté, Mohammad-Reza Djalili, spécialiste de l’Asie centrale, ajoute que les révolutions «arc-en-ciel » qui se sont déroulées en Ukraine et en Géorgie ont poussé les régimes d’Asie centrale à durcir le ton. Un raidissement renforcé par le retour de l’influence russe dans cette région riche en hydrocarbure.
Dans le même temps, ces enjeux énergétiques ont incité les grandes puissances occidentales à mettre un bémol sur la question des droits de l’homme.
Sanctions et réévaluation
Suite à la répression sanglante d’un soulèvement à Andijan dans l’est de l’Ouzbékistan en mai 2005 et à d’autres signes de durcissement en Asie centrale, le gouvernement suisse a néanmoins décidé d’imposer des sanctions à l’égard de l’Ouzbékistan et de réévaluer sa politique à l’égard de l’ensemble de ces pays.
«Il s’agit de trouver une nouvelle cohérence entre les impératifs de défense des droits de l’homme, l’action de la DDC, les intérêts économiques et les considérations politiques», précise Urs Herren, responsable de la région au sein de la DDC selon qui cette réflexion devrait aboutir d’ici deux mois.
Avant d’ajouter: «Même si l’on prend en considération l’ensemble de l’aide fournie par les pays occidentaux et la Banque mondiale, ces sommes sont relativement réduites. Elles ne peuvent donc servir de levier pour influer sur la politique d’un pays comme l’Ouzbékistan.»
Avant d’ajouter que le degré d’ouverture varie selon les pays, même s’ils connaissent tous de fortes entraves aux libertés publiques. «Le Kirghizistan est le plus libéral de la région. Le Tadjikistan par contre est plus autoritaire. Mais avec ces deux pays – les plus pauvres de la région – la Suisse réussi à poursuivre le dialogue sur les droits de l’homme», précise Urs Herren.
En revanche, l’Ouzbékistan est nettement plus fermé aux échanges sur les droits humains. Quant au Turkménistan, fort de ses richesses énergétiques, il a dès le départ rejeté les offres de coopérations avec la Suisse et l’Europe.
La démocratie par le bas
Dans le cadre des institutions de Bretton Woods, la Suisse dirige donc un groupe de pays asiatiques dont les régimes bafouent les droits de l’homme. S’agit-t-il pour autant d’un exemple flagrant de contradiction entre ses intérêts économiques et son combat en faveur des droits de l’homme?
Pas si sûr, si l’on en croit Urs Herren. Les programmes apparemment techniques que la DDC mène dans ces pays permettent à petits pas d’instaurer une forme de démocratie locale pour, par exemple, la gestion des ressources en eau. «Tous les trois mois, nous évaluons si les objectifs fixés sont atteints», précise Urs Herren.
De plus, la coopération helvétique favorise également l’instauration d’un Etat de droit dans ces pays au travers de programmes prônant la bonne gouvernance.
L’espoir n’est donc pas perdu de favoriser une ouverture et une démocratisation de ces régimes. Mais cela prendra du temps.
swissinfo, Frédéric Burnand à Genève
La Suisse est l’un des plus gros donateurs des pays d’Asie centrale.
Ces programmes de coopération – bilatéraux et régionaux – coûtent annuellement environ 18 millions à la DDC et 16 millions au Secrétariat d’Etat à l’économie (SECO).
Ils consistent en un soutien des réformes du système de santé ou à la gestion durable des ressources naturelles.
Ces projets visent aussi à créer les bases d’un Etat de droit, à intégrer tous les groupes sociaux dans le processus de démocratisation, sans oublier le soutien au secteur privé en privilégiant les PME.
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