Fusion thermonucléaire à Lausanne
En s'inspirant des étoiles, les physiciens mettent au point une source d'énergie propre et inépuisable: la fusion.
Le CRPP est à la pointe de la recherche mondiale. Rencontre avec son directeur, le professeur Tran.
Le Centre de Recherche en Physique des Plasmas (CRPP) fait partie de l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL). Il emploie 130 personnes réparties entre Lausanne pour la majorité, et Villigen (Institut Paul Scherrer). Le professeur Minh Quang Tran dirige cette équipe depuis la capitale vaudoise.
Qu’est-ce qu’un plasma? «La matière se présente sous forme solide, liquide et gazeuse. Pour passer d’un état à l’autre, il faut apporter de la chaleur. Si on continue de chauffer, vers une température de 10 000°C, les atomes de la matière se dissocient en électrons et en noyaux positifs. Cet ensemble, électriquement neutre, est appelé plasma», explique-t-il.
Ce quatrième état de la matière abonde dans la nature. Par exemple, une aurore boréale est une forme de plasma naturel visible. Mais on le trouve aussi dans le Soleil, entre les planètes ou, plus proche de nous, dans les tubes néon.
«Ce phénomène joue, dans la recherche énergétique, un rôle crucial au niveau de la fusion thermonucléaire» précise Minh Quang Tran.
La fission et la fusion
Une centrale nucléaire «casse» des gros noyaux d’atomes (phénomène de fission). Ce processus libère beaucoup d’énergie que l’on transforme en électricité.
Les inconvénients de ce type de production sont connus. En Suisse, 40% de l’énergie électrique provient de cette technique. Supprimer cette forme d’approvisionnement, c’est vivre dans le noir un jour sur deux.
Dit de façon simpliste, la fusion est le phénomène inverse de la fission: des noyaux d’atomes légers se combinent (fusionnent) pour former des atomes plus lourds. Une immense quantité d’énergie est dégagée lors de telles réactions.
C’est ce procédé que notre Soleil utilise depuis 5 milliards d’années, en «fusionnant» de gigantesques quantités d’hydrogène.
Dans les deux cas, le phénomène est «nucléaire» dans la mesure où ce sont les noyaux atomiques (nucleus en latin) qui sont concernés par ces réactions.
Les étapes menant au Graal énergétique
L’idée de «copier le Soleil» pour produire de l’énergie date d’une cinquantaine d’années. Dans ce but, L’EPFL a construit une installation expérimentale complexe qui a été mise en service en 1992: le Tokamak à Configuration Variable (TCV).
«Cette installation nous permet de confiner le plasma grâce au champ magnétique. Pour simplifier, c’est une bouteille qui permet de garder cet état de la matière à l’intérieur d’un volume, en l’isolant thermiquement de son environnement» explique le professeur Tran.
Avant de préciser: «La science et la technologie ont suffisamment avancé pour qu’on puisse prévoir, dans la prochaine décennie, une installation expérimentale produisant de l’énergie. Ce projet existe, il s’appelle ITER. Il constitue l’étape entre les machines que nous avons maintenant et la réalisation d’un premier prototype produisant vraiment de l’énergie électrique».
Place de la Suisse
L’Europe (y compris la Suisse), le Canada, le Japon, la Russie (et peut-être bientôt les Etats-Unis) sont partenaires dans le projet ITER.
Il faut souligner que notre pays faisait pleinement partie du programme européen avant même l’entrée en vigueur des accords bilatéraux. «Dans le programme ‘Fusion’, nous avons les mêmes droits que les pays européens», précise le professeur Tran.
La Suisse occupe donc une place de choix en Europe. «Avec ce rayonnement européen, nous rayonnons dans le monde. Nous nous situons en cinquième position, au niveau de l’importance de la recherche en fusion, sur le vieux continent».
Pour montrer que les compétences helvétiques sont appréciées, le professeur Tran explique que chaque franc reçu par la Confédération se transforme en 1,33 franc grâce à l’aide européenne. «Si nous n’étions pas performants, il serait facile pour l’Europe d’abaisser son soutien financier global».
Grâce à une coopération mondiale, des progrès significatifs ont été réalisés dans ce domaine de production énergétique.
Et le professeur Tran de conclure: «Tout ceci n’est pas une utopie ou un rêve de physicien. Si tout se passe comme nous l’espérons, du point de vue scientifique et politique, on peut dire que la deuxième moitié de ce siècle verra l’utilisation de la fusion thermonucléaire à grande échelle».
swissinfo/Yves Pillard
Bio express:
– Minh Quang Tran naît en 1951 à Saigon (Viêt-nam).
– Il obtient son diplôme d’ingénieur physicien en 1973 à l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL) et son doctorat ès sciences en 1977.
– Il passe ensuite deux années au Département physique de l’université de Californie à Los Angeles en tant que chercheur et «adjunct assistant professor».
– En 1979, il rejoint le Centre de recherches en physique des plasmas (CRPP).
– En 1993, il devient directeur-adjoint du CRPP.
– En 1997, il est nommé professeur ordinaire de physique des plasmas.
– En 1999, il devient directeur du CRPP et chef de l’association EURATOM-Confédération suisse. Dans le cadre de cette association, il participe aux travaux de divers comités européens et à ceux concernant le projet de réacteur à fusion international ITER.
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