«L’émigrant et l’immigrant, la même personne»
A Agen, à l’occasion du 47e Congrès de l’UASF, qui représente la communauté des Suisses de France, les migrations étaient au cœur des débats.
L’occasion de se rappeler que sortir de chez soi pousse à opter pour l’ouverture…
Le rail et la route ont un charme que l’avion n’a pas. Bien sûr, dans les airs, il y a ce léger sentiment de vertige, nuages dessous, ciel bleu partout ailleurs. Mais tout cela est un peu abstrait. Et manque l’essentiel: la conscience de la distance. L’avion annule le temps.
Agen par le rail, cela s’approche… Genève, Bellegarde, Lyon, Nîmes, Montpellier, Béziers, Narbonne, Carcassonne, Toulouse, Agen enfin… La route ou le rail permettent de mieux saisir qu’on est «loin». Et que «Suisse de l’étranger», ici comme ailleurs, n’est pas un vain mot, même si la France est voisine de la Suisse.
La Suisse, ailleurs
Samedi après-midi, les organisateurs avaient planifié un débat consacré au thème des migrations. Un thème trop vaste pour ne pas être bateau? Cela aurait pu être le cas. Mais l’écueil a été évité grâce à la diversité et à la remarquable qualité des intervenants.
Regard d’écrivain d’abord, avec le régionaliste Alain Paraillous, qui raconte aux congressistes le Lot-et-Garonne à travers ceux qui l’ont investi: Romains, Wisigoths, puis Italiens, Bretons, Aveyronnais, Hollandais, Suisses, et plus récemment encore, Maghrébins. Et de citer Gide: «La greffe est plus importante que la racine».
Regard de philosophe ensuite, avec un autre Gascon, le très comédien Pierre Gardeil, qui enseigne parfois à Fribourg. Un philosophe sait dépasser les combats strictement politiques: «L’émigrant et l’immigrant, c’est la même personne», lâche-t-il. Les Suisses ont d’excellentes raisons de s’en souvenir: il fut un temps où c’était eux, peinant sur une terre ingrate, qui émigraient…
Un constat abordé autrement par l’ambassadeur Bénédict de Tscharner, président de la Fondation des Suisses dans le monde: «La Suisse n’a pas seulement lieu en Suisse». Et d’insister sur le fait que cette Suisse émigrée, expatriée, participe «à nous faire comprendre, à nous faire vivre pleinement notre ‘suissitude’».
De Payerne à la Gascogne
Parmi les congressistes, José Baechler, Président du Cercle suisse de Guyenne et Gascogne, qui accueillait le congrès, est l’illustration de ce phénomène d’émigration-immigration.
Ses parents sont partis de Suisse après la 1ère Guerre mondiale. Ils se sont installés dans la vallée du Lot, comme agriculteurs et fromagers – ce qu’ils étaient auparavant à Payerne.
Et José Baechler a repris le flambeau. «Ce qu’ils ont construit nous l’avons continué. Ce qu’ils ont édifié, nous le consolidons»… Agriculture, élevage. Il représente d’ailleurs les éleveurs français de la ‘race brune’, une vache que les Suisses connaissent bien.
«Etranger en Terre de Gascogne, c’est sûr, mais ancré quand même dans cette Terre qu’est le Lot-et-Garonne». José Baechler est né dans cette région du Sud-Ouest, et pourtant, la Suisse ne l’a pas quitté: «On ne peut pas couper ce cordon ombilical. Notre nom nous y porte, mais aussi toute la famille qui est restée au pays, et que nous côtoyons chaque fois que nous le pouvons».
L’accent est chantant, avec cette façon de détacher les syllabes que n’aurait pas renié un certain Nougaro, chantre de Toulouse la voisine… «En Terre de Gascogne, nous sommes les Suisses, dit-il. Et lorsque nous retournons en Suisse, nous sommes les bons Gascons, avec leur bagage charismatique, intellectuel, professionnel».
José Baechler ne se pose pas en spécialiste du monde helvétique. Pourtant, notamment à travers sa profession, il en côtoie, des Suisses de Suisse. Et s’interroge parfois. «Dans le monde rural, mes références sont des références françaises, européennes aujourd’hui, et le fait que la Suisse ne soit pas impliquée entièrement dans cette Europe que nous défendons fait que nous n’avons pas la même approche. Je suis Français, avec l’âme suisse, mais pas pour soutenir forcément les objectifs de la Suisse».
Besoin d’air!
Isolationnisme, durcissement par rapport à l’immigration et à l’asile… Comment perçoit-on du côté des Suisses de France les tendances actuelles qui caractérisent la Suisse? Le président de l’UASF, Serge Lemeslif, Breton de Paris et Suisse par alliance, est bien placé pour répondre à cette question.
«Je constate que dans leur très grande majorité, les Suisses de France sont favorables à l’intégration, comme à la migration. Il ne faut pas oublier qu’ils sont issus de familles qui ont quitté leur terre, pour des raisons économiques, à l’époque où la Suisse était un pays pauvre», rappelle-t-il.
L’émigration helvétique se poursuit, mais pour d’autres raisons. «Avant, on quittait la Suisse parce qu’on avait besoin de pouvoir manger. Aujourd’hui, ceux qui quittent la Suisse ont souvent besoin de s’expatrier parce que la Suisse est trop petite. Dans cette nouvelle génération d’émigrants, qui n’est pas nécessairement représentée dans notre association, il y a le sentiment de devoir s’exprimer à l’extérieur, d’ouvrir ses ailes, d’avoir des horizons plus larges», constate Serge Lemeslif.
Cri du coeur
Retour au débat… Dans le cadre d’un bref historique de l’immigration en Suisse, Sandro Cattacin, professeur de sociologie à l’Université de Genève, peut rappeler que dans les années 20, l’idée fédérale était que la différence faisait la richesse de la Suisse et que l’immigration pouvait donc s’y insérer mieux qu’ailleurs…Les temps changent.
Et c’est en véritable tribun que Jacques-Simon Eggly, vice-président de l’Organisation des Suisses de l’étranger, viendra apporter en conclusion son regard sur la tension permanente qui hante désormais la Suisse, «entre le besoin de s’ouvrir et la peur de s’ouvrir».
Un conseiller national qui s’enflamme en évoquant la nécessité pour la Suisse de dire oui aux accords de Schengen/Dublin – la votation aura lieu en juin. Et qui, répondant aux inquiétudes d’un congressiste, lance un vrai cri du cœur en martelant «combien il est stupide de penser qu’on ne devrait pas pouvoir avoir la double nationalité».
Il y a peu en effet, la droite dure n’avait pas hésité à souhaiter une telle interdiction… Ce samedi à Agen, ce type d’élucubrations n’avait définitivement pas sa place.
swissinfo, Bernard Léchot à Agen
Selon les derniers chiffres (fin 2004), 623’057 citoyens et citoyennes suisses vivent à l’étranger, soit une augmentation de 10’495 (+ 1,7%) en une année.
Aujourd’hui, 442’643 de ces personnes, soit 71%, possèdent la double nationalité.
La majeur partie des Suisses et Suissesses de l’étranger vivent dans des pays de l’Union européenne (377’383, soit environ 60,5%).
C’est en France que se trouve la plus grande communauté suisse (166’199).
– Le 47ème Congrès de l’Union des Associations Suisses de France (UASF), accueilli par le Cercle Suisse de Guyenne et Gascogne, s’est tenu ce week-end à Agen (Lot-et-Garonne).
– L’UASF est l’organisation faîtière des nombreuses associations suisses (Amicales, clubs, sociétés etc.) de France.
– Son rôle consiste à organiser la représentation de tous les ressortissants suisses résidant en France et la défense de leurs intérêts et de leurs droits vis-à-vis des autorités suisses.
– L’UASF se préoccupe également de trouver des solutions pratiques aux problèmes qui peuvent se poser à des ressortissants suisses élisant domicile en France.
– A la fin du mois d’avril, chaque année, elle organise un Congrès national de trois jours. A cette occasion, elle tient son Assemblée générale et élit ses représentants au Conseil de l’Organisation des Suisses de l’étranger (OSE).
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