Droit de mourir: la Suisse donne une leçon de vie
Des caméras ont filmé jusqu’au dernier instant un candidat au suicide assisté par Exit. Le documentaire sera diffusé cet automne sur une grande chaîne française.
En France, le débat promet d’être vif après la vague d’émotion suscitée par l’affaire Humbert.
«La lecture du 2e et dernier scanner reste pour moi l’un des moments les plus poignants du tournage, se souvient Stéphane Villeneuve, journaliste-réalisateur pour l’agence CAPA. Ce jour-là, tout à basculé. Jean Aebischer est rentré dans la peau du condamné à mort.»
Le diagnostique est clair. Le cerveau de Jean Aebischer est envahi de métastases qui peuvent, n’importe quand, provoquer une hémorragie cérébrale ou une rupture d’anévrisme conduisant inéluctablement au coma.
«Jean n’était même plus sûr de passer le cap des fêtes de fin d’année, poursuit Stéphane Villeneuve. L’épée de Damoclès avec laquelle il vivait depuis plusieurs mois pouvait désormais frapper à tout moment et le laisser dans un état végétatif. Ce qui, pour Jean, représentait le pire des cauchemars.»
Trois jours après cette dernière lecture de scanner, Jean Aebischer a convoqué Exit pour choisir la date du rendez-vous final. Il a fixé sa mort au 6 janvier.
Le choix d’un être humain
«L’histoire a basculé, résume Stéphane Villeneuve. On est passé d’un projet virtuel à une réalité planifiée. Et c’est terriblement déstabilisant.»
Stéphane Villeneuve et la co-réalisatrice du documentaire, Stéphanie Malphettes, ont accompagné Jean Aebischer jusque dans ses derniers instants. Auparavant, d’autres caméras avaient déjà, elles aussi, filmé la phase finale d’une «autodélivrance». Sans pour autant suivre la personne durant près de trois mois.
«Notre propos n’était pas de réaliser un documentaire sur le suicide assisté, explique Stéphane Villeneuve. Mais de témoigner du choix d’un être humain qui, se sachant condamné, décide de mettre dignement et consciemment fin à ces jours.»
Le projet avait été mûri de longue date. L’affaire Humbert, du nom de ce jeune français tétraplégique assisté dans la mort par sa mère et un membre du corps médical, a propulsé le sujet sous les feux de l’actualité.
«La section française d’Exit nous a demandé de faciliter le travail d’une équipe de tournage, explique le docteur Jérôme Sobel, président d’Exit. La démarche visait à montrer, en toute transparence, ce qui se fait en Suisse.»
«Le meilleur service que l’on puisse rendre à nos voisins est de favoriser l’ouverture du débat et, dans le meilleur des cas, un changement de législation», poursuit Jérôme Sobel.
Et d’ajouter: «Il faut à tout prix éviter que nos voisins ne soient obligés de quitter leur pays pour bénéficier du droit de mourir dignement. Et faire en sorte que des affaires du type Humbert ne puissent plus se reproduire.»
Il ne restait plus qu’à trouver un candidat au tournage. «Nous n’avons pas eu besoin de convaincre Jean Aebischer, affirme Nada Walter, membre actif d’Exit. Bien au contraire. Il était heureux de pouvoir témoigner.»
Et celle qui a préparé le breuvage mortel ajoute: «Imaginez seulement la détresse d’une personne qui, se sachant condamnée, doit encore attendre l’échéance fatale. C’est tout simplement horrible. Ce documentaire a donné un sens à la souffrance de Jean Aebischer. Et ça, c’est déjà énorme.»
Une sorte de fiction
«Nous n’étions pas favorables à la réalisation de ce documentaire, mais mon père n’a pas voulu en démordre, constate Olivia Aebischer. J’avais le sentiment qu’il s’était plongé dans une sorte de fiction lui permettant d’échapper à la réalité de sa propre mort.»
Jean Aebischer est parti en laissant un dernier témoignage au monde. Celui d’un homme qui, pour échapper à une déchéance programmée, a choisi de mourir de façon délibérée, réfléchie.
Indécent, violent, opportuniste ou un contraire courageux, profondément humain et engagé… de nombreux qualificatifs ne manqueront pas d’accompagner la diffusion du documentaire.
Mais une chose est certaine: dans le contexte politique et émotionnel qui a suivi l’affaire Humbert, en France, le témoignage de Jean Aebischer ne laissera pas indifférent.
«La Suisse, à l’image conservatrice, que les Français se plaisent à appeler le pays propre, est finalement en train de donner une leçon d’ouverture à son voisin. Qui lui, reste encore empêtré dans ses tabous», commente Stéphane Villeneuve.
Avant de conclure: «S’occuper de la mort est la meilleure leçon de vie que l’on puisse donner. Et en la matière, la Suisse a vraiment bouleversé les idées préconçues que j’avais encore à son sujet.»
swissinfo, Vanda Janka
Chiffres publiés par l’Institut de médecine légale de l’Université de Zurich:
En 2003, plus de 250 personnes ont choisi ce moyen pour mettre fin à leurs jours.
En 1999, une centaine de cas seulement avaient été recensés.
En Suisse, l’assistance au suicide n’est pas punissable lorsqu’elle intervient sans mobile égoïste.
– Marie Humbert, la mère d’un jeune tétraplégique français décédé en septembre 2003, a été mise en examen pour avoir aidé celui-ci à mourir. Elle a été inculpée pour «administration de substances toxiques» et encourt une peine maximale de 5 ans d’emprisonnement.
– Le Dr. Chaussoy – chef du service de réanimation du Centre héliomarin de Bercksur-Mer, où était soigné Vincent – a également été mis en examen pour «empoisonnement avec préméditation». Le médecin encourt une peine de prison à perpétuité.
– Vincent Humbert, 22 ans, tétraplégique, rendu muet et presque aveugle par un accident de la route en 2000, avait demandé le «droit de mourir», notamment dans une lettre au président Jacques Chirac.
– Face à l’émotion soulevée en France par ce drame, le ministre des Affaires sociales, François Fillon, a proposé d’ouvrir un débat sur l’euthanasie.
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